Michael und Alexandré-Marius : 3e partie


Un forçat dessiné en 1928 par Georges JauneauDans cette dernière partie de la brochure, Die Lebens-geschichte eines anarchistichen Diebes, Michael Halfbrodt nous narre le bagne de Barrabas et son retour en métropole. Pas de nouveauté à l’horizon de l’historiographie jacobienne si ce n’est, nous l’avons déjà dit, le souvenir de Léo Malet, créateur de Nestor Burma, sur l’honnête cambrioleur en retraite. Nous trouverons en revanche beaucoup d’erreurs sur la Guyane et sur la vie du vieux Marius, marchand forain dans le Berry, oppressé par la capitale.

En colonie pénitentiaire

En novembre 1905, dans des conditions de sécurité très strictes, Jacob est transféré de la prison d’Orléans vers la ville insulaire de Saint-Martin-de-Ré tout d’abord, qui n’est qu’une étape intermédiaire sur le chemin de la Guyane. Le Procureur de la République avait doté son dossier de la remarque manuscrite suivante: « Bandit extrêmement dangereux. Doit faire l’objet d’une surveillance particulière » et le Ministre de l’Intérieur avait tenu à ordonner personnellement dans une note jointe: « Isoler cet anarchiste de la pire espèce des autres bagnards. Ne lever l’internement sous aucun prétexte. » Le 22 décembre, en même temps que 800 codétenus, Jacob est conduit à bord de la Loire. 16 jours plus tard, ils sont en Guyane. Celui qui arrive sur la  terre ferme peut s’estimer heureux. Les îles sont réservées aux cas difficiles. Et, parmi ces îles, Saint-Joseph est la plus terrible. C’est ici que débarque Jacob.

La Guyane, c’est la « Guillotine sèche ». Ici, bien avant les camps de concentration nazis, on pratique à la perfection l’extermination systématique. 700 détenus meurent chaque année, du climat, des travaux forcés, du manque de nourriture, de soins médicaux catastrophiques (ou simplement inexistants), ou sont assassinés par des codétenus ou des gardiens – sans compter ceux qui périssent lors de tentatives d’évasion. L’administration s’efforce d’ajuster à peu près le taux de mortalité annuel au nombre des nouveaux arrivants de sorte que l’effectif total de 6000 bagnards reste constant. L’espérance de vie d’un prisonnier jeune et robuste est en moyenne de 5 ans. Jacob survivra ici plus de 20 ans.

Sa première tâche consiste à se faire respecter. Il a l’avantage d’avoir été précédé par une solide réputation. Parmi les bagnards se trouvent de nombreux anarchistes qui l’accueillent en héros. En plus de ce « pouvoir du chef », ce sont avant tout ses qualités personnelles – sa fermeté face à l' »ennemi » (l’appareil du camp), sa loyauté, son éternelle bonne humeur, sa serviabilité – qui font de Jacob en un temps record un « meneur » incontesté sur l' »Ile du diable ». De plus, Jacob se met à étudier le droit pénal: « Il faut connaître les règles et les lois pour pouvoir mieux les contourner. » Voilà son commentaire. Jacob devient « juge de paix », conseiller juridique, médiateur en cas de conflits, autorité dans toutes les questions vitales. Ce faisant, il est promu presque automatiquement au rang d’ennemi n°1 de la direction du camp. Le commandant et le personnel de garde vont se liguer contre lui et lui livrer une guérilla sans merci. Toute occasion et tout prétexte sont bons à prendre pour le placer en détention cellulaire, c’est-à-dire dans une cellule de 1,40 m de long et 2 m de haut, avec des barreaux en guise de plafond, exposé au soleil dans la journée, les fers aux pieds la nuit.

Malgré ces conditions extrêmes, Jacob va même, à l’aide de lettres codées, jusqu’à garder le contact avec ses amis de France. Ils doivent l’aider à préparer son évasion. Il a un plan qui comprend plusieurs étapes. Il s’agit d’abord de devenir prisonnier de « 1ère classe ». Ce statut est attribué à tout détenu ayant échappé à toute sanction disciplinaire pendant au moins 18 mois. Ce qui signifie: rester calme et passer inaperçu. Le point suivant incombe à son ami Malato à Paris. À lui de trouver une femme prête à se marier avec Jacob. Car un bagnard marié de « 1ère classe » a droit à l’attribution d’un bout de forêt vierge à cultiver. Ainsi il aurait une marge de manœuvre suffisante pour se construire secrètement un radeau et atteindre les côtes de l’Amérique latine (ex-matelot qu’il est, ses connaissances nautiques devraient suffire). Malheureusement, les gardiens trouvent son comportement réservé plutôt suspect. Au cours d’une fouille dans les cellules, ils trouvent un message codé. Finis les rêves d’évasion rapide.

Les deux tentatives d’évasion suivantes, en septembre et novembre 1908, sont éventées. À chaque fois, et pour plusieurs semaines, Jacob se retrouve au « trou ». Ce n’est pas une cellule mais plutôt, d’après la fonction et les dimensions, un cercueil. Un cachot complètement noir, juste assez grand pour le corps. Un trou minuscule à hauteur du sol pour respirer. Deux sorties de 5 minutes par jour pour pisser. Nourriture: pain sec et eau, 2 jours sur 3.

un fagot, dessin de Georges Jauneau 1928 Entre-temps, son vieil ami Ferrand a été transféré dans le même baraquement. Tous les deux, Jacob et Ferrand, poignardent quelque temps après un codétenu qui avait tenté de les empoisonner. Ils sont accusés de meurtre et traduits devant un tribunal spécial siégeant sur une île voisine. Il ne fait aucun doute qu’ils ont agi en état de légitime défense, pourtant: 5 années de détention en cellule pour Jacob et 3 pour Ferrand. Pratiquement une condamnation à mort!

Les événements se bousculent. Au retour ils sont témoins du meurtre d’un prisonnier par un gardien. Ferrand perd la tête et saute par-dessus bord, mais il est repêché. Jacob, lui, dépose plainte auprès du Ministre de la Justice en personne pour meurtre avec préméditation. Le résultat était à prévoir : le meurtrier bénéficie d’une promotion et, en plus, Jacob est poursuivi pour diffamation.

Mais Jacob a d’abord de la chance. La cour d’appel casse le jugement dans le procès pour meurtre. La nouvelle procédure requalifie les faits en coups et blessures ayant entraîné la mort, la peine est réduite à deux ans pour les deux accusés. Pour la diffamation, Jacob est acquitté. Quant à Ferrand, pour son plongeon désespéré dans la mer, il écope d’une année supplémentaire – il n’y survivra pas.

Jacob est lui aussi à bout physiquement. Il ne pouvait plus comparaître à la barre qu’allongé sur une civière. La dysenterie qui le ronge depuis longtemps déjà empire de jour en jour. Il a perdu la moitié de son poids normal et ne pèse plus que 40 kg. Un médecin militaire de passage est si effrayé par son état qu’il prescrit un transfert immédiat dans un hôpital. Le directeur refuse. Jacob présente une requête pour obtenir au moins du lait concentré. Mais même cela lui est refusé. On est manifestement décidé à le laisser crever.

En dernier ressort, il demande à sa mère d’intervenir auprès du Ministre chargé des affaires coloniales. La réponse est une lettre cynique: « Les services de santé de l’établissement pénitentiaire se préoccupent avec toute la sollicitude souhaitable de l’état sanitaire des malades. Soyez assurée que si le détenu avait besoin de lait on lui en donnerait aussitôt.« 

Quoi qu’il en soit, cette intervention fait comprendre en haut lieu que Jacob n’est pas complètement oublié en France et que sa mort pourrait déclencher un scandale. La perspective d’être accusé par la presse de non assistance à personne en danger détermine finalement le médecin responsable, littéralement à la dernière seconde, à transférer Jacob mourant dans une cellule sanitaire. Il faudra 6 mois pour que la crise soit surmontée.

Suivent de nouvelles tentatives d’évasion, également vouées à l’échec. En janvier 1913, 4ème comparution devant le tribunal spécial, pour complicité d’évasion. Aucune preuve de sa culpabilité ne peut être apportée. Acquitté!

Arbeit macht frei en Guyane Ensuite, la guerre. La vague patriotique gagne aussi les colonies pénitentiaires. Mais pas Jacob: « Je ne suis et je ne peux pas être un patriote, car je n’ai rien à défendre » écrit-il à sa mère. Pourtant, dans une requête adressée au Ministre chargé des affaires coloniales, il expose toutes les raisons favorables à l’incorporation des bagnards, non pas par conviction personnelle, mais pour faire plaisir à ses codétenus qui trouvent bien plus prometteur de finir sacrifiés dans un bataillon disciplinaire que de crever à petit feu en Guyane. Jacob lui-même éprouve ce sentiment de désespoir: « Ce qui est triste, ce qui est regrettable, ce qui est absolument déplorable, c’est cette mort qu’on se donne à chaque instant, cette mort lente, à petit feu, qu’on appelle la vie tranquille, cette vie de claustration que vivent les moines, les escargots et les bagnards.« 

Deux autres tentatives d’évasion avortent, comme toutes les précédentes, par trahison, tromperie, négligence de ses compagnons d’évasion ou tout simplement par un mauvais coup du sort. En octobre 1917, il entreprend sa dernière tentative. En solitaire cette fois-ci. C’est plus une action désespérée. Sans eau potable, sans provisions, sans armes, rien qu’avec des flotteurs aux bras et aux jambes et une pagaie, il sort dans la mer avec le vague espoir d’atteindre la jungle à l’autre bout de l’île et de pouvoir y construire un radeau. Il perd connaissance dans l’eau froide et, à l’aube, il est rejeté sur le rivage à quelques mètres seulement de son point de départ. Il n’a plus aucune chance de regagner le camp inaperçu. Il ne lui reste plus qu’une échappatoire: il avale du chlorhydrate de morphine pour camoufler son évasion en tentative de suicide – overdose. Il délire pendant quinze jours. Un risque inutile ! On ne croit pas à sa version du suicide et on le condamne à 2 ans de détention cellulaire. Une fois de plus, sa vie est en danger. Il est complètement amaigri, les premiers symptômes de tuberculose osseuse apparaissent. Ses connaissances juridiques vont probablement lui sauver la vie. Il s’appuie sur un paragraphe du règlement pénitentiaire qui stipule qu’une absence inférieure à 12 heures ne peut être assimilée à une tentative d’évasion – et il obtient l’annulation du jugement. Un deuxième procès l’acquittera définitivement. Seul le directeur regimbe encore et lui colle 12 jours d’arrêt pour éloignement non autorisé. Jacob porte plainte et a de la chance. Entre-temps, la guerre s’est terminée. Il tombe sous le coup de l’amnistie qui a été accordée dans l’euphorie générale de la victoire.

Evasion L’annulation de cette dernière condamnation n’a pas, loin s’en faut, qu’une valeur symbolique. Elle lui permet de présenter un casier judiciaire vierge depuis 18 mois. Autrement dit: il peut enfin prétendre être promu dans la catégorie « prisonnier de 1ère classe ».  Cela signifie tout bonnement qu’il peut jouer les garçons de courses pour les plus haut gradés de l’administration, mais, en comparaison de ce qu’il a vécu jusqu’ici, une toute petite amélioration de la nourriture, une toute petite diminution des brimades, c’est aussi une situation vraiment plus paradisiaque. Il fait même « carrière ». De domestique d’un fonctionnaire de surveillance il passe secrétaire particulier du directeur adjoint. Toutefois, il ne s’est arrangé en aucune manière des circonstances. Il prépare en toute discrétion son envol définitif. Les conditions n’ont encore jamais été aussi favorables. Mais les choses n’en arriveront pas là car entre-temps, en France, plusieurs choses ont changé. Le système des colonies pénitentiaires est de plus en plus violemment critiqué par l’opinion publique. Plusieurs fois, des journalistes de renom font le voyage de la Guyane et trouvent en Jacob un interlocuteur des mieux informés. Leurs reportages font grand bruit et ont un effet également sur le plan politique. Lettres ouvertes, pétitions, interpellations au parlement se succèdent. Tout d’un coup, le nom de Jacob revient sur toutes les lèvres. En février 1925 commence une campagne de presse en règle en faveur de sa mise en liberté jusqu’à ce que le succès espéré parvienne enfin à maturité. Son procès est rouvert, la peine est commuée en 5 années de réclusion – à purger en France.

En octobre 1925, Jacob est de retour dans son « pays ». Le chef de l’état réduit sa peine à 2 ans, qu’il exécute entièrement. Le 30 décembre 1928, il est libre. Bilan de 20 années de colonie pénitentiaire: 9 ans de cellule individuelle ou « trou », 7 procès devant la cour du tribunal spécial, 6 acquittements, 17 tentatives d’évasion.

Le cambrioleur en retraite

Jacob vit quelque temps à Paris. Cependant la ville l’oppresse. Avec les économies de sa mère il achète un lot de vêtements de confection et, désormais marchand ambulant, parcourt les marchés de France. Aujourd’hui ici, demain là: après 25 années d’enfermement, c’est exactement le mode de vie qui lui convient. Et les affaires sont florissantes. Bientôt il peut se payer une voiture, une caravane et une tente pour présenter sa marchandise. Plus tard, c’est une maison, et en plus un petit lopin de terre.

Reuilly, jour de marché Marius, comme il se fait appeler maintenant, mène une vie contemplative. Il a perdu cette « conscience de missionnaire » anarchiste qu’il avait dans ses jeunes années, mais pas ses convictions. En juillet 1936, il disparaît pour quelques mois: « Rendre visite à de vieux amis. » En fait, c’est l’insurrection populaire contre le putsch militaire de Franco en Espagne qui lui a donné des ailes. Il n’éprouve aucun besoin pressant de combattre les armes à la main dans une milice anarchiste. Il est convaincu de pouvoir se rendre plus utile en laissant jouer ses bons vieux talents d’organisateur. Il contacte un marchand d’armes bien connu et conclut un marché avec lui: de l’or contre des mitrailleuses. À cause de l’embargo des puissances occidentales, les armes doivent être acheminées secrètement par mer de France en Espagne. Une fois le plan mis au point jusque dans les moindres détails, Jacob va à Barcelone pour le présenter. Mais, à sa grande déception, il ne trouve en arrivant aucun interlocuteur fiable. Les anarchistes sont au front ou occupés à monter une de leurs propres opérations. Le pouvoir est aux mains des sociaux-démocrates et des communistes, qui n’ont aucun intérêt à fournir des armes aux anarchistes. Il retourne en France comme il est venu et reprend sa vie de tous les jours.

Pendant l’Occupation, il ne s’engage pas dans la Résistance. Non pas pour une question d’âge ou par résignation, mais tout simplement parce que, dans un mouvement dominé par les gaullistes et les communistes, il n’y a pas de place pour un vieil anarchiste tel que lui. Ce qui ne l’empêche pas de cacher dans sa maison de nombreux résistants traqués par l’ennemi. C’est à cette période que tombe son dernier séjour en prison. On va lui faire payer cher son refus de prendre part au marché noir et de s’enrichir en profitant de la misère générale pour pratiquer des prix exorbitants. Un fonctionnaire corrompu, qui s’était trompé d’adresse en espérant recevoir des pots de vin de Jacob, le dénonce pour se venger. L’absence d’une facture pouvant prouver l’achat de quelques mètres de tissu suffit à le placer quelques mois derrière les barreaux pour détention illicite de marchandise.

Après la guerre, bien qu’arrivé entre-temps à l’âge de la retraite, Jacob continue son activité sans relâche. Il assiste régulièrement aux réunions anarchistes, se sent particulièrement lié à l’aile antimilitariste et individualiste du mouvement, écrit – sous des pseudonymes – des articles pour la revue « L’Unique » et se trouve dans un état de guérilla permanente avec son vieil ennemi, l’état. Mis en demeure de payer la taxe sur les chiens, il répond: « Je viens de recevoir une injonction de paiement pour Negro, mon chien. Je remplirai mon devoir de contribuable mais je requiers l’attribution d’une carte d’électeur pour Negro. Il n’a jamais menti, ne s’est jamais soûlé, et je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’électeurs dans cette circonscription dont on puisse en dire autant. » Signé: « Marius Alexandre Jacob, cambrioleur en retraite.« 

Dans une lettre à Jean Maitron, qui deviendra plus tard l’historien de l’anarchisme français, Jacob tire en 1948 le bilan de sa vie passée de « hors-la-loi »:

« Je ne crois pas que , dans la société actuelle, l’illégalité puisse libérer l’individu. Même s’il réussit par ce moyen à s’affranchir de quelques dépendances, l’inégalité du combat en entraîne d’autres beaucoup plus lourdes. À la fin, c’est la perte de la liberté – du peu de liberté qu’on a – et, parfois, la perte de la vie. Dans le fond, l’illégalité, considérée comme acte de révolte, est plutôt une affaire de tempérament que de théorie. C’est pourquoi elle ne peut pas non plus avoir une valeur éducative pour l’ensemble des masses laborieuses. J’entends par là une valeur positive.« 

Mort d’un anarchiste

une touriste devant la tombe de Jacob Jacob abandonne son affaire en 1952. Il commence à ressentir les effets de l’âge. C’est le début de la dégénérescence physique : rhumatisme articulaire, crises paralysantes, zona. Il est temps pour lui de se préparer à la mort. Il écrit son testament. Certes, il n’a pas de richesses à léguer, mais une pensée l’obsède : c’est que, faute d’héritier légitime, son bien puisse tomber aux mains de l’état. C’est pourquoi, à l’aide de fausses factures, il transmet à ses amis l’ensemble de ses biens, jusqu’à la dernière fourchette, pour empêcher l’état d’empocher le moindre centime sur les droits de succession.

Son ultime désir : avant de mourir, il voudrait encore une fois coucher avec une femme. Il en a déjà repéré une bien précise. Elle a plus de 30 ans de moins que lui et elle est mariée avec un de ses amis. Il parle avec elle. Il parle avec lui. Les deux sont d’accord. Cela se fait donc. Après cette nuit d’amour, il commence à écrire une série de lettres d’adieu.

« Je vous quitte sans désespoir, le sourire aux lèvres, le cœur en paix. Vous êtes trop jeunes pour pouvoir apprécier le bonheur de prendre congé de la vie en bonne santé et de jouer un bon tour aux infirmités de la vieillesse.« 

Et quelques jours plus tard:

« Aujourd’hui, j’ai donné un petit banquet pour les enfants du village. Il y en avait 9, de 20 mois à 12 ans. Ils s’en sont tous mis plein le ventre.« 

Et enfin:

« Quand tu recevras cette lettre, je ne vivrai plus. Je me suicide un samedi pour que les gens puissent s’occuper du corps un dimanche et que l’habillage et les démarches nécessaires ne les dérangent pas.« 

Il quitte une dernière fois sa maison pour porter la pile de lettres à la poste. Le samedi 28 août 1954, à l’aube, il pique d’abord Negro, son vieux chien décati, puis tout de suite après il s’injecte une ½ ampoule de dérivé de morphine. Avant de s’allonger sur son lit tout frais refait pour mourir, il repense à quelque chose. Et il griffonne sur un bout de papier:

« Lessive lavée, rincée, séchée, mais pas repassée. J’ai eu la flemme. Désolé. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la huche à pain. À votre santé !« 

Die Gescchichte eines anarchistes DiebesSources :

Bernard Thomas, Jacob, Paris, 1970

Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France, Paris, 1975

Léo Malet à propos de Jacob

Jacob était vraiment un être extraordinaire. En 1900, il tenait une quincaillerie Rue Faubourg-de-Courreau à Montpellier, ce qui lui permettait de se faire envoyer différents modèles de coffres-forts par le fabricant Fichet. Il les étudiait dans les moindres détails pour pouvoir ouvrir ceux des autres. Au cours de sa carrière de voleur, il avait développé une autre méthode tout aussi bonne. Quand avec ses camarades – il avait fondé l’association « Travailleurs de la nuit » – il dévalisait une église ou un autre bâtiment isolé, il plaçait sous la gouttière un crapaud qui s’arrêtait de coasser dès que quelqu’un approchait. À 20 ans, à Marseille, il s’était déguisé en commissaire de police pour voler tout une charrette de marchandises à un usurier. Et le plus beau:  en colonie pénitentiaire (après son procès en 1905 à Amiens) il a étudié le droit pour pouvoir intenter des procès à l’administration pénitentiaire. Une personnalité étonnante!

J’ai fait sa connaissance en 1929 à son retour du bagne, quand il a été amnistié. Je l’ai rencontré plusieurs fois à des réunions du groupe des « objecteurs de guerre ».

En novembre 1930, Louis Louvet, Simone Larcher et moi, nous nous décidâmes à rendre visite aux « camarades objecteurs » qui se réunissaient au 1er étage d’un petit bistrot Rue de Meaux. Nous y rencontrâmes deux, trois hommes, l’un d’eux était Jacob. Le bagne ne semblait pas l’avoir marqué, il était rondouillard comme un bon bourgeois et son humour noir était impressionnant. Salutations, discussion. À l’exception d’un petit gars, je connaissais tout le monde. À cette époque, un certain Gaucher (on ne connaissait pas encore son nom) avait agressé un joaillier de l’Avenue Mozart et, dans l’affolement, il l’avait tué. Il était maintenant recherché et Paris Soir avait publié ce jour-là un signalement. Jacob dit au petit gars: « Dis-moi, c’est toi qui as descendu le joaillier de l’Avenue Mozart? »

« Non, pourquoi? »

« Dans la description, c’est marqué que le coupable puait de la bouche… »

Et de fait, on pouvait lire dans le journal « J’ai croisé un jeune homme qui avait mauvaise haleine… »

Plus tard, Jacob était marchand ambulant près de la Porte d’Orléans. Il vendait sur les marchés des costumes de la marque Chez Marius. Un jour, un type s’approche de lui: « Jacob, tu ne me reconnais pas? »

Jacob avait connu beaucoup de monde dans sa vie.

« C’est moi, Couillot, l’agent sur qui tu as tiré à Orléans! »

« Ah, c’est toi? Et qu’est-ce que tu veux? »

« Je voudrais acheter des pantalons. Tu me fais une ristourne? »

Incroyable… l’histoire ne dit pas si Jacob lui a finalement fait une remise.

On raconte que Jacob a servi de modèle à Maurice Leblanc pour Arsène Lupin. À ce propos, les avis sont partagés. Cela restera toujours un mystère que seul Arsène Lupin pourrait éclaircir.

Sur la fin de sa vie, Jacob possédait une petite maison pas très loin d’Orléans. Il était connu et apprécié des enfants du voisinage pour son gâteau fait maison.

En 1954, alors qu’il sentait ses forces le quitter, il empoisonna son chien et se fit lui-même une injection de morphine après avoir nettoyé sa maison de fond en comble.

Il allait avoir 75 ans.

D’après : Léo Malet, Stoff für viele Leben, Hambourg, 1990

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