ACTION DIRECTE (Encyclopédie anarchiste)


Action Directe1° Selon le « Larousse ». – Recours à la force, préconisé par les syndicalistes révolutionnaires préférablement à l’action constitutionnelle aidée par l’Etat.

2° Selon nous. – Action individuelle ou collective exercée contre l’adversaire social par les seuls moyens de l’individu ou du groupement. L’action directe est, en général, employée par les travailleurs organisés ou les individualités évoluées par opposition à l’action parlementaire, aidée ou non par l’Etat. L’action parlementaire ou indirecte se déroule exclusivement sur le terrain légal par l’intermédiaire des groupes politi­ques et de leurs élus. L’action directe peut être légale ou illégale. Ceux qui l’emploient n’ont pas à s’en préoc­cuper. C’est avant tout, et sur tous les terrains, le moyen d’opposer la force ouvrière à la force patronale. La légalité n’a rien à voir dans la solution des conflits sociaux. C’est la force seule qui les résoud.

L’action directe n’est pas cependant nécessairement violente, mais elle n’exclut pas la violence. Elle n’est pas, non plus, forcément offensive. Elle peut parfaite­ment être défensive ou préventive d’une attaque patro­nale déclenchée ou sur le point de l’être ; d’un lock-out partiel ou total, par exemple, déclaré ou susceptible de l’être à brève échéance.
Quelques exemples sont nécessaires pour bien fixer les esprits.

1° L’ouvrier qui discute ses intérêts avec son patron, soit pour conserver des avantages acquis, soit pour faire triompher des revendications nouvelles, fait un acte d’action directe. Il se place, en effet, seul, face à son employeur, sans recourir à des concours étrangers au conflit social.

Qu’il obtienne on non satisfaction, que le patron reconnaisse de bonne foi le bien-fondé des désiderata qui lui sont soumis et accorde satisfaction ou les rejette, il y a toujours action directe. Que le patron cède par impuissance momentanée ou par calcul – ce qui est fréquent – ou bien qu’il résiste parce qu’il se croit assez fort pour braver la force collective qu’il sent derrière l’ouvrier qui réclame et discute, il y a de la part de l’individu qui mène la lutte sur ce terrain, action directe.

Que la discussion reste courtoise, qu’elle dégénère en dispute ou en rixe, l’acte de l’ouvrier reste, en tous les cas, une manifestation d’action directe. C’est la discussion de classe.

Ce que l’ouvrier ne doit pas perdre de vue dans cette discussion, c’est son devoir de classe. Il ne doit jamais céder de terrain à l’adversaire. Il ne doit conquérir des avantages qu’en conservant sa dignité d’homme. Il ne doit, à aucun prix vendre sa conscience ni ses connais­sances professionnelles, même s’il est miséreux, en acceptant de recevoir en échange des avantages personnels : un poste de commandement ou de maîtrise, un salaire occulte supérieur à celui de ses camarades, etc., etc…

Composer avec le patron, recevoir de lui des satisfac­tions personnelles refusées aux autres, c’est commettre un acte de trahison vis-à-vis de ses frères de misère et de travail. Si on ne se sent pas capable de résister aux propositions mielleuses du patron, il vaut mieux se taire que de se faire l’instrument, même inconscient, de l’asservissement des camarades.

L’ouvrier qui se charge de revendiquer ses droits et ceux de ses camarades doit avoir un profond sentiment de ses devoirs de classe. S’il les ignore, il doit les apprendre avant d’agir.

2° Le syndicat peut, bien entendu, employer collecti­vement le même moyen de lutte. Il doit se conduire de la même façon que l’ouvrier qui agit seul. Lui, non plus, ne doit ni promettre ni donner à l’adversaire des concours moraux ou techniques qui renforceraient la puissance patronale au détriment des ouvriers. Un syn­dicat qui accepterait que ses membres, contrôlés ou non par lui, pénètrent dans les organismes de direction et de gestion capitalistes ne pourrait plus, en aucun cas, pratiquer l’action directe puisque les intérêts des patrons et des ouvriers, même inégaux, se confon­draient.

La discussion collective de classe ne peut donner lieu ni à compromis ni à abandon. Elle peut revêtir tous les caractères de la discussion individuelle. Cependant, elle diffère de celle-ci sur un point important. Tandis que l’acte individuel, qui s’exerce souvent dans un milieu réfractaire à l’esprit de classe, ne comporte générale­ment que le renvoi ou le départ volontaire de l’ouvrier lésé mais impuissant, la discussion collective de classe aboutit presque toujours, en cas d’insuccès, à la grève, si les forces ouvrières sont alertées, cohérentes et orga­nisées pour la lutte prévue et en vue des batailles à livrer.

Dans tous les cas, la grève est un acte grave. Il con­vient de n’utiliser cette arme qu’à bon escient, avec cir­conspection, en toute connaissance de cause, après un examen très attentif de la situation et de la position du conflit. Il convient aussi de se rendre compte aussi exactement que possible des résultats à atteindre, des conditions de la lutte à engager, des répercussions en cas de succès ou d’insuccès.

Par exemple, lorsque la décision de grève est prise, il faut mettre tout en œuvre pour rendre effective la ces­sation du travail, agir avec vigueur, courage et méthode. Une grève victorieuse est un facteur de déve­loppement, de rayonnement et d’attraction pour l’or­ganisation syndicale. Par contre, une défaite diminue, généralement, la confiance et la combativité des indivi­dus. Elle provoque souvent la désertion des syndiqués. Elle émousse toujours leur ardeur et leur esprit de soli­darité.

3° L’ouvrier qui, au cours d’un conflit social, décide selon sa conscience d’accomplir un acte de destruction ou de mise hors d’usage du matériel ou des outils de travail, qui exerce une action violente sur un représentant de la classe adverse ou sur un de ses camarades inconscient de son devoir de classe, fait aussi une action directe.

Toutefois, un tel acte ne doit avoir lieu que s’il est réellement un facteur de succès, de réussite de l’action engagée. Dans le cas contraire, si l’acte est inconsidéré, une simple manifestation de colère, il risque de desser­vir – et souvent considérablement – le mouvement en cours.

Avant d’employer ce moyen d’action – qui peut s’im­poser – l’individu doit se rendre compte, par avance, de la portée de son acte et de ses conséquences probables. Il ne doit l’accomplir que s’il l’estime réellement utile au succès de la cause qu’il défend. Se laisser aller à l’accomplissement irraisonné d’un acte de violence ou de sabotage c’est faire preuve de faiblesse, d’inéduca­tion, d’incompréhension. C’est prêter le flanc à l’adversaire et souvent justifier la violence adverse, même si on est provoqué, ce qui arrive d’une façon courante.

4° Un syndicat peut, lui aussi, décider d’employer la violence ou le sabotage. Toutefois, il ne saurait en imposer l’exécution à ceux de ses membres qui n’accepteraient pas ces moyens de lutte ou ne désireraient pas les utiliser eux-mêmes.

Dans ce cas, seule la conscience de chacun décide pour l’accomplissement des actes reconnus nécessaires. 11 est bon que les participants ou exécutants soient seuls au courant des projets, des tentatives à exécuter et arrêtent seuls leurs moyens d’action. Le secret est de rigueur. Seuls, ceux qui ont décidé d’agir ainsi dans le bien commun, sont juges de leurs actes. Les autres, par contre, sont juges du résultat. Ils ne doivent pas hésiter à en condamner l’emploi nouveau où le résultat est défavorable à la cause commune. Pas plus qu’une collectivité n’a le droit de s’opposer aux actes néces­saires, des individualités ne doivent accomplir des actions qui vont à l’encontre du résultat cherché. C’est affaire de conscience et de circonstances. Ce qui était mauvais hier peut être bon demain et vice-versa.

5° L’homme qui abat un tyran, un oppresseur redou­table, par quelque moyen que ce soit, accomplit aussi un acte d’action directe, bien qu’il ne s’attaque pas au régime lui-même et qu’il ne mette que rarement celui-ci en péril. Il agit directement contre un adver­saire social qui se révèle particulièrement malfaisant.

6° Un groupement peut être appelé à agir dans les mêmes conditions. Dans ce cas, il est nécessaire que les participants acceptent cette façon de mener la lutte, comme ils le feraient s’il s’agissait d’un acte de sabo­tage, de destruction ou de violence collective. Les mêmes précautions sont à prendre et l’action ne peut être engagée ou continuée que dans les conditions exposées au § 4. Un tel acte ou une telle série d’actes peut parfois s’imposer et devenir un facteur important et même décisif du succès en période révolutionnaire.

Comme on le voit, l’action directe peut se présenter sous des aspects très différents, suivant les circons­tances et les buts poursuivis.

Si on tient compte des exemples qui précèdent, on peut dire qu’elle revêt les caractères suivants ; discussion individuelle ou collective de classe, grève avec ses multiples aspects, sabotage et sévices contre le patronat ou les ouvriers inconscients, attentats contre un oppresseur ou un groupe de représentants du pouvoir.

De même qu’il peut y avoir discussion de classe sans grève, il peut y avoir grève sans sabotage, sévices ou chasse aux renards. Une seule de ces manifestations caractérise l’action directe. Il suffit qu’elle s’exerce individuellement ou collectivement, de classe à classe, sans recourir à des forces étrangères au conflit lui­ même.

En période révolutionnaire, l’action directe prend immédiatement le caractère de grève générale insurrectionnelle. Elle a pour but de permettre à la classe ouvrière de s’emparer des moyens de production et d’échange qui assurent, en tout temps, la continuité de la vie sociale. Elle supprime le concours partiel ou total du prolétariat encaserné. L’action directe devient, en cette occasion, nécessairement violente, puisqu’elle s’exerce contre un adversaire qui se défend par la force.

Elle est le premier acte révolutionnaire d’un proléta­riat qui vise à remplacer le pouvoir politique par l’or­ganisation sociale, après avoir détruit la propriété individuelle et instauré la propriété collective.

Elle s’oppose à l’insurrection, arme des partis poli­tiques qui tous, sans exception, n’ont qu’un désir : prendre le pouvoir et le garder.

L’action directe est la seule et véritable arme sociale du prolétariat. Nulle autre ne peut, quelque emploi qu’on en fasse, lui permettre de se libérer de tous les jougs, de tous les pouvoirs, de toutes les dictatures ­ y compris la plus absurde d’entre elles : celle du prolétariat.

On retrouvera la définition des termes : discussion de classe, grève, lock-out, sabotage, attentat ou sévices, chasse aux renards, à leur ordre alphabétique.

En somme, il y a une très notable différence entre la définition bourgeoise de l’action directe et la significa­ tion réelle que nous lui donnons.

Alors que nos adversaires – et cela se conçoit – ont surtout voulu montrer l’action directe comme un acte ou une série d’actes désordonnés, brutaux, violents, sans raisons ni motifs, destructeurs pour le plaisir ou la satisfaction de ceux qui les accomplissent, nous affirmons que l’action directe est ordonnée, méthodique, réfléchie, violente quand il le faut seulement, dirigée vers des buts concrets, nobles et largement humains.

Pierre BESNARD.

Action DirecteACTION DIRECTE

Il n’y a pas que l’action par laquelle le Syndicalisme et certaines écoles révolution­naires pensent faire aboutir leurs revendications qu’on puisse qualifier d’action directe. Il y a encore – et parallèlement à cette forme collective de l’Action directe – la forme individuelle de celle-ci. Celle-ci a pour terrain l’homme lui-même. Elle consiste dans l’évolution intérieure de l’individu, dans la violence qu’il exerce sur lui-même, dans son effort pour se surmonter, s’embellir et devenir meilleur, dans la guerre qu’il livre à ses passions, dans la victoire qu’il remporte chaque jour sur la laideur. Les résultats de cette Action directe sont positifs. L’art, la pensée, les livres aident l’individu à se découvrir ; ils le révèlent à lui-même. Ils agissent directement sur sa conscience, pour la réformer, l’augmenter, la fortifier.

GERARD DE LACAZE-DuTHIERS.

 

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