Le procès d’Amiens vu par La Gazette des Tribunaux


palais de justice d\'AmiensMalgré un tirage limité et ciblé ,la Gazette des Tribunaux, journal né en 1825 et spécialisé dans le compte-rendu de procès, n’échappe pas à la mode du fait divers qui fait la fortune des grandes feuilles nationales. Ce fait divers, qu’elle nomme AFFAIRE pour bien se différencier des journaux populaires, n’en constitue pas moins un fonds de commerce, initialement destiné à un public de juristes qu’elle perd à la fin du XIXe siècle pour s’approprier un lectorat de curieux, avides de sensationnel. Le journal peut alors se targuer de son ancienneté. Stendhal n’aurait-il pas imaginé Le Rouge et le Noir de la lecture de  la Gazette des Tribunaux en 1827 ? Et, de ces chroniques bourgeoises et « morales » du palais d’injustice, à l’image de celles d’Albert Bataille dans ses Causes criminelles et mondaines, se dégage l’éternel sentiment d’insécurité et son corollaire politique : la nécessité de réforme allant dans le sens de plus de répression bien sûr. Le procès d’Amiens, dit « de la bande d’Abbeville », du 8 au 22 mars 1905, n’échappe pas à la règle.

 

palais de justice d\'Amiens9 mars 1905

Correspondance particulière, Présidence de monsieur le conseiller Véhekind, audience du 8 mars 1905, Affaire de la bande d’Abbeville

Aujourd’hui a commencé devant la cour d’assise de la Somme, réunie en session extraordinaire, l’affaire dite de la bande d’Abbeville ou de la bande Jacob. Les 23 accusés qui comparaissent devant le jury composaient une association parfaitement organisée en vue du cambriolage et du vol à main armée. Le siège social de la bande se trouvait à Paris dans un hôtel meublé rue de la Clef. Là, se tenait l’état major, là se centralisaient les renseignements, de là partaient les ordres aux affiliés. Ceux-ci étaient divisés en plusieurs catégories : les éclaireurs allaient de ville en ville, recherchaient les maisons dont les propriétaires étaient absents, recueillaient toutes les indications possibles sur la façon de s’y introduire et télégraphiaient au siège le résultat de leurs investigations ; les troupes de ligne, vêtues de tenues irréprochables, débarquaient dans la ville signalée puis, la nuit venue, se mettaient à l’œuvre et pillaient méthodiquement la « maison éclairée » ; les troupes de couverture comprenaient des guetteurs et des signaleurs ; enfin un service d’intendance, admirablement organisé, assurait l’écoulement des objets volés et attribuait à chaque affilié l’exacte part qui lui revenait. La bande fit campagne dans toutes les grandes villes de France dévalisant villas, châteaux, appartements, maisons, églises et personne ne vit ou ne soupçonna les auteurs de ces vols audacieux. Tous les affiliés possédaient un jeu complet de faux papiers leur assurant une série d’états civils variés ; en outre, ils correspondaient au moyen d’un alphabet chiffré. Lorsque l’un d’entre-eux était arrêté, il savait simuler à merveille la folie et tandis qu’on le mettait en observation dans quelque asile d’aliénés, il s’empressait de s’enfuir sans courir le risque d’une évasion en prison.

C’est à Abbeville que la bande vit enfin terminer ses exploits. 3 membres de l’association, parmi lesquels le chef, Marius Jacob, venaient de dévaliser la maison d’une dame Tilloloy. Le brigadier des gardiens de la paix Auguier et l’agent Pruvost les aperçurent au moment où ils gagnaient la gare avec des valises pleines d’objets volés. Les agents approchèrent des bandits et les invitèrent à les suivre. Jacob riposta par un coup de revolver. Une balle atteignit l’agent Pruvost en plein cœur ; il tomba raide mort. Pendant quelques temps Jacob et ses acolytes s’enfuyaient dans la campagne, on ne tarda pas à apprendre le nom des trois audacieux criminels. Une battue fut organisée autour d’Abbeville, elle amena à l’arrestation de Jacob et Pélissard. Une souricière fut tendue à Paris rue de la Clef, à l’hôtel, dont un papier trouvé sur Pélissard avait fourni l’adresse. Peu à peu les membres de l’association tombèrent entre les mains de la justice. Une instruction qui dura plus de 18 mois fut ouverte ; elle amena la révélation, à la charge des inculpés, d’une quantité extraordinaire de vols dont le montant dépasserait cinq millions. Jacob, à lui seul, a avoué 106 vols qualifiés, dont quelques-uns suivis d’incendies ou de tentatives de meurtres. L’affaire, on le conçoit, a causé dans la région amiénoise une vive émotion. Aussi, une foule considérable entoure la palais de justice, envahit les couloirs et la salle d’audience. On remarque sur la table des pièces à conviction un remarquable outillage de cambrioleur moderne qui vaudrait, dit-on, à lui seul une dizaine de milliers de francs. M. Regnault, procureur général, occupe le siège du ministère public.

palais de justice d\'Amiens15 mars 1905

Somme (Amiens, 14 mars)

Un incident vient de se produire à la Cour d’Assise où l’on juge le procès des cambrioleurs. L’accusée Lazarine Roux, à qui le président ordonne de se lever, répond « Je suis fatiguée« . Le président, ayant renouvelé son injonction, Me Lagasse demande plus d’égards pour ses clients. Le président réplique « J’accorde aux gens les égards qu’ils méritent« . Me Lagasse déclare alors qu’il se retire et sort de la salle d’audience suivi de ses confrères du barreau de Paris. Les accusés se lèvent et crient « Vive l’anarchie !« . Jacob ajoute « Voilà notre justice« . Les injures à l’adresse des magistrats se perdent dans le tumulte que les accusés augmentent à plaisir. Enfin la cour rend un arrêt ordonnant l’expulsion de dix des accusés. L’audience est suspendue. Les avocats du barreau de Paris adressent télégraphiquement une protestation au garde des sceaux et demandent à être reçus par le président des assises ».

palais de justice d\'Amiens24 mars 1905

Somme (Amiens, 22 mars)

Les débats de l’affaire dite des cambrioleurs d’Abbeville ont été clos ce matin à dix heures et demie et le jury est aussitôt entré dans las la salle des délibérations pour n’en ressortir qu’à 8h45 du soir. Le verdict est affirmatif pour Jacob, Pélissard, Bour, Rose Roux, Ferré, Bonnefoy, Clarenson, Brunus, Ferrand, Blondel, Vaillant, Sautarel, Baudy, Vve Jacob, femme Ferré, Charles. L’accusation de participation à une association de malfaiteurs est retenue à l’encontre de Jacob, Pélissard, Bour, Ferré, Brunus, Ferrand, Vaillant et Baudy. Jacob, Bour, Ferré, Roux (Lazarine), la Vve Jacob, la femme Ferré, Brunus, Blondel, Vaillant, Baudy et Charles bénéficient de circonstances atténuantes. Le verdict est négatif touchant la question d’incendie concernant Ferré, affirmatif pour le meurtre et tentative de meurtre reproché à Bour et Jacob mais avec circonstances atténuantes. Le verdict est négatif pour Ader, Apport, Augain, Charles, Westermann, Limonier, Tissandier (Léontine). La cour prononce l’acquittement de ces derniers et se retire pour délibérer. Enfin l’audience est reprise à 10h50 et la cour rend son arrêt condamnant

Alexandre Jacob aux travaux forcés à perpétuité, Félix Bour aux travaux forcés à perpétuité, Léon Pélissard à huit ans de travaux forcés, Léon Ferré à dix ans de réclusion, Joseph Ferrand à vingt de travaux forcés et à la relégation, Lazarine Roux à cinq ans de réclusion, la Vve Jacob à cinq ans de prison, la femme Ferré à cinq ans de prison, Honoré Bonnefoy à huit ans de travaux forcés, Jules Clarenson à cinq ans de travaux forcés, François Brunus à cinq ans de réclusion, Noël Blondel à cinq ans de réclusion, François Vaillant à dix ans de réclusion et relégation, Jacques Sautarel à cinq ans de travaux forcés, Marius Baudy à dix ans de réclusion et relégation.

Les poursuites contre Antoine Deschamps, qui s’est constitué prisonnier au cours des débats, sont disjointes du procès actuel.

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