INTERVIEW DE PIERRE VALENTIN BERTHIER


Piere Valentin BerthierParis, le 14 février 2001

Berthier : Vous savez comment les choses ont commencé pour faire connaître la vie de Jacob ? Moi, j’avais donc avant la guerre… Non ce n’est pas pendant la guerre. Pendant la guerre, nous étions complètement coupés de Paris et puis, pendant la guerre, vous pensez bien, il n’était pas question de faire un livre sur Jacob. En outre, toute la correspondance entre la zone libre et la zone occupée n’a été rétablie qu’après l’entrée des Allemands dans la zone libre après 1942. Il y avait à Paris, forcément entre 1944 et 1951 (puisque nous avions quitté Issoudun en 1951), Fernand Planche, un personnage du mouvement anarchiste qui avait été secrétaire d’un mouvement intitulé « La Synthèse Anarchiste« , dont le but était de concilier, tout au moins de rapprocher les doctrines et les militants de l’anarchisme pacifiste et de l’anarchisme individualiste. Fernand Planche, que je voyais chaque fois que nous allions à Paris, m’avait écrit pour me dire : « Je suis en rapport avec un écrivain nommé Alain Sergent qui, en collaboration avec un autre, a publié une histoire de l’anarchisme dont le tome premier a paru. Avant de se mettre au travail pour faire le tome deux, cet écrivain, qui se fait appeler Alain Sergent et qui s’appelle en réalité André Mahé, voudrait pour se délasser un peu se mettre à un livre moins contraignant. Il voudrait connaître un militant de l’ancien temps de l’anarchisme qui pourrait lui donner la matière d’un livre« . Et je lui ai indiqué qu’il existait un ancien activiste de l’anarchisme qui s’appelait Jacob et qui habitait dans le Berry. Alain Sergent m’a demandé de le mettre en rapport. Sergent est venu à la maison, auparavant j’avais prévenu Jacob qui était d’accord. Sergent est allé passer quelques jours chez Jacob et il en a tiré le livre publié aux éditions du Seuil. Voilà comment les choses se sont faîtes. J’ai revu Sergent assez souvent à l’époque où nous nous sommes installés à Paris. C’est même lui qui m’a mis en rapport avec les éditions Amiot Dumont, aujourd’hui disparues et pour lesquelles j’ai travaillé comme correcteur pendant plusieurs années.

Pierre Valentin BerthierJMD : Jacob a-t-il gardé une activité anarchiste après son installation à Reuilly ?

Berthier : Non ou alors discrète. Jacob était un homme qui cherchait non pas à se faire ou-blier mais à ne pas faire connaître autour de lui ce qu’il avait été. Sinon il reniait pour lui toute possibilité de redresser la situation.

JMD : Cela n’empêche pas une activité intellectuelle et je pense ici à ses relations avec le docteur Rousseau ou bien encore Sergent.

Berthier : C’est certain, non seulement une activité mais aussi une fidélité à ses idées premières.

JMD : Ce qui confirme l’idée d’un homme qui a développé autour de lui toute une série de réseaux pour vivre. Avant son arrestation, c’est la bande d’Abbeville, après son retour du bagne il a un réseau d’amis politiques et il s’installe comme forain dans le Berry.

Berthier : L’anarchisme était développé chez les forains mais lui-même ne pouvait se livrer à aucune activité qui aurait éveillé l’attention des autorités. Sauf quand il est parti en Espagne et dans le Midi. Mais il l’a fait là aussi avec une discrétion telle que nous n’en avons su quelque chose qu’après son retour. Dans la dernière page du livre de Michel Ragon « La mémoire des vaincus« , il y a tout à fait dans les dernières lignes le nom de Jacob qu’il aperçoit en Espagne. Ragon ne l’a peut-être pas su, il n’est pas fait mention de son équipée dans le midi pour aller voir Basile Zaaroff. Il y avait à Issoudun beaucoup de réfugiés espagnols. Jacob était à Reuil-ly. Mais si Jacob a eu des contacts avec les réfugiés espagnols, ça je ne le sais pas. Vous savez, les réfugiés espagnols étaient de différentes sortes aussi. Il y a eu à certains moments des Basques et cela n’a rien avoir avec les Catalans. Nous avons eu les Basques avant les Catalans, ils étaient des plus ardents contre le franquisme mais continuellement fourrés avec les curés.

JMD : inventaire d’une série de photographies pour tenter de mettre un nom sur des visages inconnus.

Berthier : Nous n’avons pas connu sa mère, elle est morte là bas dans l’Yonne. Je ne crois pas qu’il l’ait amenée à Reuilly. A la fin de sa vie, Jacob a eu une liaison avec une femme qui a vécu chez lui. A ce moment-là, elle a du emporter tout cela [les photographies] car il avait donné le mobilier à Briselance et l’immobilier à nous. Nous étions à Issoudun et lui à Reuilly. Quand il est mort, les choses s’étaient déplacées. Nous n’étions plus à Issoudun, on était à Paris. Alors le mobilier qu’il y avait à Reuilly, à la rigueur s’il nous avait intéressés, je pouvais le faire prendre par mon beau-frère ou n’importe mais on a pris juste la vaisselle et les pots à tabac. Mais à ce moment là madame Passas avait déjà regagné ses pénates. Elle n’était même plus avec Jacob depuis un bon moment puisque Jacob, dans l’intervalle, a habité chez Denizeau pendant un moment. Il ne s’y est pas plu et il est revenu à Reuilly où il s’est suicidé. Alors madame Passas, le temps qu’elle est restée avec Jacob, elle a pris ce qu’elle a voulu; nous on ne s’en occupait pas.

JMD : Je fais maintenant volontairement l’allusion à Arsène Lupin par rapport à ce que vous avez écrit dans les deux volumes parus aux éditions L’Insomniaque sur les écrits de Jacob.

Berthier : : L’idée première peut bien sûr avoir jailli chez Maurice Leblanc de là mais pour le développement c’est autre chose. Lupin est un redresseur de tort mais souvent il le fait au profit de gens chez qui Jacob aurait cambriolé.

Pierre Valentin BerthierJMD : Jacob n’est donc pas resté un activiste à son retour du bagne ?

Berthier : En tout cas, ce dont je me souviens, c’est d’avoir connu Jacob au moment des foires. Ensuite, je ne sais pas pour quelle raison il a choisi de s’installer à Reuilly. A ce moment là, il venait à Issoudun le samedi, c’est à dire le jour du marché. Je le voyais alors chaque samedi. Pendant la guerre je me suis marié et installé au centre d’Issoudun où j’avais mon bureau. Alors là, non seulement j’allais le voir mais lui aussi venait me voir. Il avait une activité politique ? Non ! Il devait se savoir surveillé de très près je suppose. Son activité se bornait à la fréquentation des camarades, à être abonné à la presse anarcho-pacifiste et à suivre des colloques entre nous mais c’était tout. Jamais il n’a rien fait de public. De notre coté, nous ne cherchions pas à mettre Jacob pour ce qu’il avait été. En effet, voilà un homme qui avait choisi un commerce pour refaire sa vie et un commerce vous savez ce que c’est. Pour avoir une clientèle, il faut avoir une réputation. Si votre réputation est mauvaise, vous perdez votre clientèle. Et comment voulez-vous avoir une bonne réputation si vous criez sur tous les toits que vous avez été au bagne pendant vingt cinq ans ! Nous n’allions pas risquer de couler l’af-faire à notre ami en faisant savoir partout qu’il avait été forçat.

JMD : Pourtant il est parti en Espagne en 1936 !

Berthier : Il y a eu des événements d’ordre tout à fait capital. Il est allé là bas très discrète-ment. Les camarades l’ont su mais il n’a pas été très longtemps absent. Il est allé, à ce moment là, moi je l’ai su après (c’est lui qui me l’a dit du reste), voir le marchand de canon Basile Zaa-roff qui était en villégiature ou qui résidait (je ne sais pas) dans le Midi de la France. Il est mort d’ailleurs peu de temps après. Jacob devait essayer en accord avec les camarades espagnols de les fournir en armes à travers la Méditerranée. J’en ai parlé brièvement avec lui et il m’a dit : « Oh non ! Ils ne savent pas ce qu’ils veulent !« . Il ne m’a pas parlé de Zaaroff lui-même mais des camarades espagnols avec lesquels il n’avait pas réussi à s’entendre.

JMD : Y a-t-il eu un lien Jacob-Durutti comme a pu l’affirmer William Caruchet dans son ouvrage ?

Berthier : Je ne sais pas ce qu’ont été ses accointances avec les anarchistes espagnols. Je ne sais pas avec qui il a pris contact là bas. Dans la mesure où ma mémoire reste fidèle, j’en ai parlé avec Jacob. Il m’a dit : « je n’ai rien pu faire avec eux, ce sont des fadas !« . C’était le mot qu’il employait même pour moi lorsqu’il a dit plus tard qu’il n’avait pas pu se procurer du poison pour se suicider. J’étais devenu libraire à Paris dans l’intervalle et il m’écrivait des lettres pour que je lui envoie des livres sur les poisons. Comme il m’avait fait part verbalement de son intention de se suicider dès qu’il sentirait venir les approches de la vieillesse, j’avais interprété ses lettres entre les lignes et je ne tenais pas à être le complice de son suicide. Moi, j’aimais bien Jacob et je n’étais pas du tout apte à le voir se suicider. A l’époque, nous n’avions pour ainsi dire de contact avec lui si ce n’est quelques lettres que nous échangions. Il est venu une fois nous voir à la librairie. Ma femme était là, j’étais parti travailler à l’extérieur comme correcteur pour une maison d’édition. Ma femme l’a promené dans le quartier.

JMD : Quels furent les rapports entre Jacob et Lecoin, que vous avez tous deux biens connus ?

Berthier : Je ne sais pas s’il a eu des rapports directs avec Louis Lecoin. Moi, j’ai bien connu Louis Lecoin que je voyais tous les mois quand j’allais lui porter mon article pour son journal, tout au moins à l’époque où nous étions-nous à Paris et lui également. Parce que j’ai commencé à travailler avec Louis Lecoin avant par voie épistolaire quand il m’a demandé une collabo-ration à « Défense de L’Homme« , A ce moment là, Lecoin sans doute était déjà connu , au moins de nom, de Jacob par le fait de « Défense de l’Homme« . Il lisait « Défense de l’Homme« . Jacob était abonné à « Défense de l’Homme« . Je ne sais si Jacob était lié à Lecoin. Je ne le voyais qu’une fois par semaine quand il venait à Issoudun pour les marchés. Il en fait d’autres, le marché d’Issoudun n’était pas suffisant pour vivre. Que voulez-vous ? C’était un homme qui travaillait à son banc, puisque c’est le nom que l’on donne à un étalage forain dans la campagne berrichonne. On se réunissait quelques fois entre nous, avec les quelques camarades que nous étions, c’est à dire Louis Briselance qui était forain et Bouquereau, forain également mais habitant Issoudun. J’ai connu successivement les deux femmes de Jacob. Il a d’abord vécu avec une femme Berthelot qui avait été mariée et qui avait eu deux filles de son mariage, mais qu’il n’a pas épousée. Après il s’est marié avec une femme Charron avec qui il venait également nous voir. La première n’est jamais venue à la maison alors que la vraie madame Jacob, elle, venait. et nous a invités à venir quelques fois à aller à Reuilly à déjeuner chez lui. On y est allé bien deux fois. Pas Souvent.

Pierre Valentin BerthierJMD : L’épisode du procès pendant la guerre m’interpelle sur le fait qu’un homme, au passé aussi chargé, ait pu passer cette période aussi facilement.

Berthier : Il n’y a eu tracasserie que vers la fin. D’abord avec les résistants puisqu’ils sont ve-nus chez lui pour prélever du tissu. Ils en avaient besoin pour se faire des vêtements. Jacob m’a raconté la chose. Ils l’avaient mis à la porte de chez lui avec un gars en faction et le fac-tionnaire, un peu gêné en face de ce vieil homme qui fumait sa pipe, lui dit : « Oh ! Je sais bien ce que vous pensez ! Vous nous prenez pour des bandits« . Et Jacob qui lui répond : « Non, je ne vous prends pas pour des bandits, je sais ce que c’est !« . Il a eu des ennuis également avec la justice. Je ne sais pas si c’est avant la guerre ou après. Je ne me souviens pas de la date de son procès. Ces choses là, je ne les ai pas notées au jour le jour. Là, je me fie à ma mémoire. J’ai assisté en revanche au procès ! Là, comme journaliste. J’ai été journaliste sous Vichy. J’étais au palais de justice qui depuis a été rasé et remplacé par un supermarché. Jacob a donc comparu, ou plus exactement si je me souviens bien était représenté par une personne. Par son avocat, lequel je connaissais bien. Il s’agissait de Me Boudrand qui n’était pas avocat mais avoué. En cette qualité, il avait le droit de plaider et il plaidait souvent au tribunal d’Issoudun. Je crois avoir entendu Me Boudrand plaider pour Jacob en faisant ressortir que c’était un délinquant primaire mais que par conséquent il demandait l’indulgence du tribunal, étant donné que la première fois qu’une personne passe en justice correctionnelle on lui applique généralement le sursis. Alors j’ai vu à ce moment là un sourire sur les lèvres du procureur ou du substitut.

JMD : Vous voulez dire que le procureur savait le passé de Jacob ?

Berthier : Oui, c’est à dire que le procureur, ayant accès au différents niveaux du casier judiciaire, connaissait et le tribunal aussi.

JMD : Justement, cette anecdote est intéressante parce qu’elle pose les rapports de Jacob avec l’administration de Vichy d’une manière surprenante.

Berthier : Jacob s’était refait une vie sans accroc, il ne commettait pas de délit. Le délit, qu’on lui reprochait, c’était qu’on avait retrouvé chez lui du tissu pour lequel il n’avait pu fournir de facture. Alors il a dit une chose : « J’ai reçu la marchandise et le commerçant ne m’a pas envoyé de facture. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne peux pas demander au commerçant de m’envoyer la facture s’il ne veut pas me l’envoyer !« . Alors il a été condamné pour ça. Parce qu’il avait fait un achat sans facture. Je ne peux pas vous dire si Jacob était de bonne foi ou non. Est-ce que Jacob avait vraiment acheté ses tissus au noir et fournissait de faux arguments à la justice ? Je n’en sais rien. Toujours est-il que sa défense était absolument vraisemblable. Vous me commandez un objet, je vous l’envoie et je ne vous le facture pas. Rien ne peut m’obliger à vous le facturer ! A ce moment là, est-ce que le commerçant en question n’était pas un juif qui, entre temps, avait été arrêté ? Malgré cela, je trouve que la justice a été sévère avec lui car elle lui a collé je ne sais plus si c’est quinze jours ou un mois de prison. Et qui l’ont fort affecté puisque nous avions été les premiers à avoir sa visite à sa sortie de prison, il nous a dit que ce séjour en prison lui a été plus pénible que le temps qu’il a passé au bagne. Je trouve qu’ils ont été sévères mais c’est vrai qu’ils n’ont sévi qu’une fois. Et moi alors qui, avant la guerre, ait fait de la propagande pacifiste et anarchiste à Issoudun, qui a fondé une section qui à un moment avait jusqu’à soixante dix membres, pourquoi ne m’a-t-on pas arrêté ? On ne pouvait pas arrêter tout le monde, vous savez. Le maire d’Issoudun lui-même qui fut maire pendant toute la durée de la guerre était un ancien communiste. On ne l’avait pas arrêté. Evidemment, il s’était converti. Moi, je ne me suis pas converti au vichysme, je me suis mis sous le tunnel et j’ai fait mon travail sans prendre jamais aucunement parti pour le régime. D’ailleurs en 1944, un journal communiste ne m’aurait pas gardé pendant sept ans comme rédacteur ensuite si j’avais été compromis par Vichy. Donc, comme vous voyez, des gens qui s’étaient lancés dans une action révolutionnaire voire subversive avant la guerre pouvaient fort bien, sous Vichy dont le régime cherchait à avoir une aile gauche (il ne faut pas l’oublier), ne pas être inquiétés. Je n’ai pas été persécuté, je me suis tenu tranquille en attendant que ça passe. J’ai joué l’attentisme comme d’ailleurs la majorité. Je ne suis pas un héros. Je défends mes opinions avec ardeur je pense. Mais de là à prendre les armes, non! J’ai été insoumis militaire et je n’ai jamais voulu me lancer dans une défense armée et je ne vois pas pourquoi je l’aurais fait à l’époque.

JMD : Vous avez fait de la prison pour votre insoumission ?

Berthier : J’ai été arrêté.

JMD : Vous êtes anarchiste ?

Berthier : L’anarcho-communisme est une doctrine parfaite si la psychologie humaine accep-tait un jour de s’y convertir mais, comme chaque jour je vois qu’il n’en est pas ainsi, je suis anarchiste individualiste. J’ai été façonné d’abord par Sébastien Faure, je l’ai été ensuite par Armand.

JMD : D’où votre amitié avec Jacob ?

Berthier : Oui, avec Jacob nous étions très amis. J’avais une absolue confiance et c’était réciproque. Confiance qui n’a pas été jusqu’à lui dire que nous cachions un réfractaire chez nous. Ce n’était pas par méfiance. Je sais très bien que, s’il l’avait su, il se serait fait hacher plutôt que de le dire. Nous ne l’avons dit à personne, même pas à nos parents. Il n’y en avait qu’un qui le savait, c’était le père du réfractaire mais il fallait bien qu’il le sache. C’est dire avec quelle discrétion nous avions agi. On ne l’a même pas dit à Jacob. Ce n’était absolument pas de notre part une attitude de défiance. J’ai été très ami avec lui, je ne lui en veux pas d’avoir dit et écrit que j’étais un « fada ». Il est venu un jour où j’interviewais Fernandel chez moi. Lors des spectacles qui étaient organisés à Issoudun, l’impresario à Fernandel, dont je ne sais le nom, et Fernandel étaient encore dans le bureau de l’appartement quand Jacob est entré tout d’un coup. En rentrant, il s’est trouvé nez à nez avec Fernandel et a dit « Tiens ! Eung païs! » avec son accent méridional. Ils se sont parlés.

JMD : Dans l’ouvrage de Sergent, puis dans celui de Caruchet, On aperçoit Jacob faisant la lecture à son amie secrétaire du manuscrit de Louis Ferdinand Céline « Voyage au bout de la nuit« .

Berthier : Je vous avoue n’avoir que parcouru l’ouvrage de Caruchet, lu en diagonal comme on dit dans l’édition mais je ne l’ai pas lu de la première à la dernière page. Alors que j’ai lu le bouquin de Thomas. J’ai lu le bouquin de Sergent qui est très probe. C’est vrai, il ne contient pas la conclusion, Jacob était encore vivant quand l’ouvrage a paru. Je ne peux rien vous dire au sujet du manuscrit de Céline. Il est possible que Jacob m’ait parlé de Céline mais ces choses là sont si anciennes ! Ma mémoire a rejeté grand nombre du passé.

Pierre Valentin BerthierJMD : Vous évoquez Jacob comme quelqu’un qui n’est pas sorti brisé du bagne, qui s’est construit une autre vie.

Berthier : Il était surtout adopté par les forains. Dans le milieux des forains, il y avait un grand nombre d’anarchistes, soit militants soit simplement adeptes ou sympathisants. Et tous les forains connaissaient Jacob et il était chez lui avec eux. C’était l’essentiel de ses fréquentations et de ses amitiés. C’est certain. J’étais peut-être à Issoudun une exception. A part moi, tous les autres qu’il fréquentait étaient des forains.

JMD : Donc, il a retrouvé dans le Berry un milieu libertaire sinon une culture libertaire.

Berthier : C’est beaucoup dire. Mais il a retrouvé surtout une ambiance favorable à vivre libre.

JMD : Quand on lit les lettres de Jacob, publiées aux éditions « l’Insomniaque« , on ressent un style particulier, assez féroce d’ailleurs.

Berthier : Ca, il aimait plaisanter. Il ne voyait pas la vie sous les couleurs sombres sous lesquelles il aurait fort bien pu la voir après ce qu’il avait passé. Je ne sais pas si Monsieur Nerrand l’a connu. A Reuilly, ils ont monté un petit musée, une petite exposition, je leur avais communiqué quelques objets et des photocopies de lettres dont je ne me dessaisis pas.

JMD : Etiez-vous en contact avec le R.P.Riquet?

Berthier : Moi, je ne communiquais pas avec le père Riquet. Il doit y avoir une correspondance mais, d’après ce que j’ai lu, elle est introuvable. Ca, je le savais du vivant de Jacob., il me parlait de ses échanges avec Riquet.

JMD : Jacob vous parlait-il de sa vie au bagne et de la bande d’Abbeville ?

Berthier : Non, il l’aurait fait si nous l’avions provoqué mais, encore une fois, on a toujours été discret pour la raison que je vous ai exposée et, évidemment, on aurait pu en parler entre nous. Ca nous est sûrement arrivé. Je ne m’en souviens pas. Vous me comprenez, a à cause de toutes les conversations que j’ai eues avec lui.

JMD : Beaucoup comme Ferrand ou Baudy sont morts à Cayenne, Sautarel s’installe en pays catalan, la page de l’illégalisme est tournée au retour de Jacob.

Berthier : C’est certain, voyez-vous l’illégalisme anarchiste est une expérience qui s’est conclue par un sentiment de défaite.

JMD : Mais Jacob peut historiographiquement faire peur puisque l’illégalisme organisé par lui fonctionne pendant trois ans ?

Berthier : Evidemment, il n’est pas comparable à l’illégalisme à la Bonnot et aux bandits tragiques. Mais si on considère le peu d’impact que finalement cela a eu dans la société, il faut se dire que tout ce mouvement révolutionnaire, non seulement celui des anarchistes mais celui des autres partis politiques y compris les parlementaristes, a donné l’illusion d’un mouvement révolutionnaire en France qui allait réellement changer la société. La guerre de 1914 éclate là dessus. Tout le monde part. Y compris ceux qui avaient lancé des proclamations dans les congrès socialistes. Il y a en même qui vont devenir ministres dans les gouvernements de l’Union. C’est dire que les congrès socialistes et pacifistes sont restés sans impact et que toute la saga sanguinaire du terrorisme anarchiste s’est conclue aussi par un même échec. Les grands changements ne sont pas faits par les mouvements révolutionnaires ni même politiques. Ils sont le fait maintenant surtout des changements scientifiques et industriels.

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Un commentaire pour “INTERVIEW DE PIERRE VALENTIN BERTHIER”

  1. bert dit :

    Bonjour JMarc

    Et tout d’abord merci de m’avoir fait le plaisir et l’honneur de m’accueillir!

    Je me permets d’intervenir sous cet article relativement à la mention qui est faite, ici et dans la bio de Jacob, sur le fait que ce dernier aurait été le premier ou l’un des premiers lecteurs du « Voyage au bout de la nuit » de LF Céline.

    J’ai cru comprendre que c’est Alain Sergent qui aurait évoqué cela dans sa biographie, et que Caruchet aurait repris cette assertion, corrige-moi si je me trompe, car je n’ai lu ni l’un ni l’autre.

    Je ne retrouve cette anecdote nulle part ailleurs, ni dans la biographie de Céline par François Gibault, ni dans les autres études dont je dispose ou que j’ai pu consulter récemment. Compte-tenu de la période de rédaction (entre 1929 et 1932), il se pourrait que Céline ait pu rencontrer Jacob sur la péniche d’Henri Mahé (aucun lien direct avec Sergent/Mahé, j’imagine…?). Je n’ai jamais lu la « brinquebale avec Céline » du peintre Mahé, où il évoque peut être cette rencontre, ou au moins la présence d’amis ou proches de Jacob…
    Jean Ajalbert, jury du prix Goncourt sollicité par Céline, mais après publication de son roman, avait été l’avocat de jean Grave et avait été pressenti par Auguste Vaillant pour assurer sa défense, lien bien ténu entre le milieu anarchiste et Céline…

    Je ne me fais aucune illusion sur l’anarchisme déclaré de Céline, même avant la publication de son premier roman, et j’avoue que l’éventualité de le voir confier son manuscrit à Jacob attise ma curiosité, mais reste assez étonnante. Il ressort des différents témoignages de la période de rédaction du « Voyage » allant jusqu’à sa parution que ce bouquin semble être resté assez « confidentiel », même après son dépôt chez Gallimard d’abord et Denoèl ensuite…
    Quant à Céline, qui se déclarait « anarchiste jusqu’aux poils » (« je l’ai toujours été et je ne serai jamais rien d’autre »), il ne correspond avec Elie Faure qu’après la publication du « Voyage », et avec Louis Lecoin seulement après la seconde guerre mondiale.
    Son anarchisme déclaré a été bien analysé (et réfuté) par Henri Godard dans son étude pour la Pléiade, et la suite de l’histoire de l’homme et de l’écrivain a bien montré ce qu’il en était.

    Cette possible lecture du « Voyage » par Jacob avant publication m’intéresse beaucoup, si tu as plus d’infos sur ce sujet, je suis preneur!

    A bientôt

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