Germinal : pour Jacques Sautarel


A Amiens, le procès des Travailleurs de la Nuit a stigmatisé tout un discours sur la criminalité appelant à plus d’ordre et de répression. Jacob et ses complices synthétisent toutes les peurs, toutes les angoisses, tous les fantasmes de leur temps. De là l’énorme couverture dont ils ont bénéficié de la part des journaux de Paris et de province. De là encore la sévérité du verdict qui envoie irrémédiablement à la mort les condamnés aux travaux forcés dont Jacques Sautarel. Si le sentiment d’insécurité joue bel et bien en la défaveur des Travailleurs de la Nuit, ce serait le délit d’opinion qui aurait motivé l’envoi en Guyane du bijoutier anarchiste. Une campagne de presse se développe en sa faveur dénonçant alors des pratiques d’un temps pas si lointain que cela. Jean Durucksam de L’Action, le 27 mai 1905 dans l’article Les grenouilles judiciaires, et Léon Millot pour L’Aurore un mois auparavant affirment Sautarel châtié pour ses écrits vindicatifs. La Ligue des Droits de l’Homme d’Amiens proteste quelques jours après le verdict et dénonce le procès d’opinion fait à l’auteur de Quand égorgerons-nous enfin ?. On craint une erreur judiciaire, peut-on même lire dans L’Humanité en date du 24 mars 1905. Les anarchistes picards ne sont pas en reste. Ils continuent de facto leur œuvre de propagande et de soutien aux illégalistes. Pour eux, la question d’une négligence orchestrée au palais dit d’injustice ne se pose pas. La faiblesse supposée des charges pesant sur le condamné Sautarel (voir article : les recels et les mensonges de Jacques Sautarel), l’incohérence de l’accusation constituent pour Germinal, dans son numéro 13 en date du 09 au 22 avril, autant de preuves d’un verdict de lâcheté, d’un verdict d’inquisition, autrement dit d’un verdict de classe.

bijouetrie SautarelGerminal

N°13

du 09 au 22 avril 1905

Pour Jacques Sautarel

Victime d’erreur (?) Judiciaire

Indépendamment des nombreuses protestations dont nous nous sommes fait l’écho, tant au sujet de l’affaire Jacob que dans toutes nos luttes contre l’organisation actuelle, il nous sera permis, après toutes les péripéties du « haineux procès », d’élever notre voix contre l’inique condamnation dons est victime notre ami Jacques Sautarel.

Malgré l’incohérence de l’accusation qui pesait sur lui, malgré les preuves de son innocence, malgré ses légitimes protestations, malgré le non-lieu du juge qui avait instruit l’affaire, les jurés, obéissant plus au mot d’ordre du procureur général et à leurs instincts de haine et de vengeance qu’à leur conscience de juges, ont frappé, dans la personne de Sautarel, leur victime,  l’idéal libertaire qu’il avait embrassé.

C’est un procès de tendance dont nous ne nous attacherons pas à démontrer l’ineptie et le parti-pris que le public a reconnus et contre lesquels les journaux locaux ont du, malgré eux, protester.

Dans le dernier numéro, j’avais prévu un tel dénouement ; par ce simple raisonnement que,  même des juges, sont dans l’impossibilité matérielle et morale, étant donné leur état d’esprit, leur haine et leur mentalité, de rendre un verdict équitable en soi, le seul qui puisse être de justice.

Les événements ont confirmé ce raisonnement que, de prime abord, ceux qui ont une conception des choses, différente de la nôtre, avaient pu taxer de théorie chimérique.

Telle est pourtant l’issue fatale de presque tous les procès où des gens de classes et de conceptions contraires ont à intervenir.

Dans une lutte de classe, il y a fatalement une victime de caste. Sautarel est la victime de la bourgeoisie.

C’est lui que les jurés ont promis d’offrir en sacrifice au Veau d’Or.

C’est dans une forme républicaine et démocratique, la rénovation de l’Inquisition et la consécration des sacrifices humains.

Voilà ce qu’on intitule, dans la théorie des gens bien pensants, dans la théorie des approbateurs du système social que nous subissons, la théorie du bloc républicain, une « Erreur Judiciaire ».

Et on veut nous faire entendre qu’il suffit à des hommes de déclarer un individu susceptible d’être coupable, pour le traîner devant une Cour d’Assises, après une criminelle prévention, et le proclamer coupable d’actes qu’il n’a pu commettre !

C’est une insulte au bon sens, qui prouve une fois de plus l’absurdité d’une « Justice » qui, sous l’apparat officiel d’une pompeuse cérémonie, sous un masque d’égalité et d’équité, cache la fourberie, la vengeance, l’autocratie et le banditisme.

Non ! Sautarel n’est pas victime d’une erreur judiciaire, car il faudrait accuser de folie les jurés qui auraient répondu par erreur « Oui. Sautarel est coupable » ; car il faudrait rendre responsable la Cour qui a connu l’erreur, et l’a laissée passer en condamnant quand même.

Non, Sautarel n’est pas victime d’une erreur judiciaire, car, aussitôt soupçonnée, elle aurait du, pour exclure la violation de la liberté individuelle, être réparée.

Sautarel est victime d’une vengeance. On a frappé en lui, l’écrivain, le penseur, l’anarchiste, l’idée libertaire ; on a voulu persécuter en lui, le père de famille déjà si éprouvé ; on a voulu châtier ceux qu’il couvrait de son amour. On a voulu, enfin, jeter l’anathème sur son idéal, sur l’action qu’il préconisait, sur ses pensées, ses écrits, ses rêves.

C’est le parti tout entier qu’on a voulu condamner et c’est lui qu’on a choisi comme tête de turc, comme victime.

Le verdict de la Cour d’Assises est un verdict de lâcheté contre lequel tout le prolétariat se soulèvera.

C’est un verdict d’inquisition qui prouve l’esprit d’intolérance qui règne en République et qui approuve et contresigne le régime inquisitorial que les Jénot et toute la racaille policière, à l’instar des Lépine, font revivre sur tout le territoire dit de liberté.

C’est un verdict criminel du cynique qui ratifie ces paroles : « J’ai pour les accusés les égards qu’ils méritent, et n’oubliez pas, Maître, que vous êtes ici en province. »

Non, mille fois non, Jacquet Sautarel n’est pas victime d’une erreur judiciaire. Sautarel est victime d’un guet-apens.

Maurice Lucas

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