Perquisition à Germinal !


En 1970, comme en 1998, le journaliste Bernard Thomas débute son roman à caractère biographique sur l’honnête cambrioleur Jacob par le climat de tension régnant à Amiens avant et pendant le procès des Travailleurs de la Nuit. Pour ce faire l’auteur puise ses sources dans les articles de Germinal qu’il accommode à sa sauce. Et, pour retenir l’attention du béotien lecteur qui risque fort de gober une vérité arrangée, il n’hésite pas à pratiquer l’exagération. Se met alors en place toute une dramaturgie dont est révélatrice la narration des évènements consécutifs à la conférence que donne Sébastien Faure dans la capitale picarde le 11 (et non pas le 12) février 1905. Le nombre de manifestants grandit ainsi de manière exponentielle. La charge de l’armée, venue en renfort pour assurer le calme et la sécurité dans la ville, permet d’éviter le quasi – lynchage du gardien de prison Straboni qui avait agressé la foule manifestant devant la prison de Bicêtre après la causerie de l’orateur anarchiste. La situation ne revêt bien sûr pas le caractère insurrectionnel décrit par cette relation apocryphe des évènements. Elle est néanmoins révélatrice de l’agitation et de la propagande menée par les anarchistes de Germinal qui doivent, de la sorte, subir le panel presque complet des tracasseries policières. Le commissaire Jénot d’Amiens convoque à son bureau les deux animateurs de la feuille militante, Pacaud et Ouin, qui refusent de s’y rendre en invitant le policier à se déplacer lui-même s’il veut les entendre. Le mardi 13 février, le commissaire Jénot investit, avec ses agents, les locaux du journal libertaire à la suite de l’affaire Straboni … pour ne rien y trouver de compromettant finalement. C’est de cela que se gausse l’article paru dans le numéro 08 en date du 17 au 25 de ce mois.

Germinal

N°08

Du 17 au 25 février 1905

La 1e Perquisition à « Germinal »

A la suite, des incidents Pacaud-Jénot à l’Alcazar de la manifestation pour Jacob à Bicêtre et de la correction infligée au garde chiourme Straboni et aux deux policiers amateurs Lephay et l’italien Giaccobi, Jénot avait convoqué à son bureau les camarades Pacaud et Ouin, ceux-ci n’ont pas cru devoir répondre à l’aimable convocation du beau Jénot.

En revanche, les Libertaires envoyèrent au commissaire la convocation suivante :

« Monsieur Jénot,

« Vous êtes convoqué pour lundi à 10 heures du matin au bureau de Germinal, 26, rue St-Roch, pour une communication.

« Les Libertaires d’Amiens. »

Jénot ne crut pas devoir faire autrement que de répondre à une aussi courtoise convocation. Aussi, nous ne fûmes nullement surpris lorsque mardi matin à, 10 heures, il s’amena avec son huit reflets et sa sous-ventrière tricolore ; seulement abusant de l’hospitalité de Germinal, il se fit escorter de toute une bande d’individus louches et d’un de ses collègues, le charmant Rivoire, sanglé également, du chiffon patriotique. En tout une douzaine d’individus, toutes les rues adjacentes étaient ornées de sergents de ville. Il ne manquait vraiment que la musique militaire, mais ce n’est certainement là qu’un oubli regrettable qui, nous l’espérons, ne se renouvellera plus à la prochaine visite.

Naturellement, avec autant de monde, les camarades présents ne purent offrir à M. Jénot, le banquet préparé pour lui, qu’il ne s’en prenne qu’à lui-même, s’il n’était venu qu’avec sa dame ou même encore son secrétaire, on aurait pu faire le possible, mais avec des agents de la sûreté, de la police des mœurs, des ivrognes comme Houdard et autres, les compagnons ne pouvaient décemment se compromettre.

Pour le détail de la perquisition voici le récit d’un témoin.

– « Vers 10 heures du matin, les commissaires de police Jénot et Rivoire suivis d’une douzaine d’agents à mine patibulaire et non moins antipathique, faisaient leur entrée à germinal.

Après avoir décliné ses noms, profession et qualité, M. Jénot exhibe un papier administratif lui donnant le Droit de Violer le domicile des locataires de la maison où Germinal a son bureau. Ces formalités remplies, Jénot et Rivoire accompagnés de cinq ou six mouchards grimpent au premier étage et commencent leur sale besogne d’inspection et de perquisition chez la mère d’un de nos camarades qui, simplement locataire, n’a rien à voir avec la propagande anarchiste. Après avoir vidé les commode et placard et fouiné dans le lit  … et dans le pot de nuit, le « travail » se continue chez une autre compagne, étrangère comme la précédente à notre propagande. On passe à la chambre suivante, mais là, nos commissaires s’écrasent le nez sur porte bouclée : le camarade Ouin étant parti se promener. Force est à M. Jénot, déçu, d’envoyer chercher un serrurier. En l’attendant, l’enquête se continue dans une chambre à débarras, puis au second et au grenier. Là une grande découverte: Jénot trouve trois quatre rondelles.

– A quoi cela peut bien servir demande notre aimable visiteur.

– A faire des bombes, probablement, réplique un camarade.

Puis une autre chambre ; puis celle de notre ami Lemaire absent lui aussi comme par hasard. On retourne le lit, on sonde les matelas, on flaire les habits, mais paf… derrière, un roussin tombe, la tète dans un vase de nuit encore plein – ça sent la nitro, dit-il en se tenant le nez.

Enfin le serrurier arrive et la chambre de Ouin est ouverte ; même manège, même fourbi.

– Une porte. ! s’écrie un sergot clairvoyant. Et chacun de branler la cloison en planche qui n’a pas plus de porte que notre agent n’a de flair. Nous redescendons. Toutes les portes sont gardées par un agent et c’est le tour de la cave, de la salle de conférence, on fouille les chiottes… Rien ! Ah, si de la… crème ; elle doit être suspecte car un échantillon est emporté. Dans la salle de groupe, la bibliothèque est ouverte par le serrurier et est fouillée, ainsi qu’un coffret, ouvert aussi par le serrurier. Et notre camarade Jénot admire les gravures qui ornent la salle, parcourt les manifestes, complète son éducation révolutionnaire. Le domicile de Camille Tarlier est aussi visité.

La chasse aux documents a été infructueuse et nos fonctionnaires, s’en vont bredouille. Un salut révérencieux et un « au Rivoire » à tous ».

Bernard Thomas

Les vies d’Alexandre Jacob

Mazarine, 1998, p.24-25

Voilà moins d’un mois, le 12 février, Sébastien Faure est venu donner une conférence à l’Alcazar. Il a sali, selon son habitude, l’armée, le corps expéditionnaire qui se couvre de gloire en Extrême-Orient, puis le clergé, la police et la magistrature. Des indicateurs qui se trouvaient dans la salle en ont pris bonne note. Mais cette causerie n’était qu’un coup monté pour réunir le plus large public possible. L’orateur était de mèche. Par petits paquets, plusieurs milliers de personnes se sont regroupées rue Delambre. L’Alcazar s’est vidé. Une manifestation s’est ébranlée vers la rue de Bicêtre en chantant l’Internationale. Là, elle s’est heurtée à un fort détachement de militaires placé par bonheur, à tout hasard\ en faction devant la prison. Le cortège est demeuré longtemps immobile à narguer les soldats en vociférant : « Vive Jacob ! Vive la révolution ! Vive l’anarchie ! »

Puis, soudain, ç’a été l’incident. Straboni, un gardien qu’on a fait venir spécialement de Rouen pour Jacob, de peur qu’il n’ait réussi à convertir les matons habituels à ses idées, comme il a déjà réussi à le faire jadis, Straboni donc, attiré par le vacarme, est sorti du caboulot Lephay. Il avait sans doute bu un verre ou deux de trop. Bref, il a tiré son revolver en hurlant qu’il allait « en tuer ». Les manifestants se sont jetés sur lui ; ils l’ont désarmé et roué de coups. Les soldats ont chargé. On « déplore » une dizaine de blessés. Germinal en a fait ses choux gras.

À la suite de cette échauffourée, le commissaire Jénot a convoqué à son bureau les meneurs avérés, Lemaire, gérant du périodique, et ses séides Pacaud et Ouin.

Les anarchistes lui ont répondu par ce billet : « Monsieur Jénot, vous êtes convoqué pour lundi à dix heures du matin au bureau de notre journal, 26, rue Saint-Roch. »

Jénot, étonné, a pris le parti de s’y rendre, accompagné de douze hommes, à midi il est vrai, au lieu de dix heures, pour marquer qu’il n’était pas aux ordres. Bien entendu la perquisition n’a rien donné. En revanche, Germinal a eu l’audace de raconter l’anecdote tout au long dans le numéro du 17février : non contents d’être des criminels, ces gens-là ignorent le respect Il n’y a rien de bon à attendre d’eux.

Tags: , , , , , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (3 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur