Jacob et Les mystères du bagne


Les mystères du bagneDans Un anarchiste de la Belle Epoque, Alain Sergent mentionne deux fois (p.148 et 170-171) l’ouvrage de Jean Normand, alias René Lemalle, « ancien surveillant, capacitaire en droit, qui vint surtout au bagne par curiosité et laissa des souvenirs dans lequel il présente (…) Jacob ». C’est effectivement à son retour de Guyane que Jean Normand publie Les Mystères du bagne ou quatre ans chez les forçats. L’ouvrage, en deux parties (Scènes vécues de haine, d’amour et de mort et Garde-chiourme) sort sous la forme de brochures paraissant « tous les 10 et 25 de chaque mois » pour le compte des Reportages Populaires en 1924-1925. Chaque brochure (il y en a 20) est vendue 50cts. S’il ne transcende pas le genre littéraire, Normand, qui entretient une courte relation épistolaire avec Jacob après la libération de ce dernier en 1927 (nous incluons cette correspondance provenant du Fonds Jacob du CIRA Marseille dans cet article), continue par la suite à s’inspirer de l’expérience du bagne pour écrire nombre de romans dans la même collection. Bien sûr il ne partage pas la même vision carcérale de son sujet mais ne peut s’empêcher de marquer dans ses lignes, sinon son admiration pour la force de caractère qu’est le matricule 34777 du moins son étonnement vis-à-vis d’ « une des plus curieuses figures qui soit jamais passées au bagne ». De fait, Jacob apparaît dans les n°11 (chapitre X : Aux îles du Salut) le n°14 (chapitre XIII : Les grandes figures du bagne).

 

 

Un forçat dessiné en 1928 par Georges Jauneaun°11 :

L’île Royale n’est occupée que par un camp libre de transportation. On y rencontre trois catégorie de transportés : 1) les transportés ordinaires, venus là, soit sur leur demande, soit au hasard d’une affectation quelconque ; ceux-là peuvent à tout moment demander leur réintégration sur un pénitencier du continent ; rien s’oppose à ce qu’elle leur soit accordée ; 2) les internés B. Nous avons déjà indiqués par suite de quelles mesures, cette aggravation du châtiment se trouvait prononcée à leur encontre. Ils sont là par décision directoriale et n’en sortent que de la même façon ; 3) les internés A. ce sont ceux que l’on dénomme couramment là-bas les anarchistes. Ceux-là sont internés par ordre du département, l’administration ne peut en rien agir sur leur désinternement. Le retrait de cette mesure ne peut être pris que par le Ministre. Un des exemples les plus frappants est celui de Jacob, le fameux chef de la bande des cambrioleurs d’Abbeville, qui passa aux assises à Amiens en 1905 et fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Pendant son procès, Jacob fit étalage de ses théories et soutint au président le bien fondé de la reprise individuelle. C’est ainsi qu’il qualifiait les innombrables vols que lui et sa bande commirent dans les départements du Nord et de la Somme. Il fut bien entendu interné A. dans les débuts de sa captivité, il essaya divers projets, se fit envoyer un browning démonté dans une boite à sardines soigneusement ressoudée. On lui prêta même l’intention d’avoir voulu faire sauter le transport La Loire à l’aide d’un colis qui aurait été remis à un des agents embarqués sur ce transport pour être donné à un fonctionnaire de la Guyane. Ce colis aurait contenu une machine infernale qui devait éclater en cours de route. Assagi par l’âge, il se calma, tint une bonne conduite et passa à la première classe. Il demanda la mise en assignation sur le continent ou l’envoi en concession. On ne lui accorda que la mise en assignation sur le pénitencier des îles, son classement d’interné A s’opposant à son envoi sur la grande terre. Cet homme est une des plus curieuses figures qui soit jamais passées au bagne.

 

Les mystères du bagnen°14 : (Nous avons repris le texte donné par Alain Sergent, n’ayant pu nous procurer ce n°14 des mystères du bagne. Dans ce passage, le biographe de Jacob stipule que Normand fait parler Eugène Dieudonné)

C’est un homme vif, adroit, d’une intelligence supérieure, apte à assimiler rapidement toutes choses, courageux et combatif, à la fois enthousiaste et froid, loyal avec ses égaux, rusé avec l’ennemi (c’est ainsi qu’il appelle son maître) … S’il est d’une probité excessive avec ses égaux, il ne dédaigne pas de rouler l’ennemi (traduisez tous ceux qui, petits ou grands, représentent l’administration) avec une évidente satisfaction. N’a jamais été effleuré par un des vices si nombreux inhérent à la catégorie pénale … Dès qu’il a un moment de tranquillité, c’est pour se plonger dans ses livres, ses nombreux démêlés avec la justice, et les questions juridiques … Jacob étudie le droit pour mieux se défendre, pour s’en servir et c’est le droit, je veux dire l’esprit du droit, qui l’a saisi tout entier. Il est juste de dire qu’il a rendu infiniment de service à la population pénale par sa connaissance du droit. Nombreux sont ceux qui lui doivent de fortes diminution de peine, et si beaucoup d’entre nous savent maintenant se défendre, c’est à lui qu’il le doivent et moi le premier. (…) Jacob reçoit périodiquement le Mercure de France, aussi sa pensée littéraire, artistique, philosophique, historique, scientifique, a subi l’influence heureuse des écrivains de ce bel organe. Il pense littérature avec Jean de Gourmont, Rachilde, voit les arts avec Georges Kahn, le théâtre avec Henry Béraud, les journaux avec Bury, l’histoire avec Barthélémy, les questions militaires avec Jean Morel, et les sciences avec Georges Bohn.

 

Lettre de René Lemalle à Alexandre Jacob, 15 mars 1928

Mon cher Jacob,

Vous excuserez le malappris que je suis de vous avoir laissé si longtemps sans nouvelles et de ne vous avoir pas répondu plus tôt. Je suis vanné, esquinté, mort, flapi, pas moinsse !!!

Enfin pour en venir à ce qui nous intéresse, voici : vous savez que pour une question comme celle de votre ami on me trouve toujours. Maintenant, pour le moment je suis à zéro. Je vais me mettre en route cette semaine et dans une huitaine je pense que j’aurai trouvé le moyen de toucher ce mouton qui me fait l’effet de n’être qu’un cochon. J’ai dans mes connaissances deux zèbres au moins qui feront l’affaire et à qui je puis demander les yeux fermés de m’être agréable.

Maintenant, ainsi que vous me l’avez dit vous même, ne nous emballons pas, mieux vaut carrément avouer une non-réussite que de donner un faux espoir à un bougre qui use le soleil. Moi, c’est ainsi que je pense.

Mon cher Jacob, je vais faire tout mon possible pour aller d’ici à trois ou quatre jours.

En attendant, mon bon souvenir et meilleure santé à votre vieille maman

A vous bien cordialement

R. Lemalle

9 rue Thouin Paris Vè

 

Lettre de René Lemalle à alexandre Jacob, le 24 novembre 1929

Mon cher Jacob

Merci de votre aimable lettre. Voici le renseignement demandé (à votre disposition pour d’autres). Les surveillants ont vu supprimer la (…) mais la solde a été augmentée. Les (convois) fonctionnent toujours puisque l’A.P. est le (boucher) du pays (pourtant les fonctionnaires).

Voulez-vous que nous prenions rendez-vous mardi soir où il vous plaira ?Apportez moi le bouquin de Law. Ma bibliothèque pénale est à votre disposition.

Bien à vous cordialement

R.Lemalle

 

Lettre de René Lemalle à Alexandre Jacob, novembre 1929

Mon cher Jacob

En hâte, deux mots. Reçu votre lettre à la rentrée de mon château. Irai vous voir mardi prochain, impossible avant, ai vos deux bouquins. Pour Girod, j’aurai le tuyau aux alentours du 20. A vous bien cordialement et mes amitiés à la maman

R.Lemalle

P.S. : Pour Poldes, je ne suis pas R.Lemalle mais Jean Normand, ne l’oubliez pas S.V.P.

Tags: , , ,

1 étoile2 étoiles3 étoiles4 étoiles5 étoiles (1 votes, moyenne: 5,00 sur 5)
Loading...

Imprimer cet article Imprimer cet article

Envoyer par mail Envoyer par mail


Laisser un commentaire

  • Pour rester connecté

    Entrez votre adresse email

  • Étiquettes

  • Archives

  • Menus


  • Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur