N’ayez pas peur de la liberté !


L\'Anarchie guidant le peupleL’article C’est la liberté qui fait peur, paru dans le premier numéro de L’Agitateur, n’utilise pas de pseudonyme. Le fait est moins anodin qu’il n’y parait. Trois ans après les lois scélérates, les libertaires, par goût et par précaution, n’abandonnent pas la culture de l’anonymat.

Cela n‘empêche pourtant pas certaines signatures d’apparaître dans le journal marseillais. C’est le cas pour l’article L’Inquisition en Espagne reprenant un papier de Charles Malato ; ça l’est encore avec le bordelais Antoine Antignac que l’on retrouve par deux fois dans cette éphémère troisième version.

François Guy ne dispose certes pas de la réputation et de l’audience de ces deux plumes. Il est tout de même une des figures du mouvement régional, ce qui révèle au demeurant l’espace de diffusion de la publication anarchiste. Mais sa présence aux côtés des agitateurs de la Jeunesses Internationale dénote au regard de son âge. François Guy est né le 12 août 1843.

Cet agriculteur bittérois réside à Marseille au moment de la publication du journal. Il a collaboré à sa deuxième version en 1893. Son texte sur la liberté constitue une longue énumération d’exemples historiques et politiques sur l’utilisation du principe de liberté et sur les dérives de cette pratique politique.

La démonstration de François Guy est alors à rapprocher de la novlangue créée par Georges Orwell dans 1984 (La liberté c’est l’esclavage !). Elle peut aujourd’hui encore résonner. Il y a peu un obscur ministre de l’Intérieur, devenu depuis premier homme de France, mettait médiatiquement en avant la sécurité comme la première des libertés pour chasser, le 26 octobre 2005, les racailles d’Argenteuil. On connaît la suite et ses conséquences policières.

La liberté, nous dit finalement l’auteur de l’article, ne s’use que si l’on ne s’en sert pas, et, surtout, si on laisse les autres s’en servir à notre place.

 

L’Agitateur

N°1

Du 4 au 149 février 1897

C’est la liberté qui fait peur !

Toujours des traits d’esprit, mais jamais  du bon sens ; voilà de quoi nous mourrons.

En montant sur l’échafaud, la girondine madame Roland, s’écriait : « Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! »

Nous estimons que pareille exclamation jetée au vent dans un moment suprême, de vie à trépas, dénote chez l’auteur une philosophie banale et routinière qui, sans résultat aucun, lui fait juger l’effet sans en rechercher la cause.

Eh oui, ma bonne dame, ce qui parait vous effaroucher, n’est que du fatalisme de la lutte ! Les Montagnards au pouvoir, au nom de la liberté, frappèrent les Girondins.

Croyant Marat un tyran, c’est au nom de la liberté que Charlotte Corday le frappa !

Marat au pouvoir, au nom de la liberté, eut frappé l’anarchiste Hébert – qui peut en douter ?

Remontons le cours de l’histoire si haut qu’il nous plaira et nous trouverons toujours la même analogie dans les tyrans du peuple, c’est-à-dire dans ses élus : sous des formes différentes, il est vrai, mais, quand au fond, l’histoire n’est qu’une répétition des mêmes faits.

Partout nous verrons cette inconséquence coupable des peuples en révolte : tous les actes sublimes de dévouement et de grandeur, comme toutes les terreurs du vandalisme et du brigandage, se sont parés du nom Liberté.

Toutes les institutions, toutes les morales, si iniques soient-elles, ont été forgées au nom de la liberté. Et cela depuis les premières monarchies comme dans toutes les religions.

Jusque dans notre suffrage universel ! Dans l’autel et le trône, nous ne verrons aucun tyran qu’il n’ait été élu au nom de la liberté. Si le premier qui fut roi fut un soldat heureux, c’est qu’il avait bien combattu pour la liberté ? Voilà pourquoi le peuple le trouva difgne d’en faire un tyran !

De même aujourd’hui, un candidat qui a souffert pour la liberté, le peuple, avec la même inconséquence criminelle, semble lui dire : Citoyen, tu as voulu nous rendre libre, fais nous des lois, nous te reconnaissons un bon pasteur. Ignorant toujours, ces électeurs bénévoles, que, si bon pasteur que l’on soit, on en mange pas moins ses brebis ; ou pour mieux dire : tout élu devient un tyran !

Si notre ennemi c’est notre maître, il faut en conclure que, dans un pays de suffrage universel, le plus grand ennemi du peuple, capte sa confiance pour le gouverner.

N’est-ce pas au nom de la liberté sociale qu’on nous qualifie de malfaiteurs, à nous les libertaires à l’étendue sans horizon ! à nous les chercheurs de la synthèse humanitaires !

De la liberté, nous faisons parade du nom, mais la chose nous fait peur ! Voilà ce qui nous a plongé dans l’état des lois : état de crimes. C’est que par le doute de son humanité, la liberté a toujours fait peur à l’homme et que, seule, cette peur nous condamne à nous débattre réciproquement dans un bagne intolérable ! Ce que d’aucuns, en grand renom de sapience, appellent : la lutte pour la vie, ce qui, au contraire, on pourrait dire : la lutte pour la mort.

Ce qui cause à tous la désolation, c’est que le moi a peur de la liberté du non moi, et c’est à cette peur, à cet écueil imaginaire qu’a toujours sombré le char du progrès humanitaire. Oui, c’est cette peur que les philosophes les plus sages, les penseurs les plus hardis, n’ont pu franchir dans leur conception incomplète.

Enlevez à l’homme la peur de la liberté de l’homme et, dans moins d’une génération, le mal n’a plus de racines sur la terre. Aucune institution n’a plus sa raison d’être, tout tombe de par lui-même ; l’Etat de mœurs est acquis.

N’est-ce pas par la peur réciproque de la liberté, que les deux plaideurs portent l’huître devant un tiers qui la leur mange ?

Donc, l’Etat, chez lequel chacun demande secours et protection est un tiers qui, logiquement, doit dévorer ce que, par peur de la liberté d’autrui, se disputent les parties.

L’Etat, c’est le chat qui mange le rat d’abord, et le fromage après. Les socialistes – de bonne foi – on pourrait les qualifier ainsi.

Des révolutionnaires non affranchis de la peur de la liberté.

Voilà pourquoi ils croient à la nécessité d’un état. Homme, tu as tout conquis, tout dompté, tout t’appartient, et tu as encore peur d’être libre ! u doutes encore de la fécondité du patrimoine de la nature ! Donnons libre cours à la consommation et nous obtenons de suite une surabondante production.

Regarde, ami, par la peur de la liberté, le progrès n’est qu’un démon.

Ce que tu appelles civilisation, n’est qu’un funeste apprivoisement réciproque, par lequel l’homme ne parait qu’un monstre aux yeux de l’homme ! Espérons qu’après avoir surmené leur cerveau pour la recherche de la vérité, les affranchis de la peur de la liberté trouveront, au moment décisif, assez de muscles pour abolir le gain du mensonge et, ce jour-là, dans une digne satisfaction d’un devoir accompli, nous nous écrierons : Ô sinistre peur de la liberté, seul moteur de tous les crime de lèse-humanité, nous t’avons jeté bas ! Homme dresses-toi !

François Guy

 

D’après René Bianco

La presse anarchiste dans les Bouches du Rhône

p.90 :

GUY François  est né le 12 août 1843 à Béziers (Hérault). Il exerce la profession de cultivateur. Il habite d’abord Béziers, 60 avenue de Bedarieux puis vient s’installer à Marseille. Il loge successivement dans un garni, 45 rue Curiol (en 1896), puis 16 rue Pierre qui rage et enfin 43 rue Charras. Déjà collaborateur de L’Agitateur en 1893, il publie en avril 1897 un numéro unique d’un journal intitulé « Pamphlet d’un jour, philosophie moderne sur l’invention d’un dieu« . Il meurt à l’Hôtel dieu où il était en traitement le 13 décembre 1899.

Tags: , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (8 votes, moyenne: 4,13 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur