SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 16


Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)

– Allez demander au procureur si on peut lui porter du bouillon ou du lait, dit Boule de Suif à un gendarme.

Deux minutes après:

– Il a dit que vous boirez demain. Il n’a pas le temps, me dit le gendarme au retour de sa mission.

Alors, chose à noter, les gendarmes qui me tenaient m’offrirent gracieusement du pain, des charcuteries, des viandes froides, ainsi que du vin, restant de leur déjeuner. Mais, j’étais loin d’avoir faim. J’aurais été bien en peine, je crois, s’il m’avait fallu avaler un morceau de pain ; je doute qu’il fût passé tant mon gosier était sec. Je les remerciai donc.

– Buvez donc un coup de vin, tonnerre ! Vous devez avoir soif depuis que vous fumez, insista l’un d’eux en me présentant le verre aux trois quarts plein.

J’acceptai. Le gosier légèrement rafraîchi, je mis à profit la bonne disposition de mes gardiens pour les questionner à mon tour. J’étais curieux de connaître le résultat du stratagème des cartes commerciales. Bonassement, je leur racontai la chose.

– Nous avons coupé en plein dans le panneau, me dit l’un de ceux qui avaient suivi cette piste. Jusqu’à Limeux nous avons suivi votre trace ; mais après… macache ! plus rien… rien de rien.
– Tu oublies le vieux paysan que nous avons rencontré, lui fit remarquer celui qui l’avait accompagné dans les recherches.
– Ah ! oui, ce vieux kroumir ?… Bah ! ce bonhomme-là et rien, c’est kif-kif.

Il fit une pause, aspira quelques bouffées de sa cigarette, puis reprit :

– Figurez-vous qu’on lui demande s’il a vu un homme comme ci, comme ça… votre signalement quoi. Il nous regarde en rigolant… l’air de se payer notre tête, parole d’honneur ; puis, nous baragouine qu’il a vu l’homme en question là-bas, là-bas, et il nous indiquait la route vers Abbeville. Or sachez que nous en venions… Vous voyez qu’il ne nous a pas été beaucoup utile ce lascar-là, pas vrai ? Un vieux fou, quoi !

Comme l’on s’en doute, je me gardai bien de leur dire que j’avais rencontré ce paysan et lui avais causé. La vieille branche de père éternel, fidèle à sa promesse, ne m’avait pas dénoncé ; bien plus, il les avait induits en erreur. Le brave homme.

– Ainsi, repris-je, puisque vous n’avez pas dépassé Limeux, vous n’avez pas dû trouver ma longue-vue ?
– Non, pas encore. Mais nous la trouverons, ne vous épatez pas.
– Oui, si personne ne la trouve avant nous, intervint en riant l’un des gendarmes.
– N’empêche que c’est moi qui vous ai vu le premier de tous que nous sommes ici, me dit un autre qui était arrivé depuis peu.
– Comment ça ? lui demanda l’un de ses confrères.
– Ce matin, lorsqu’ils étaient chez Deneux en train de siroter leurs bistouilles.
– Il n’y avait encore rien de fait ? lui demanda celui qui me tenait la main gauche.
– Pour sûr, pardienne !

Puis, souriant largement, il reprit :

– Bien plus ; nous les prenions pour des ambulants. Faut vous dire que c’est Nacavant qui nous avait soufflé ça dans l’oreille, en passant la barrière ; et, comme il en vient souvent pour attendre le passage des fraudeurs qui vont à Fontaines, ma foi, ça nous a paru tout naturel…
– Puis, voilà-t-y pas, qu’en rentrant à la boîte, on vient nous avertir qu’il y a un agent de police de tué… Vous parlez d’une tête que nous avons faite, nous qui venions de passer à la gare il n’y avait pas un quart d’heure. Bon sang de bon sang ! que je me disais. C’est-y possible… Puis vous savez le reste, quoi : télégraphe par-ci, téléphone par-là… toute la maistrance sens dessus dessous… En avons-nous bouffé des kilomètres depuis ce matin… Et la boue et la pluie, piste devant, piste derrière… non, je le dis de franc cœur, encore un jour comme ça et je démissionne.

Lorsque ce «rouspéteur» eut fini de parler, j’allais alimenter la conversation afin de savoir la foi qu’il fallait ajouter à la nouvelle de l’arrestation de mes camarades ; mais j’en fus empêché par l’arrivée de… de… devinez qui ? De Mas, Mas le mouchard, Mas la casserole, Mas le policier amateur.

Planté au milieu de la pièce, bas son masque de sportman, le regard puant de fausseté et de bêtise.

– Tu m’as pas reconnu sur l’automobile, hé ! hé ! hé ! Mais moi je t’ai bien reconnu, hé ! hé ! hé ! me dit-il en riant.

Sur le coup, je reconnus le paquet de viande que j’avais rencontré sortant de la gare.

– Quoi ! vous avez le front de vous glorifier de votre dénonciation ? lui dis-je en le toisant avec mépris.
– Oui, je m’en glorifie, canaille !

Si j’avais eu les mains libres, nul doute que je lui eusse sauté dessus pour l’écraser comme une punaise ; mais j’étais enchaîné…

– Va-t’en fumier ! lui criai-je en colère. Tu me donnes des nausées de dégoût, pourriture !…

J’étais tellement surexcité que les gendarmes le firent déguerpir en le bousculant un peu, de crainte que je cherchasse à lui sauter dessus.

– Calmez-vous, me dit un gendarme. Je suis de votre avis, moi. C’est un salopiaut. Quand on est pas gendarme, on s’occupe pas de ces histoires-là. Pas vrai ?

Assurément, ce fier empoigneur ne pensait pas un mot de ce qu’il venait de me dire ; son langage n’était dû qu’à la crainte de me voir emballer.

Mon dénonciateur n’était pas plus tôt parti que ce fut le tour du patron de l’auberge à venir me dévisager.

– C’est bien lui, dit-il à l’un des gendarmes, tout en me regardant en riant.

Puis s’adressant à moi :

(A suivre).

Nous rappelons qu’on peut se procurer à GERMINAL les numéros parus des « Souvenirs de Jacob ».

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