SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 13


Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)

«Le premier coup au gendarme, le second au procureur ; quant aux autres, ils me tournent le dos : je verrai ce qu’il faudra faire», me disais-je en me causant à moi-même.

Et, tout doucement, petit à petit, je sortais mon revolver de la poche, en le tenant caché dans la manche afin de le dérober à leur regard.

Enfin… le voilà sorti. Je l’avais en main, le doigt sur la détente, mirant l’oreille du brigadier comme but afin de le foudroyer d’un seul coup, lorsque soudain, un cahot de l’automobile, plus violent que les autres, me jeta violemment sur le gendarme. Instinctivement, j’avançais la main pour me cramponner et, le revolver échappé de ma main tomba sur le couvercle d’un panier d’osier où j’étais appuyé, puis, par ricochet il dégringola sur la route…

Je ne saurais décrire l’effet moral que me produisit cet accident.

Comme un noyé qui voit subitement disparaître l’épave, la planche de salut, qu’il cherchait d’atteindre depuis des heures en luttant contre la fureur des flots. Je demeurai abattu, consterné, démoralisé. Quelques minutes après, lorsque l’équilibre moral se rétablit dans mon cerveau, il n’était plus temps d’agir. Nous arrivions à Pont-Rémy.

L’automobile n’eut pas plutôt franchi la barrière du passage à niveau que le murmure de la foule vint me lécher les oreilles. Les «Hue ! Ah ! Ha ! Hou !» s’entrechoquaient pareils à des projectiles se rencontrant dans leurs trajectoires.

Ils étaient là, maintenus en respect par plusieurs gendarmes à pied et à cheval, quelques centaines de pauvres bougres, mâles et femelles, au corps décharné, au visage hâve, vraies têtes de naufragés claquant les dents de faim, ruisselants de misère, se faisant des gorges chaudes de mon arrestation.

– On le tient le bandit !
– Hou ! le brigand !
– C’est-y lui ? Oh oui, c’est lui ! c’est bien lui !

Ils ne m’avaient jamais vu !…

Les plus hardis s’approchèrent tout près de la voiture, me montrant les poings.

– Tu y es ? Hé ! canaille !…

Pauvres diables !

Je n’eus pas le temps de mettre le pied à terre que je fus pris, empoigné, enchaîné, fouillé et entouré d’au moins huit gendarmes. Aussitôt, quelques témoins parmi lesquels se trouvaient Nacavant et son collègue Ruffier vinrent me dévisager en plein air, au milieu de la place, en face la gare ; puis on me dirigea vers l’auberge où le matin, moi, mes camarades et Nacavant avions pris le café. Après avoir monté quelques marches d’un escalier étroit, nous arrivâmes dans une chambre très exiguë où le brigadier Anquier était couché sur un lit, entouré de sa femme et de quelques personnes. Il me reconnut formellement.

Pendant cette courte confrontation, je regardai curieusement la figure du juge d’instruction. La tête (oh! cette tête !) que je ne puis mieux comparer aux caricatures de Daumier représentant la hure de Louis-Philippe, en conformation piriforme, me remémora si fortement les œuvres d’art de cet artiste que je ne pus m’empêcher de sourire. Lui, croyant sans doute que je me moquais du sort de son laquais, me foudroya d’un terrible regard en développant tout le jeu de ses paupières. Tous ceux qui le connaissent conviendront avec moi, j’espère, qu’il fallut que je fusse robuste pour recevoir un pareil coup d’œil sans broncher.

Cette formalité accomplie, on me mena à la gare. Comme la puissance attractive du satellite de la Terre sur les flots, mon passage produisit le flux populaire.

Et, les cris, les huées recommencèrent. Le trajet n’était pas long ; nous fûmes bientôt rendus. Malheureusement pour mes gardiens, à cette époque, les gares n’étaient pas disposées en bastilles. Il y avait la salle des évacuations, la salle des pas perdus, la salle des bagages, voire la salle de la consigne des bagages ; mais il n’y avait pas de salle pour consigner les prisonniers. En est-il encore ainsi aujourd’hui ? C’est possible, tant l’incurie des dirigeants est grande. Affreuse lacune ! Que messieurs les proprios y réfléchissent.

De crainte qu’à force d’en perdre je finisse par en gagner, mes gardiens n’eurent aucune confiance dans la salle des pas perdus. On me consigna donc comme le plus vulgaire des colis : salle des bagages.

Là, je me trouvai entouré de tout ce que la région picarde possédait de mieux en fait de gent empoigneuse. Messieurs les grippe-cambrioleurs me tenaient serré. Quelle sainte frousse, mes enfants !

L’un d’eux, un maréchal des logis, recevait les ordres de son capitaine et les transmettait à ses sous-ordres. Quel drôle de type que ce maréchal des logis. Figurez-vous un demi-muid planté sur deux petites quilles ayant pour tête une pastèque et orné de deux petites ailes de sémaphore en guise de bras. Décorez ce tout de la livrée d’un gendarme et vous aurez une idée du poitrail de ce fier empoigneur. Une vraie boule de suif, quoi, Jeanne Bloch est un sylphe à côté de lui.

En conversant avec ses collègues j’appris qu’il était marié.

– Pauvre femme ! Faut-il qu’elle en ait de la respiration pour supporter un pareil colis, soupirai-je dans l’oreille d’un gendarme.
– Cocagne ! sa femme, me dit-il. Elle peut se mettre dessus. Mais son cheval…
– Au fait, je n’y avais pas songé. La pauvre bête ! Et la Société protectrice des animaux tolère ces choses-là? lui demandai-je, indigné.

L’arrivée de Poil de Carotte m’empêcha d’obtenir une réponse. Il venait procéder à mon interrogatoire d’identité.

La physionomie, ses manières, sa démarche, le son de sa voix, tout cela mêlé à l’arrogance de ses questions pissait tellement le bon gendarme, c’est-à-dire une bonne brute, que je me plus à le mystifier.

Rien qu’à voir son faciès de chien happeur, on comprenait un de ces fidèles serviteurs pour qui toute l’existence se résume dans ce mot : la consigne.

(A suivre).

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