Sous le pavé, sur le sable


A vrai dire, nous n’avons que faire de ces préoccupations météoro-logiques et vestimentaires du moment qui vous font oublier que le droit de vivre ne se mendie pas, même sous le coup de poing américain d’un acéphale nazillon forgé à l’indicible haine, même lorsqu’il va falloir travailler plus, turbiner plus et aller de plus en plus au charbon pour de moins en moins de progrès social, même quand on est Rom ou trop bronzé dans nos blanches et fières contrées judéo-crétines. L’été sera-t-il chaud dans les t-shirts et les maillots ? Nous préfèrerions largement qu’il soit social et solidaire. La consumériste transhumance à venir s’annonce hélas semblable aux précédentes avec sa cohorte de best-sellers aseptisés négligemment posés sur la serviette, juste à côté du paquet de crème anti-UV. Mais point n’est besoin de faire des tâches de gras dedans, l’écriture y est particulièrement translucide. On peut en faire au besoin des allumes-barbecue ou encore les envoyer à la permanence d’une vieille radasse de l’UMP, dans le Toulois par exemple, pour lui apprendre à jacter un dialecte francophone à peu près correct. Mais il existe des tas de livres pas chers et de derrière les fagots de la réflexion, ou procurant tout simplement le simple et primitif plaisir de la lecture. Le jacoblog, entre deux aphorismes du zoo (ceux que l’on vous soumet au mois de juillet et d’août) en a dévoré au moins quatre cette année. Parce que le droit de lire ne se mendie pas …

Avec Les derniers forçats, les éditions Albache vous font plonger dans l’enfer carcéral guyanais. Marty et Martinez ne sont pas des vedettes du bagne ; ils ne maitrisent pas non plus la plume comme peuvent le faire un Jacob, un Dieudonné, un Belbenoit ou encore un Roussenq. Ce sont deux épaves, deux vaincus de guerre sociale, deux mémoires atrophiées qui nous livrent leur témoignage sur une époque où le bagne se meurt doucement depuis le décret de 1938. Mais cela n’empêche pas la machine à éliminer de continuer à broyer les existences. Des quelques 3000 bagnards à la veille de la seconde guerre mondiale, il n’en reste plus qu’environ 1500 en 1945 !  Ces deux récits qui dormaient paisiblement en archives ont été exhumés il y a peu. Ils sont proprement ahurissants.

Nous n’aurons pas l’outrecuidance de présenter Maurice Rajsfus ; les jacoblogueurs pourront à l’occasion relire l’interview qu’il avait bien voulu nous accorder il y a quelque temps maintenant. Son dernier ouvrage, Chaque pierre a sa mémoire n’est pas une simple autobiographie ; c’est un portrait sans complaisance, lucide et froid, sur les mécanismes de la servitude volontaire qui transforment les honnêtes gens en hardis représentants de l’ordre – qu’il soit vichyste ou républicain n’a pas d’importance, qui les changent en parfaits salauds. Et c’est jusque dans sa chair, que Maurice a subi l’affront national brun et bleu marine. Il raconte une enfance brisée pendant la guerre, un travail de militant et d’historien de la police, une expérience édifiante.

Dominique Kalifa n’en finit pas d’explorer les images de l’exclusion et de la marge. En 2009, il nous livrait l’histoire de ces bagnes militaires de Biribi, trop vite et trop facilement oubliés à une époque où il était question d’apport positif de la  colonisation. L’historien de la perception du fait divers s’est penché sur un non-lieu de mémoire en faisant l’analyse d’un imaginaire qui continue à hanter les bonnes nuits de ces mêmes honnêtes gens. L’univers particulier et insaisissable des Bas-fonds n’a de toute évidence pas fini de faire couler une encre au service de cette domination libérale se justifiant par l’existence d’une marge qu’il convient forcément de contenir et de réprimer tout en excitant, pour les mieux nantis et les moins mal logés, les plus sombres instincts du voyeurisme social. De la cour des miracles au bagne en passant par la multitude des jungles urbaines occidentales, on ne ressort pas indemne d’un tel voyage.

Le tout répressif, l’ordre à tout prix, la mémoire assassinée, il est aussi question de cela dans De noirs orages, une histoire du Sud bien tordue, bien glauque en pleine effervescence ouvrière. Nous sommes en mai 68 et Everest Rocalba a disparu. Le petit monde militant et politique d’Ales semble s’en foutre. Tout le monde semble faire comme si le jeune lycéen révolté était forcément ailleurs… tout le monde sauf M. Rocalba père, ouvrier espagnol anar, et Nadou Kaddour « un garçon raisonnable qui travaillait aux bureaux » des Forges. Mais à force de tripatouiller dans de bien mauvaises et de bien sales histoires, on ne finit pas forcément tout propre. On finit d’une autre manière. On ne racontera pas bien sûr la fin de cet excitant polar écrit par Gérard Amaté « pour honorer la mémoire diffamée du prolétariat » et « où nul policier n’apparait ». On attend juste un second opus, et un troisième, et un …

Henry Marty et Philippe Martinez, Les derniers forçats, Albache, octobre 2012, 220 p., 12€00 : http://www.editions-albache.org/les-derniers-forcats/

Maurice Rajsfus, Chaque pierre a son histoire, Ginkgo éditeur, novembre 2012, 320 p., 19€00,

Dominique Kalifa, Les bas-fonds, Seuil, janvier 2013, 395 p., 25€00

Gérard Amaté, De noirs orages …, Atelier de Création Libertaire, septembre 2011, 128 p., 10€00 : http://www.atelierdecreationlibertaire.com/De-Noirs-Orages.html

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