Excès de zèle figaresque et petit plaisir balnéaire


DEVOIRS DE VACANCES – Plaisir du matin estival et balnéaire. Landes. Eté 2008, tôt, très tôt dans la journée : sous les pavés que dalle. Foncer chez le buraliste pour lire son torchon de plage qui est le même que celui de la vie civile. Regard croisé sur la presse que d’ordinaire on ne lit pas parce qu’on sait, comme celle qu’on lit d’ailleurs, ce que l’on va y trouver. Des fois, la surprise arrive, éveille l’œil encore engourdi par la folie nocturne du front de mer ou bien par le Scrabble, le Cluedo ou le Uno de la veille au soir qui s’est éternisé. Faut bien occuper la marmaille. Dans le panel de la presse nationale, exposé aux quatre vents du présentoir, la tête à Jules finit de dissiper le brouillard que l’infâme kawa de bas de rayon n’avait pu déloger de l’encéphale en villégiature.

L’œil opère un douloureux agrandissement pour visualiser le journal qui balance tonton Jules au dessus de sa manchette. Plus près. Le nez se colle au torchon. Ca y est, nous y sommes. Le Figaro. Reflux pavlovien mais on y retourne quand même. Le titre reste à lire. Accrocher le lecteur. On se fait prendre au jeu du filet comme les autres poissons. « Ennemis publics : Bonnot et sa bande, premier volet de notre nouvelle série ». Vaste programme pour serviette sur la plage. Autre regard sur la monnaie que l’on vient d’extirper de la poche du bermuda hawaïen. Quelques brouzoufs en sus. Mettre un gant et prendre le torchon aux pages saumon. Même frais, le poisson, celui-là en particulier dégage une odeur assez prégnante et relativement difficile, après coup, à déloger. Nouveau coup d’œil, histoire de voir si aucune personne ne nous a vus prendre l’infâme papier. Sortir discrètement. Pas de blême, à cette heure-ci le camarade dort. Et si le baignassou, bouffeur de gouda ou mangeur de choucroute, arpente le rayonnage du mercantile marchand de journals, ce qui est au demeurant fort peu probable étant donné sa propension à fréquenter jusqu’aux aubes roses les lieux de débauches nocturnes, les férias et leurs bandas, et donc sa capacité à se lever tard, il y a tout lieu de penser que ses acquis culturels et nationals ne lui permettent pas forcément de reconnaître et le torchon aux vertus libérales, et les ennemis publics hexagonaux dont en particulier le premier de l’ère moderne : « Jules Bonnot, anarchiste par défaut ». C’est le titre écrit en gros sous la photo de la fiche anthropométrique ici reproduite en deuxième page. L’image en noir et blanc annonce donc tout de suite la couleur. Une tête de voyou. Une allure de marlou. Des yeux menaçants de fouine scrutant le moindre mauvais coup à faire. La physionomie lombrosienne type de l’assassin. Un bandit de la pire espèce. Et qu’il enveloppe ses actes horribles avec un immonde drapeau noir, ne doit pas inquiéter le lecteur. Ce ne peut être que par défaut. En plus cela donne envie de lire la suite, même si la suite on imagine très bien ce qu’elle va donner la gueuse. Anarchiste par défaut. Force est de constater que le Figaro ne pèche pas par excès d’analyse et de justesse historique dans ce premier article d’une série, consacrée aux ennemis publics, et qui comporte dix-huit histoires estivales pour faire frémir, trembler, grelotter d’effroi sous le ciel bleu azur (donc de droite) l’honnête Monsieur Plus (celui qui travaille pour vivre moins). Dix huit histoires de l’éternel triptyque ordre – gendarme – voleur. Mais qu’importe la justesse, un mot qui ne doit pas exister dans la vocabulaire figaresque. Honneur est donc fait dans ce papier, signé Thierry Portes, à Jules Bonnot. Honneur ? Le mot ne convient pas. Le lecteur atterré et confortablement allongé sur son transat à l’heure de la sieste post-cassoulet, peu importe le lieu pourvu que la largeur du larfeuille permette le ghetto social et l’absence de ce que le dico nomme vulgairement pauvre ou assisté, le lecteur atterré, donc, par la geste illégaliste de la bande tragique doit vite être rassuré. Bonnot et consort doivent crever sous le joug … sous les coups d’une violence légale que l’on nomme force de l’ordre et que l’on a irrémédiablement provoquée. L’infâme braqueur expire à la fin. Les méchants meurent toujours à la fin, les gentils aussi mais le Figaro ne le dit pas. Problème. La légende a depuis fait son petit bonhomme de chemin. Le petit mécanicien Bonnot est devenu un grand du crime. Car Bonnot ne peut être que petit. Méprisable piétaille cherchant à sortir du rang social dans lequel l’état naturel du droit, la force sociale des choses, le jeu du marché qui seul peut réguler, l’ont poussé. Prédestination calviniste à la mode du Dieu Argent. Bonnot est petit. Bonnot ne peut pas être grand. L’exact contraire du gentil Kirikou. Et ce même s’il « veut oublier la guigne et cette médiocrité qui ne l’ont jamais quitté ». Dans ces conditions, l’anarchisme ne peut être à coup sûr que de façade ! Excuse facile pour justifier le fait criminel de droit commun qui de décembre 1911 à avril 1912 fait trembler la France. Ramener alors la légende à sa piteuse, à sa triste et vulgaire réalité. A la dure et sanglante réalité. Bref la passer sous les fourches caudines du Figaro et la sortir de l’ornière de l’épopée : « La réalité de ce braquage, comme celle des coups suivants d’ailleurs, est pourtant peu glorieuse ». Autre problème : d’où vient cette gloire alors ? Mais qui parle de gloire ? Bonnot lui-même peu de temps avant de manger les pruneaux des sbires de Lépine. Certes mais le journaliste a vite fait de mettre en relief une volonté de reconnaissance et tout aussi vite fait de lui ôter le qualificatif social sans lequel l’histoire des tragiques devient peu compréhensible. Dans le cas présent il conviendrait de faire admettre aux lecteurs du F… (gros mot) qu’il existe bel et bien une lutte des classes. En obérant l’aspect politique, en le déformant, en omettant de mentionner une justification théorique, on peut retomber sur le schéma classique faisant les choux gras des feuilles à grands tirages véhiculant le sentiment supposé d’insécurité. Donc, chez T… P… (autre gros mot), quand l’idée politique honnie intègre la sphère du réel, autrement dit quand la mise en pratique est à l’ordre du jour, l’acte militant revêt bien souvent les frusques habits d’une bestiale brutalité, propre à ces sales pauvres (on ne dira pas prolos) et motivé en réalité par l’appât du gain. Bonnot, Callemin Garnier ? Des parasites. Valet, Carouy, Soudy ? Des parasites. Et tous les autres aussi. Hors de question de faire dans ces quelques lignes de faire du vol, du meurtre et du braquage des pratiques politiques. Trop complexe certainement pour la compréhension limitée des sectateurs de la divine propriété. Déification qui exige de simples et hypocrites explications pour légitimer l’assassinat en deux temps de quatre hommes par des centaines de pandores. C’est au nom de l’ordre public et social (juste et libéral diraient aujourd’hui certains socialauds) que quelques jeunes illégalistes – hormis Bonnot et Dieudonné ils ont moins de trente ans – sont passés de vie à trépas, vont aller crever en Guyane, sont marqués du fer rouge de l’infamie. Ils ne cherchaient pourtant qu’à vivre l’anarchie dès maintenant, qu’à vivre mieux tout simplement. « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend » affirmait en 1905 l’honnête cambrioleur et membre des Travailleurs de la Nuit. Les bandits en auto, comme Alexandre Jacob, réclamaient aussi le droit à l’existence, le partage des richesses et une vie décente pour tous. Ce que cet article nauséeux que nous ne citerons que parcimonieusement, traduit par un douteux amalgame : « Mêlés à des malfrats et des marginaux, ils cherchaient à mettre en pratique la théorie de la reprise individuelle que le code pénal qualifie plus sobrement de vol ». Loi n’est pas l’expression de la volonté générale. La loi émane de la propriété de quelques-uns. Les mots de Thierry Portes véhiculent cette fausse idée, cette vraie négation de l’égalité assénée à grand renfort de grosses ficelles. Pourquoi, par exemple, un voleur ne pourrait-il pas être un politique acceptable plutôt que par défaut. L’acte délictueux n’empêche pas, nous semble-t-il de penser la chose publique. Bonnot et ses compagnons ne peuvent pas ici dans une simple et manichéenne évidence faire partie de l’élite qui dit la voie menant au bien. Mais, pour bourgeoise qu’elle soit, la vérité obéit tout de même à des enchaînements dialectiques, à des schémas de réflexions, soit autant de points de passage auxquels elle ne peut se soustraire si elle veut aboutir à une conclusion conforme à ses fondements idéologiques. On ne change pas l’histoire. Ce serait du négationnisme avéré. On peut l’interpréter par contre. On ne peut pas faire les deux à la fois non plus. Bref, il s’agit ici de montrer de dangereux criminels, des malfaiteurs de la pire espèce. Qu’ils soient audacieux, en auto, tragiques, vulgaires, médiocrement médiocres, peu importe. Ce ne sont que des criminels. La société doit les éliminer. Qu’ils se piquent en plus de politique, qu’ils se permettent de discourir sur la marche, bonne ou mauvaise, du monde, c’est-à-dire celle où le troupeau ne peut que suivre le berger, pose en revanche un problème : « On n’est pas anarchiste quand on s’appelle Marius, qu’on a dans la voix, dans l’allure, dans le geste, la gaieté méridionale et un débordant besoin de rigolade ». Voilà ce qu’écrivait le 14 mars 1905 Henri Varennes dans les colonnes de ce même Figaro à propos d’Alexandre Jacob, de ses reprises individuelles et surtout de ses professions de foi libertaires au tribunal d’Amiens du 8 au 22 mars de cette année. A peu de choses près c’est le même type d’argumentation que l’on retrouve chez Thierry Portes. Reste l’écriture que l’on savait maîtriser au début du XXe siècle. Cent ans plus tard environ, les ficelles ont pris du poids, allant jusqu’à concurrencer les aussières des yachts des amis de Monsieur Bling-Bling. Bonnot ne peut être ainsi qu’un voleur, assassin présumé, ou plutôt ici affirmé, de son compagnon Platano. Assassin aussi de ce pauvre Louis Juin, n°2 de la Sûreté parisienne qui n’aura pas la chance de voir le printemps se finir. Bonnot non plus mais là on s’en fout. Ce n’est qu’un anarchiste de façade. Par défaut. Lui et les autres. Des esprits limités. Egarés par les gourous de la secte individualiste dans les locaux du journal l’anarchie (on rappellera au lecteur du Figaro qu’il n’y a pas de majuscule au titre du journal) qui les ont poussés dans une geste sanglante, meurtrière, sans issue. Condamnation sans appel et largement posthume. De fait, on ne s’embarrassera pas non plus d’approximations et d’anachronismes flagrants, donnant par exemple au Kibaltchiche de Rirette les paroles d’Albert Libertad lorsque le béquillard affirme en 1905, dans son article sur les résignés, cracher sur les idoles, la patrie, le capital, la religion, les lois, etc. Plus un esprit est limité, plus il est facilement manipulable, plus il fait dans le grand n’importe quoi. Un grand n’importe quoi fort emporté, bestial et combatif qui plus est. Anarchiste par défaut encore puisque ces bandits tragiques sont simples d’esprit. Encore que : « Parmi tous ces anarchistes violents, Callemin qui était le troisième de la rue Ordener, est le seul à avoir une profondeur intellectuelle ». La preuve ? Son surnom : Raymond la science !!!! CQFD. Nous ne savons si les autres de la bande dont Bonnot n’était absolument pas le chef étaient des cons patentés. Mais le propos de Thierry Portes, qui prend l’ouvrage – un bien grand mot – Mort aux Bourgeois de Renaud Tomazo pour référence bibliographique, nous fait irrémédiablement penser à l’aphorisme de Michel Audiard dans Un Taxi pour Tobrouk : « Un intellectuel assis va moins loin qu’un con qui marche ». Bonnot, Garnier et Valet ne sont pas allés plus loin que Romainville et Choisy le Roy. Il est à peu près sûr, d’après nos sources autorisées, que l’article du Figaro a été écrit aux antipodes ; que les lecteurs de ce journal qui n’en a pas fini d’enterrer ses vieux démons l’ont depuis belle lurette rejoint. Vous voulez noyez votre chien ? Accusez-le de la rage. Et c’est peut-être cette rage, c’est justement cette rage de vivre décemment qui a mis les bandits en auto sur la route des braquages et vers un terminus obligé. Soumettre des existences de lutte à l’intelligence bourgeoise – si tant est qu’il puisse y en avoir une au regard de l’aspect corrosif de la finance – est finalement chose assez ardue. Chimère estivale.

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