Vol à Tours


Cathédrale Saint Gatien de ToursLe vol commis à la cathédrale Saint Gatien de Tours le 27 mars 1903 est, avec celui perpétré chez le bijoutier Bourdin, 76 rue Quincampoix, à Paris le 6 octobre 1901, un des cambriolages les plus importants des Travailleurs de la Nuit du fait de la valeur des objets dérobés mais aussi de l’édifice visité. Si les sources, que nous exposons ici, se contredisent sur la datation des tapisseries subtilisées, elles semblent en revanche s’accorder sur une opération rondement menée. Ce vol constitue donc une espèce de cas d’école, du début du forfait jusqu’à l’écoulement des produits soustraits. Le lecteur pourra alors sourire de la provocation anticléricale et athée qui transparaît dans le maquillage de ces quatre pièces provenant fort probablement de la manufacture royale d’Aubusson.

 

Commissaire central Caubet de Tours, rapport journalier, 28 mars 1903 :

La nuit dernière, des malfaiteurs inconnus ont pénétré dans la cathédrale du coté de la rue de la Pralette au moyen d’une échelle appuyée contre un vitrage qu’ils ont brisé et ont volé quatre grandes tapisseries d’Aubusson du XVIIIe aux armes de la ville de Tours et portant le chiffre S.M., de 3m  sur 4m représentant « La Nativité », « Jésus au milieu des docteurs », « La fuite n Egypte » et « La présentation au temple ». Ces tapisseries étaient encadrées et placées dans une chapelle. Une enquête est ouverte.

 

L\'adoration des bergers, carton de tapisserie, XVIIe siècleDossier de presse « la bande sinistre et ses exploits »

Procès d’Amiens,

5e audience

Lundi 13 mars 1905

Vol à la cathédrale de Tours

C’est un des vols les plus importants commis par la bande, important non par le produit qu’en ont retiré les auteurs, étant donné la valeur des objets soustraits, mais par cette valeur même.

Dans la nuit du 27 au 28 mars 1903, la cathédrale de Tours recevait la visite de cam­brioleurs. A l’aide d’une échelle de maçon prise dans un chantier voisin, le grillage en fil de fer d’un vitrail avait été coupé avec des tenailles dans l’angle droit de la base, le vitrail artistique avait été brisé et par là s’étaient introduits les malfaiteurs. Dans l’intérieur de la cathédrale, une grande échelle de 7 mètres, prise à l’angle intérieure de la tour dite « du sud » avait permis d’enlever de leurs cadres des tapisseries du XVIIIe siècle d’une grande valeur : La Nativité et Les Rois mages, Jésus au milieu des docteurs, La Présentation au Temple, La Fuite en Egypte.

Sur le vitrail fracture on découvrit un bouton en soie.

Les premières recherches permirent d’établir qu’à 3 h 39 du matin un individu, porteur d’un billet de 3e classe aller et retour Paris-Tours, daté du 27, s’était présenté au contrôle de Tours pour la correspondance avec le train express de 3 h 42.

Il avait en mains un gros rouleau de tapis et il était accompagné d’un autre individu, porteur de deux autres rouleaux de moindre volume, qui pénétra sur les quais avec un ticket de 10 centimes. Le premier de ces individus était Bour, qui fut reconnu par l’employé qui lui donna un supplément de première et par un homme d’équipe qui l’aida à transporter ses colis.

Jacob, Bour et Pélissard, dit l’acte d’accusation, ont reconnu que ce vol avait été commis par eux ; d’ après Bour, les tapisseries furent transportées chez la mère de Jacob et sa maîtresse qui, pour les rendre méconnaissables, les découpèrent.

L’un de ces morceaux avait été utilisé comme portière de la chambre à coucher de Jacob, mais au moment de la perquisition faite rue Leibniz, cette portière avait disparu.

MM. Cruchet Narcisse, archiprêtre à Tours, et Caubet, ancien commissaire de police à Tours, déposent sur ce vol.

M. Caubet raconte les relations du départ de Tours pour Paris des cambrioleurs, telles que les a relevées l’acte d’accusation. Il parle longuement des nombreux vols commis dans la région, mais qui n’ont rien à voir dans l’affaire.

Jacob ricane, sourit, lève les épaules.

 

 

Chanoine Boussonot, La Cathédrale de Tours, 1920, p.369 :

Dans ces dernières années, la Gatienne put s’enorgueillir mais pendant un temps trop court de quatre tapisseries certainement sorties des ateliers tourangeaux du XVIIe siècle, quoi que se rapprochant beaucoup du genre Aubusson. Elles représentaient les quatre premières pages de l’Evangile : L’Adoration des bergers, Le retour d’Egypte, La présentation, Jésus au milieu des docteurs. C’était sans doute le complément d’une série qui comprenait quatre scènes au moins de la Passion. Les personnages étaient de grandeur naturelle, assez mouvementés, costumés Louis XIV, sans nimbe, un peu trapus à la Rubens. Des paquets de verdure et de fleurs admirablement conservés formaient le cadre que coupaient à la partie supérieure les armoiries du donateur d’azur à trois tours crénelées d’argent, 2 et 1 cimier en chef, et à la partie inférieure, un cercle où s’enlaçait deux S et deux M, que les uns lisaient Sanctus Mauricius, et les autres, Sébastien Montheron, de la famille illustre de ces tapissiers de haute lisse, dont quatre générations se succédèrent à Tours aux XVIe et XVIIe siècles. Elles mesuraient trois mètres dix centimètres de hauteurs et deux mètre soixante de largeur. Elles dormaient enfouies dans une caisse, quand le cardinal Meignan les invita à paraître à une exposition d’art religieux qu’il avait organisée et dont elles furent une des attractions. Ce succès les perdit. L’archiprêtre s’en autorisa pour en garnir les panneaux de la chapelle Saint Martin où bientôt, en même temps que l’admiration des artistes, elles excitèrent la cupidité des cambrioleurs. En 1903, des voleurs pénétrèrent la nuit dans la cathédrale, s’en emparèrent, et ne pouvant trouver acquéreur, les mirent en pièces.

 

Vercingétorix rendant les armes à César, tableau de L.Royer, 1888Alain Sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, p.57-58 :

De nombreuses églises et cathédrales, « les priantes » dans le vocabulaire des Travailleurs, furent cambriolées par lui. Peu de temps avant son arrestation, le 27 mars 1903, ce fut la cathédrale de Tours qu’il choisit. Mais Jacob avait été mal informé par son émissaire. La sacristie, n’était pas défendue par une porte à panneaux, mais par une lourde pièce sculptée de quinze centimètres d’épaisseur. Jacob réqui­sitionna alors une échelle, monta jusqu’à un vitrail, descella le plomb qui en retenait les pièces, et descendit à l’intérieur de l’église par une échelle de corde en soie. Là, désespérant d’atteindre le coffre-fort de la sacristie, il résolut d’emporter quatre lourdes tapisseries d’Aubusson du XVIIe siècle : la Nativité, l’adoration des Rois Mages, la fuite en Egypte, Jésus devant les docteurs. Les tapisseries, roulées, furent transpor­tées à la gare dans un charreton emprunté pour la circons­tance, mises aux bagages, et parvinrent chez Jacob avant même que le vol fut découvert. Mais comment écouler de pareilles pièces ? A l’époque, en décolorant plus ou moins 1’objet et en le maquillant, d’habiles ouvriers savaient rendre une pièce de ce genre méconnaissable. Jacob se réjouit fort de voir Saint-Joseph transformé en Vercingétorix !

 

Source :

         Archives départementales de l’Indre et Loire

–         Archives préfecture de police de Paris, EA/89 : dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits »

Tags: , , , , , , , , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (2 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur