Une tournée nord-africaine


La majeure partie des cambriolages commis par les Travailleurs de la Nuit se commettent en province et à l’étranger.  L’anarchiste, comme le voleur, ne connait pas le principe de frontière mais, dans le cadre de tournées hors hexagone, le problème des sources se pose avec encore plus d’acuité. Comment, par exemple, mettre la main sur des documents prouvant des tentatives d’effraction commises au Caire ou à Alger ? Il n’y a pourtant pas lieu de douter d’un  voyage d’Alexandre Jacob en Afrique du Nord. Alain Sergent l’atteste et le biographe tient ses informations en 1950 de l’honnête cambrioleur lui-même. Seulement, en ne donnant que trop peu d’informations sur ce périple, il laisse grande ouverte la porte des suppositions.

Bernard Thomas imagine Alexandre Jacob et Rose Roux faire du tourisme en Egypte. L’anarchiste chercherait aussi des réseaux d’écoulement des titres volés. L’action se situe « vers la fin de 1900 » mais à cette époque, Jacob officie encore sur Sète et Montpellier. Or le romancier indique que la compagne de l’illégaliste « commençait à s’ennuyer sous la pluie parisienne ». L’installation des Travailleurs de la Nuit dans la capitale se situe fort probablement au début de 1901, une grande partie de la bande s’installant à l’hôtel tenue par Thériez, rue de la Clé (pas très loin de la rue Mouffetard).

Lorsqu’Eleuthera nous a demandé en 2012 une version romancée de l’expérience illégaliste de Jacob, nous avons traîné les pieds dans un premier temps. Puis, le jeu de la mise en scène a fini par mettre en lumière certains points. Si le propos de Bernard Thomas reste envisageable malgré une chronologie aléatoire, nous avons largement préféré placer l’entreprise nord-africaine après le vol Guénard commis à  Amiens le 24 novembre 1901. A ce moment, le voleur se trouve à Toulouse où sa mère est venue le rejoindre. Le voleur a fui la capitale après le coup de la rue Quincampoix (06 octobre 1901). Végète-t-il dans le Sud-Ouest ? Cherche-t-il à se faire oublier après  un audacieux forfait ?

Le voyage doit se faire bien évidemment à partir de Marseille, deuxième port européen et premier port méditerranéen. De là, Jacob en liaison avec « un voyageur de commerce » peut organiser son périple. Le nom de Montgardin, exerçant cette profession, apparait justement dans les divers rapports de police à l’occasion de l’instruction menée par le juge  Hatté en vue de la tenue du procès d’Amiens. Mais Montgardin n’a jamais été retrouvé et nous ne saurons probablement jamais avec précision ce que l’honnête cambrioleur a fait en Algérie comme en Egypte. L’échec mentionné par Sergent et la visite des Pyramides nous a juste fait penser à Bonaparte se cassant les dents lors de son expédition de 1798. Et Jacob, dans les Souvenirs d’un révolté, n’écrivait-il pas que son arrestation à Airaisnes le 22 avril 1903 était un peu son Waterloo à lui ?

Un anarchiste de la Belle EpoqueAlain sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, Le Seuil, 1950, p.63 :

Repris parfois par la nostalgie des paysages nouveaux, Jacob s’en allait à l’étranger. Mais les coutumes n’étaient pas les mêmes, son expérience ne pouvait le servir, et il échoua presque toujours. Au Caire où il était allé sur les indications d’un voyageur de commerce pour dévaliser une bijouterie, il s’aperçut que de nombreux domestiques couchaient devant les portes, à même  le sol, aux heures de fermeture. Jacob se consola en allant voir le Sphynx et les Pyramides à dos de chameau. A Alger, il essuya encore un échec en tentant de cambrioler l’ambassadeur de Russie. Mais il prit sa revanche avec le château de la reine, à Spa, où il déroba un petit Corot et un Sisley.

Jacob, Bernard ThomasBernard Thomas, Jacob, Tchou, 1970, p.144-145:

Le problème le plus difficile à résoudre demeura longtemps celui de l’écoulement des objets volés. (…) Pour les titres nominaux, il pensa trouver plus aisément acquéreurs parmi les négociants d’Afrique du Nord ou d’Egypte, les valeurs françaises jouissant d’une solide réputation en ce temps-là.

C’est ainsi que, vers la fin de 1900, il s’embarqua avec Rose, qui commençait de s’ennuyer sous la pluie parisienne, sur un vapeur qui faisait le tour de la Méditerranée. Le voyage n’eut d’autre intérêt que touristique. Les prix qu’on lui offrit de sa marchandise ne dépassaient pas les cours pratiqués dans les plus rapaces officines de Montmartre.. En outre, au Caire, une bijouterie que lui avait indiquée un voyageur de commerce lui résista : les serviteurs dormaient la nuit devant la  porte. Il se consola en rendant visite aux Sphinx et aux Pyramides admirées de loin dans sa jeunesse – toujours accompagné de Rose qui eut le mal de mer à dos de chameau. Il ne fut pas plus heureux à Alger, ni avec les usuriers du cru, ni avec la propriété de l’ambassadeur de Russie. Seules les ruelles de la Casbah lui furent accueillantes.

Jean-Marc Delpech, Rubare per l’anarchia, Eleuthera, 2012, p.77:

Dans le train qui le ramenait à Toulouse, l’honnête antiquaire Escande se disait qu’avec son pécule, il pourrait aller villégiaturer de l’autre côté de la Méditerranée et offrir à Rose un voyage. Rose acquiescé aussitôt.  Mais le voyage ne fut pas totalement que d’agrément. Pas de congés payés lorsque l’on est son propre entrepreneur. Les Pyramides c’est bien joli mais la bijouterie qu’un voyageur de commerce, Montgardin, lui a indiqué à Marseille lui plait encore plus. Seulement la déception est à la hauteur du magot entrevu : les employés dorment dans la boutique. Retour en France en passant l’Algérie. Alger la blanche … et son ambassade de Russie. Imprenable elle-aussi. Jacob bat en retraite comme le petit Napoléon en son temps.

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