The wave


L’industrie du sac plastique a surfé et prospéré sur la vague de l’affaire Grégory. La presse locale, régionale, nationale a suivi le mouvement, emportée comme les rats par le joueur de flutte, bien que l’on attende toujours l’arrivée du mascaret sur la Vologne. The Arlésian Wave. Comme dans Point Break … mais en eau douce. Cela fait belle lurette que la vague du fait divers inonde les torchons de tous pays. C’est ce que nous dit en substance l’article Le p’tit Grégory de la rubrique Faux amis de CQFD qui, comme Jacob à l’époque de son procès à Amiens en mars 1905, peut se vanter d’être de Marseille.

Le papier de  cet excellent canard , n°72, 16 novembre 2009, analyse les tenants et les aboutissants d’une rubrique journalistique à partir de l’émoi qu’a pu susciter et que peut susciter encore la masse flottante d’un marmot dans une rivière vosgienne en octobre 1984.

L’auteur nous rappelle alors que l’actualité, savamment orchestrée, a de tout temps fait partie du jeu de la manipulation politique. Cela est vrai pour l’élection présidentielle de 2002. Cela l’était tout autant pendant la soi-disant Belle Epoque. Certes la rubrique fait-divers s’est depuis ces temps antédiluviens largement diversifiée. Emotions – sensations à tous les étages : du chien écrasé aux traces de schnouff sur les narines d’un people en passant par le crime bien crade ou la cavale qui fait enrager toutes les polices de France.

CQFD

N°72

16 novembre 2009

Faux ami

Le p’tit Grégory

Signe des temps, l’affaire Villemain, du nom de  ce feuilleton médiatico-judiciaire des années 1980, est relancé sur les ondes grâce à la désormais possible analyse des traces d’ADN. Qui a procédé au lest du sac poubelle contenant le corps du gamin avant  de le précipiter dans la Vologne (dont Benoit Poelevoord nous rappelait le calcul des justes proportions dans C’est arrivé près de chez vous) ? Le corbeau au centre du drame tragique, était-il un homme – tonton Bernard -, une femme – maman Christine – ou un épouvantail à moineaux – chapeau de sorcière, falzar de clochard italien, pardessus de Michel Fourniret ? Autant de questions qui trouveront, à n’en point douter, une réponse prochaine et scientifique.

Denis Robert nous a racontés, dans un livre paru en 2006, Au cœur de l’affaire Villemin : mémoires d’un rat, combien cette histoire avait été pour lui une épreuve initiatique. Il s’est retrouvé coincé entre un Serge July qui avait subodoré « le fait divers du siècle », une Marguerite Duras qui voyait dans la prétendue culpabilité de Christine Villemin un acte « sublime, forcément sublime » et une meute de collègues journaleux prêts à tout pour dénicher le suspect n°1 avant l’infaillible juge Lambert. Pourtant, c’est là qu’il apprend les rudiments du métier en en désapprenant les grandes lignes. « Nous nous sommes comportés comme des rats … mais des rats gentils et tout petits », précise-t-il.

Mais le fait divers à égalité avec la rumeur qu’il prolonge, c’est aussi la manifestation d’une vérité populaire car non officielle. Terre d’asile particulièrement souple pour tout ce qui n’entre pas ailleurs, le fait divers apparaît d’abord dans la bouche des colporteurs. Puis élargit son audience avec les gazettes régionales (Le tocsin, Journal de renseignements mutuels), dont il concurrence les trop sérieuses pages politiques et économiques. S’affirme, juste avant 1914, dans les hebdos spécialisés (Les faits divers illustrés, précurseur de Détective), avec illustrations pleine page ou sous forme de vignettes légendées, publicités, romans feuilletons et récits d’actualité. Plus généralement, il accompagne le développement de la presse à grand tirage durant la Belle Epoque en marquant la naissance de l’investigation journalistique, nouveau contre-pouvoir grâce à son influence grandissante dans l’opinion publique. Est-ce à dire que nous devons à cette vile catégorie de l’activité journalistique, où s’entassent entre autres, tous les chiens écrasés de l’actualité, une reconnaissance précoce de la liberté d’expression ?

La lecture approfondie des faits divers, devenus faits de société, nous apprend qu’ils concentrent plutôt tous les maux de la presse qui ment. Anecdotes conçues pour stigmatiser tantôt les crimes de l’étranger et du monstre, tantôt le laxisme des juges et l’inefficacité de la police, ils résonnent dans nos boites à fantasmes comme autant d’appel au lynchage. Livrés à l’exploitation politicienne, ils justifient toutes les mesures sécuritaires, surtout quand la victime est un pauvre petit vieux dont le visage meurtri orne toutes les unes et les écrans de télévision. A contrario, en occupant l’espace médiatique, ils participent aussi à la grande diversion  du divertissement qui place sur le devant de la scène les crimes individuels pour mieux dissimuler les crimes sociaux. Contaminant le traitement des informations, ils sont le symptôme de médias pieds et poings liés par les logiques commerciales de la course à l’audience, qui nivelle tout sur son passage.

Mais le fait divers, c’est déjà has-been à l’heure de ton téléphone 3-G qui pète et qui rote suivant la sonnerie que tu as téléchargée. Aujourd’hui, la rubrique pipole, sous-genre encore plus dépolitisée du fait divers, dispute la une à des programmes de téléréalité directement fabriqués par les annonceurs.

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