La mort du hussard Agostini


Comme toute feuille militante, L’Agitateur remplit pleinement son rôle de propagande et d’organe de liaison régionale. L’actualité, qu’elle soit internationale, hexagonale ou locale, ne sert de fait que de support au discours anarchiste des membres de la Jeunesse Internationale de Marseille qui font le dit journal. Dans son étude, Régine Goutalier peut ainsi regretter en 1971 la faiblesse informative de l’article Aux patriotes sur la mort dans la cité phocéenne du cavalier Agostini du sixième régiment de hussards en ce début d’année 1897. « Cette habitude de procéder par allusion à des faits supposés connus du public rend aujourd’hui incompréhensible certains passages ». Et l’auteur finit par se demander « de quelle injustice, par exemple, a pu être victime » le militaire trépassé « que l’on présente comme un martyr ? »

L’affaire Agostini a pourtant eu un certain retentissement médiatique et politique, suscitant un certain émoi jusque dans les rangs de l’Assemblée Nationale. Député des Bouches du Rhône sans interruption de 1894 à 1910, le socialiste parlementaire Maximilien Carnaud interpelle même le gouvernement du vosgien Jules Méline sur la question des mauvais traitements infligés à la troupe au nom de la rigueur, de l’ordre, du respect des grades et de la hiérarchie. Le « scandale » Agostini proviendrait, nous dit L’Agitateur, d’un manque de soin prodigué. Le défunt aurait été traité à « l’homéopathie » affirme ironiquement le journal anarchiste marseillais au sentiment antimilitariste ici fatalement exacerbé.

L’article, anonyme, renvoie à l’affaire Chedel survenue deux ans plus tôt à Biribi et que narre le numéro 12 des Temps Nouveaux de Jean Grave. L’Agitateur ne peut s’empêcher d’expliquer, preuves à l’appui et en rapprochant les deux faits divers, qu’à Biribi comme à Marseille, l’armée tue en toute impunité. Au-delà des ces deux histoires sordides, l’article montre du doigt l’absence de réaction, la soumission et l’acceptation par les conscrits et autres incorporés d’un ordre social maintenu par la résignation face à la férule militaire.

Un petit billet sur les atteintes à la laïcité dans les écoles marseillaise vient conclure le papier sur la mort d’Agostini montrant bien que le journal se sert de l’actualité locale pour étayer sa dialectique. Et c’est ce discours que l’on peut retrouver dans le propos de l’honnête cambrioleur Jacob tout au long de sa vie.

L’Agitateur

N°2

Du 18 février au 02 mars 1897

« L’Agitateur » dans la Région

Marseillle

Aux Patriotes,

Je ne reviendrais pas sur la façon plus ou moins monstrueuse dont a été victime le cavalier Agostini, les chieurs d’encre à trois francs la ligne, vous ont expliqué la crapulerie de ces pères de famille ; depuis le général jusqu’au simple officier vous pouvez voir avec quelle sollicitude vous êtes soignés et si véritablement vous n’êtes pas contents, c’est que vous êtes bien difficiles.

Comment, pour protéger la propriété de ceux qui vous font travailler, à qui même quelques-uns d’entre vous offrent parfois des fleurs et des objets d’art ; on vous arrache en plein épanouissement aux plaisirs qui devraient être les vôtres, puisqu’ils vous conviennent et que vous les choisissez.

Pour vous apprendre à respecter les lois, on commence à vous inviter à courber l’échine devant la volonté d’un seul homme qui, sauf les galons qu’il a et qu’on ne peut donner à tout le monde, n’est rien de plus qu’un animal comme vous et moi.

On vous force à quitter tout ce qui la veille était votre milieu, pour entrer dans l’armée qui doit être votre unique famille ; et vous acceptez sans récrier (que dis-je sans récrier), avec plaisir même puisque l’époque de la conscription est pour vous un jour de fête.

Et maintenant que vous y êtes, qu’on vous apprend à manier le fusil pour obliger le travailleur des champs et des villes à produire pour vous nourrir en parasite.

Qu’on vous oblige à prêter main forte pour faire respecter les lois, qui, elles, soutirent aux contribuables trente mille francs pour le général et presqu’autant pour les majors tous les ans ; et pour vous un sou par jour, etc., vous auriez l’imprudence de vous récrier que les majors sont de partis pris incompétents et que le colonel, votre père, ne surveille pas assez paternellement sa famille. Allons donc !

Un peu plus de logique, s’il vous plait, et n’attendez pas d’être victime pour démontrer que vos ennemis ne sont pas ceux qui sont nés en Tunisie ou à Madagascar ; mais bien ceux qui prétendent vous commander pour rétablir l’ordre, de faire feu sur vos frères comme à Fourmies ; qui, sous prétexte d’apporter la civilisation dans certains pays vous font les meurtriers des femmes et des enfants ; qui, pour vous corriger de l’indépendance et de la liberté que vous désirez comme Chedel en Afrique ; ou qui pour vous guérir vous traite à l’homéopathie comme Agostini.

Jeunes gens, n’attendez pas d’être victimes pour vous récrier. Pas tant d’égoïsme, un peu plus d’humanité.

******

Nos socialistes du Conseil Municipal qui poursuivent la laïcisation des hôpitaux feraient mieux de veiller à la soi-disant instruction laïque que l’on donne dans les écoles et les asiles communales, et qui semble, au prime abord, être un fait acquis. A l’asile de Menpenti, la directrice fait dire la prière aux enfants : que fait cette dame de la liberté de conscience qu’elle devrait respecter, dès l’instant que les parents font élever là leurs enfants, c’est qu’il ne leur plait pas de les envoyer dans une école congréganiste.

Les Temps Nouveaux n°12 (20/26 juillet 1895)

À Biribi

samedi 19 juillet 2008, par Gauthey (A.)

On lit dans l’Intransigeant du 9 juillet, sous le titre de « Supplicieurs de Biribi », la note suivante :

« Un fait monstrueux vient de se passer au camp du 3e bataillon d’Afrique, à Souk-el-Arba.

« Deux chasseurs du bataillon, qui étaient partis sans congé, revenaient, mercredi dernier, se constituer volontairement prisonniers au caporal de garde Gally.

« En présence d’un sergent, ce caporal incarcéra les deux hommes dans une cabane en bois, inhabitable en raison de la température torride que nous venons de traverser. Là, il les attacha la tête au mur, les mains liées aux pieds, dans la position connue sous le nom de crapaudine.

« Un des prisonniers, Urbain Chédel, criant et se lamentant pour demander à boire, Gally lui fit mettre une pierre et un bâillon de bois dans la bouche. Le malheureux ne tarda pas à périr asphyxié. « C’est alors que l’odieux caporal Gally détacha le prisonnier survivant.

« Chédel fut inhumé le lendemain. »

Pense-t-on que l’ignoble brute sera punie ? Croit-on que l’on ouvrira seulement une enquête ? Quant à moi, j’avoue franchement que je ne crois nullement à un châtiment, d’abord, de l’assassin de cet homme, ensuite à une enquête.

J’ai tellement vu de victimes, – pauvres hères torturés, – jurant de se venger, mais, quelques instants après ces serments, d’accord à dire que la brute qui les frappait avait quelquefois raison, et qu’au fond c’était un bon type.

J’ai eu si souvent sous les yeux le tableau de la force brutale triomphant toujours ; je sais qu’il s’est commis tant d’atrocités au nom de la discipline et je sais aussi que, là-bas, il y a bon nombre de cadavres dont les os blanchissent au soleil, que je ne crois pas du tout à la répression de ces crimes.

Et pourquoi nomme-t-on le caporal Gally ?

Sans doute parce que ce n’est qu’un tout petit galonné, et comme les atrocités dénoncées à l’opinion publique, il y a quelque temps, font quelque peu de tapage, on s’est bien vite emparé de ce fait, et l’on s’est empressé de stigmatiser ainsi qu’il convient l’assassin du soldat Chédel.

Mais pense-t-on que ces faits sont excessivement rares ? A-t-on la naïveté de croire que ce caporal fait exception dans ce bataillon de parias ?

J’affirme hautement que, dans les cadres, les neuf dixièmes sont des assassins, et je pourrais le prouver quand on le voudra.

D’abord, le commandant Racine, celui qui inflige, à tout propos, la monstrueuse punition de vingt-huit jours de cellule de correction ; celui qui, par sa sévérité excessive, participe, dans une large mesure, aux nombreuses désertions de ses hommes ; celui qui menace d’exposer sur un tas de fumier le cadavre de pauvres diables qui, cerveaux faibles, se suicident parce qu’ils sont à bout de résistance ; celui qui, se croyant, tout permis, fait sonner la retraite tous les soirs à 7 heures 1/2 et fait faire l’appel à 8 heures, alors qu’en tout temps l’appel a lieu à 9 heures.

Et les officiers qui viennent ensuite. J’en ai rencontré, il est vrai, quelques-uns de bons, mais, combien rares, hélas !

L’on parle du caporal Gally qui a tué ! Est-ce que le commandant Schmitelin n’a pas tué le chasseur Maudet en 1891 ?

Est-ce que le soldat Maudet, qui était idiot, n’était pas toujours en cellule ?

Est-ce que, d’après le rapport du major Verdier, le soldat Maudet n’est pas mort en novembre 91, par suite d’un séjour trop prolongé dans les locaux disciplinaires ?

Je ne parle pas de tous ceux qu’il a fait passer au conseil de guerre et qui pourrissent encore aux pénitenciers ou aux travaux publics.

Et l’adjudant-major Barbier ?

Celui qui devait veiller aux locaux disciplinaires, alors qu’il laissait les punis 60 jours coucher sur la terre, avec les mêmes effets, de telle sorte qu’ils étaient dévorés par la vermine et que cette saleté entraînait tout un cortège de maladies.

Et le capitaine Poymiro ?

Celui qui fait attacher des hommes qui viennent de Biskra au Kef, après 22 rudes étapes, sous prétexte qu’ils ont égaré un bouton de capote, ou qu’ils ont tourné les talons de leurs souliers.

N’est-ce pas le même capitaine, qui ne voulait pas que le soldat Chigot fût à sa compagnie, mais toujours en prison ? Et il y était, sans aucun motif, car cette brute ayant tous les droits en trouvait toujours un, ce qui valut à ce malheureux un an de rabiot dans ce bagne qu’on appelle la section de discipline.

Et le lieutenant Marc de Cressin ?

N’est-ce pas celui qui a assassiné ce chasseur qui, malade, implorait une journée de repos ?

N’est-ce pas ce noble lieutenant qui le força à travailler jusqu’à 6 heures du soir, quand deux heures et demie plus tard sa victime expirait ?

Et ce monstre à face humaine, le sergent Comptour, qui, non content de frapper et de torturer les hommes, fit mourir de faim les chasseurs Frévent et Dubulle !

Et l’adjudant Ricaud ? C’est bien celui qui, là-bas, détient le record de la sauvagerie, de la brutalité et de la férocité. Combien de crimes sur sa conscience !

Il est vrai qu’il ne s’en rend pas compte : ils n’ont pas de conscience, ces gens-là.

Et combien d’autres encore !

Je cite ici quelques noms, mais ce serait grave erreur de croire que si l’on supprimait ces brutes de l’armée, les atrocités ne continueraient pas.

C’est le règlement tout entier qu’il faut anéantir ; c’est surtout cet idiot principe d’autorité qui permet à un individu de faire emprisonner et de torturer son ennemi, ou de faire fusiller son camarade.

Moi aussi, là-bas, j’ai eu de l’autorité sur les hommes ; moi aussi, j’ai quelquefois abusé de mes droits, et je me souviens qu’une fois, un soldat nommé Défenin, qui avait eu à souffrir des vexations et des brutalités des galonnés, avait juré de frapper le premier gradé venu qui mettrait la main sur lui.

Or, un jour qu’à l’exercice il se trouvait dans ma classe, je me permis de lui faire fléchir les jambes pour la charmante et utile position de l’escrime à la baïonnette. Il se rua sur moi, me lança un coup de poing sur la figure ; j’eus la lèvre fendue : il y eut effusion de sang.

Donc, au point de vue légal, c’était la peine de mort. Je ne punis même pas d’une corvée supplémentaire le soldat Défenin, le trouvant en moi-même admirable.

Pour mon compte, je fus signalé par la suite comme peu énergique, ayant très peu d’autorité sur les hommes et comme indiscipliné.

Le caporal Gally, que j’ai connu, était noté comme énergique et bon serviteur.

D’ici le départ de la classe, il faut s’attendre à sa nomination de sous-officier.

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