Fumiers de socialistes !


Une fois encore, L’Agitateur, organe de la Jeunesse Internationale de Marseille, utilise dans ses éphémères colonnes l’actualité pour verser dans le discours généraliste et didactique, pour mettre en avant la justesse des idées et des principes libertaires. Mais il est des textes qui ne prennent pas une ride et semblent contredire l’axiome chimique de Lavoisier : rien ne disparaît, tout se transforme. Celui du dénommé Pertuis dans le 1er numéro de ce journal pourrait très bien se transposer de nos jours et s’appliquer aux éléphantesques dirigeants français du Parti Socialiste ainsi qu’à leurs basses et navrantes manœuvres électoralistes. Le 3 janvier 1897, le « bon docteur Flaissières », du quartier de l’Endoume à Marseille et maire de la cité phocéenne depuis cinq ans, essuie un échec retentissant aux élections sénatoriales.

Celles-ci, organisées à la suite du décès subit le 26 octobre 1896 de Paul Challemel-Lacourt, voit la victoire au second tour du radical Victor Leydet. Le socialiste collectiviste Siméon Flaissières est éliminé dès le 1er tour avec seulement 90 suffrages des 414 votants. Mais si l’anonyme Pertuis  dénonce avec véhémence l’ambition de Flaissières (auquel fera appel Marie Jacob pour faire libérer son bagnard de fils Alexandre bien des années plus tard), ce n’est aussi que prétexte. Il s’agit encore et toujours de montrer, par l’exemple, l’inutilité de la farce électorale mais surtout la disproportion flagrante entre le discours et les actes des socialistes dits autoritaires, n’aspirant qu’à la seule gestion d’un pouvoir qu’ils espèrent obtenir en caressant les masses prolétarisées dans le sens du poil. La Révolution émancipatrice ne peut s’éloigner que d’autant et l’horizon de devenir chimérique. Fumiers de socialauds !

L’Agitateur

N°1

Du 4 au 19 février 1897

Un ennemi du Sénat

De maire pour devenir sénateur est un saut assez prodigieux, mais aussi assez rémunérateur pour qu’on tente de l’essayer.

Ce n’était rien moins que le désir du citoyen Flaissières, maire de Marseille, qui convoitait l’honneur d’aller siéger parmi les honorables et invulnérables têtes de veau de la Triperie sénatoriale.

On sait les résultats ; le 3 janvier 1897 lui fit cadeau d’une veste électorale à doublure assez forte pour le garantir contre les intempéries de la saison.

Dans un discours très emphatique devant la masse panurgienne de ces animaux irraisonnés qui ont nom électeurs, l’ex candidat du Sénat, dis-je en bon disciple d’Esculape, et en bon médicastre politicien leur a servi le plus naturellement du monde force discours assaisonné du Tout à l’égout.

Le moyen le plus sûr et le plus efficace, disait-il, pour démanteler une place forte est de s’y introduire dedans. Que vous eussiez pu vous emparer de cette redoutable forteresse qu’est le Sénat, et dont le siège n’eut pu vous coûter la vie, cela ne fait pas l’ombre d’un doute ; mais pour le détruire c’est autre chose, car on ne rentre dans une place que pour jouir des mêmes avantages que celui que l’on vient de remplacer.

Ah ! citoyen Flaissières, aspirer à devenir sénateur pour tomber le Sénat, c’est à peu de choses près comme le chien qui poursuit son ombre.

En votre qualité de maire socialiste de Marseille, avez-vous fait des actes qui soient en rapport avec la soi-disant cause que vous défendez ? Non, n’est-ce pas, car ayant des privilèges à défendre, vous ne pouvez rien moins faire que de marcher la main dans la main avec les privilégiés, et cela en vous décorant du nom de  Socialiste-Révolutionnaire, défenseur de la cause prolétarienne.

Vos arlequinades me porteraient à rire si ce n’était qu’elles maintiennent l’asservissement des classes productrices.

Vous socialistes, qui jetez à profusion les germes de discordes entre les hommes, qui ne sont différents que par leur langage, perpétuez ainsi les divisions entre travailleurs qui s’éloignent du but à atteindre : la déroute du Capital.

Vous socialistes, dont toute la lutte se porte vers un objectif : la conquête des pouvoirs publics.

Allons donc, nom pompeux joint aux hâbleries politicardes, qui vous permet maintes fois de décrocher une timbale électorale. Le peuple n’est pour vous que quantité négligeable, il est vrai qu’il n’a pas de quoi payer vos appétits de jouisseurs.

Aussi faut-il pouvoir penser chez ceux qui sont en odeur de sainteté chez le Dieu Capital.

C’est ce que démontre votre arrêté contre les marchands ambulants, dont les petites patentes ne peuvent combler le gouffre de l’Hôtel de Ville.

Seul les magasiniers, grands ou petits capitalistes, ont droit à votre égard et vous devez par conséquent ménager leurs intérêts, en sacrifiant ceux qui étaient un empêchement à leur commerce. Vous jetez ainsi sur le pavé des centaines de pauvres gens que votre arrêté allait plonger dans la plus noire misère.

Mais cela vous importe peu, qu’est-ce que le respect de la vie humaine à côté du scintillement de l’or ?

Autoritaire vous êtes et à ce titre nous, Anarchistes, qui ne voulons pas d’autorité, vous combattons. Du reste, quel est le rôle d’un gouvernement : maintenir par la force les privilèges qu’il s’est accaparé soit par la ruse ou par la violence. Et le rôle du législateur n’est-il pas de capter la confiance des crédules qui à l’instar de Tartempion, promettant la lune se font des rentes sur les souffrances d’autrui. Faire des lois et en cimenter les assises par le sang de ceux qu’elles écrasent et n’en pas subir les atteintes, tel est le rôle du législateur.

Depuis 25 ou 26 ans que le gouvernement républicain détient le pouvoir, il est resté un gouvernement d’étiquette dites-vous. Vous et vos amis, une fois arrivés au pouvoir, et consacrant toute votre activité au peuple, pourriez-vous supprimer les souffrances humaines ; travaillez-vous seulement à la suppression de l’inégalité des conditions. Empêchez-vous cette lutte pour la vie qui n’est que la lutte pour la mort. Mettez-vous fin à cet antagonisme qui, pareil aux bêtes fauves, nous fait entre-dévorer les uns les autres et nous empêche de voir les causes de notre mal ?

Non, n’est-ce pas, car il n’est pas en notre pouvoir ; seul l’individu est à même de conquérir sa place de bonheur, lorsqu’il saura se passer de votre intermédiaire.

Du reste, si petite minorité vous êtes, vous avez en maintes occasions démontré la demi mesure de votre savoir qui se terminera par la fusillade de vos ennemis les Anarchistes lorsque vous aurez le pouvoir.

Ce n’est pas, citoyen Flaissières, en collant votre étiquette sur la multitude d’autres, que vous empêcherez l’effet dévastateur du fruit empoisonné qui s’appelle l’Autorité. Ce qu’il faut c’est la détruire jusqu’à ses derniers fondements.

Ce qu’il faut c’est vous montrer au peuple ce que vous êtes : des exploiteurs de la crédulité publique.

Un soi-disant grand homme d’état a dit : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! ». Moi je tourne l’aphorisme et je dis : Le politicien, voilà l’ennemi !

Car la politique est le fumier par excellence sur lequel pousse toutes les iniquités sociales

Pertuis

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