Déclaration des 66 : la vie pour tous !


La déclaration des 66 anarchistes, jugés à Lyon pour leur affiliation à l’AIT du 8 au 19 janvier 1883, peut se retrouver sur de nombreux sites et en particulier les excellents Éphéméride anarchiste et Rebellyon.info. Elle a toute sa place dans le blog de l’honnête cambrioleur, fenêtre ouverte sur l’illégalisme et la propagande par le fait car elle détermine le type de stratégies et d’attitudes que vont adopter les prévenus au cours des 30 années suivantes, nous dit David Doillon dans l’article Illégalistes, parfaitement ! paru dans le n°22 de la revue Réfractions au printemps 2009. En effet, et comme le souligne le mémoire de maîtrise de Laurent Gallet, il s’agit d’un procès d’opinion où à la volonté judiciaire, politique et médiatique de mettre à l’index l’idée et le militant anarchistes répond un concentré de propagande libertaire.

Après le retour des Communards à la suite de l’amnistie de 1880, le mouvement ouvrier renait en France et, dans le foisonnement des socialismes, le mouvement libertaire se montre particulièrement dynamique et agissant. Le procès des 66 a lieu à la suite des grèves des soieries lyonnaises. Ainsi, n’ayant cure d’un verdict joué d’avance, l’anarchiste jugé peut-il s’offrir en spectacle pour se donner une tribune. L’occasion est trop belle pour se taire à Lyon en ce début d’année 1883. Le 19 janvier, les 66 prévenus (dont Kropotkine, Pierre Martin, Toussaint Bordat … et Antoine Cyvoct) expliquent ce qu’est l’anarchie et ce que sont les anarchistes. Ils sont condamnés à de lourdes peines. Mais un pavé dialectique vient d’être jeté dans la mare.

Déclaration des 66 Anarchistes accusés devant le Tribunal correctionnel de Lyon.

19 janvier 1883

Ce qu’est l’anarchie, ce que sont les anarchistes, nous allons le dire :

Les anarchistes, Messieurs, sont des citoyens qui, dans un siècle où l’on prêche partout la liberté des opinions, ont cru de leur devoir de se recommander de la liberté illimitée.

Oui, Messieurs, nous sommes, de par le monde, quelques milliers, quelques millions peut-être – car nous n’avons d’autre mérite que de dire tout haut ce que la foule pense tout bas- nous sommes quelques milliers de travailleurs qui revendiquons la liberté absolue, rien que la liberté, toute la liberté !

Nous voulons la liberté, c’est-à-dire que nous réclamons pour tout être humain le droit et le moyen de faire tout ce qui lui plaît, et ne faire que ce qui lui plaît ; de satisfaire intégralement tous ses besoins, sans autre limite que les impossibilités naturelles et les besoins de ses voisins également respectables.

Nous voulons la liberté, et nous croyons son existence incompatible avec l’existence d’un pouvoir quelconque, quelles que soient son origine et sa forme, qu’il soit élu ou imposé, monarchique ou républicain, qu’il s’inspire du droit divin ou du droit populaire, de la Sainte-Ampoule ou du suffrage universel.

C’est que l’histoire est là pour nous apprendre que tous les gouvernements se ressemblent et se valent. Les meilleurs sont les pires. Plus de cynisme chez les uns, plus d’hypocrisie chez les autres !

Au fond, toujours les mêmes procédés, toujours la même intolérance. Il n’est pas jusqu’aux libéraux en apparence qui n’aient en réserve, sous la poussière des arsenaux législatifs, quelque bonne petite loi sur l’Internationale, à l’usage des oppositions gênantes.

Le mal, en d’autres termes, aux yeux des anarchistes, ne réside pas dans telle forme de gouvernement plutôt que dans telle autre. Il est dans l’idée gouvernementale elle-même ; il est dans le principe d’autorité.

La substitution, en un mot, dans les rapports humains, du libre contrat, perpétuellement révisable et résoluble, à la tutelle administrative et légale, à la discipline imposée ; tel est notre idéal.

Les anarchistes se proposent donc d’apprendre au peuple à se passer du gouvernement comme il commence à apprendre à se passer de Dieu.

Il apprendra également à se passer de propriétaires. Le pire des tyrans, en effet, ce n’est pas celui qui nous embastille , c’est celui qui nous affame ; ce n’est pas celui qui nous prend au collet, c’est celui qui nous prend au ventre.

Pas de liberté sans égalité ! Pas de liberté dans une société où le capital est monopolisé entre les mains d’une minorité qui va se réduisant tous les jours et où rien n’est également réparti, pas même l’éducation publique, payée cependant des deniers de tous.

Nous croyons nous, que le capital, patrimoine commun de l’humanité, puisqu’il est le fruit de la collaboration des générations passées et des générations contemporaines, doit être à la disposition de tous, de telle sorte que nul ne puisse en être exclu ; que personne, en revanche, ne puisse accaparer une part au détriment du reste.

Nous voulons, en un mot, l’égalité ; l’égalité de fait, comme corollaire ou plutôt comme condition primordiale de la liberté. De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins ; voilà ce que nous voulons sincèrement, énergiquement ; voilà ce qui sera, car il n’est point de prescription qui puisse prévaloir contre les revendications à la fois légitimes et nécessaires. Voilà pourquoi l’on veut nous vouer à toutes les flétrissures.

Scélérats que nous sommes ! Nous réclamons le pain pour tous, le travail pour tous ; pour tous aussi l’indépendance et la justice.

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