Interview de CLAUDE NERRAND


Président du syndicat d’initiative de Reuilly (Indre, 36),

Fait à Reuilly le 03 avril 2001

Claude Nerrand dans son repaire rueillois

NERRAND : Dans l’environnement, que moi j’ai cherché, en fait le premier qui est venu me voir c’est donc Denizeau, un monsieur très gentil mais maintenant très âgé. Il a des difficultés à se déplacer mais il vient quand même régulièrement sur la tombe de Marius Jacob. C’est d’ailleurs lui qui a payé la nouvelle car l’ancienne a gelé, il y a deux ans. C’est lui qui en sait le plus parce que c’est lui qui a été un des héritiers de Marius Jacob. Il avait acheté la maison de Jacob avant qu’il ne meure. Et puis ensuite Berthier que je suis allé voir. Je l’ai trouvé très réservé dans un premier temps, un peu chiche de montrer ses papiers. Il m’a prêté quelques affaires quand j’ai fait l’exposition. Je l’ai revu une deuxième fois quand je suis allé à Paris pour l’émission « Les voleurs, les volés » avec Delarue qui ne m’a pas du tout enthousiasmée comme émission au moment où on l’a faite. Car c’est un scandale, c’est les voleurs qui ont eu raison et les volés qui devaient fermer leur gueule. Mais plus j’y pense, plus je crois qu’il faut avoir une certaine réserve pour Marius Jacob. Il a eu une vie aventureuse extraordinaire, surtout cette partie au bagne. La première partie, qui était celle du voleur, devait être difficile à mener mais la plus ardue était réellement celle du bagne. La partie de l’adolescence ne présente rien de particulier si ce n’est quelques aventures rapportées dans le livre d’Alain Sergent et, à Reuilly, cela a été beaucoup plus plat. Mais il était déjà âgé.

Dans l’environnement à Reuilly, en dehors de Denizeau et Berthier, il y en avait un troisième : Briselance. Il est mort et son fils, aujourd’hui, ne sait pas grand chose. Briselance était aussi un de ses héritiers. Alors il faut savoir que dans l’environnement même, la maison de Marius Jacob, il habitait au Bois Saint Denis. Vous avez du lire, on lui a demandé pourquoi il avait choisi Reuilly ? Parce qu’il venait faire les foires à Issoudun. Dans sa maison il n’y avait rien. Denizeau vous le redira. Je ne sais pas dans quel livre, on le voit derrière sa cuisinière, il avait une table, enfin rien. Au point de vue héritage, ils ont bazardé le peu qu’il y avait à l’intérieur. Ce qu’il y avait d’amusant dans cette maison, c’est que sa baignoire était sous une case. Dans le jardin, appuyée contre la maison, il avait fait une case comme on en trouve en Guyane. Enfin, la température était différente et il y avait mis sa baignoire et y faisait sa toilette presqu’un peu dehors. Pour les gens de Bois Saint Denis, qui sont des Berrichons qui se lavaient pas de trop, c’était quelque chose d’un petit peu important.

Dans ce que j’ai recherché, je me suis aperçu que tout le monde semblait connaître Marius Jacob. En fait, ils le connaissaient de vue. Ils ne le connaissaient pas chez lui. Il faisait d’ailleurs entrer très peu et les gens qui le connaissaient ont commencé à broder à partir du moment où les journalistes sont venus leur poser des questions. Alors là ! La ribambelle qui est venue depuis X temps, chaque année il y a un article là-dessus. Malbète décédé, sa femme à l’hôpital, son fils ne pourra à la limite que répéter ce que lui a dit son père. Il y a eu beaucoup d’inventions, tout le monde s’est mis à broder et a fait de Marius Jacob un héros du Bois Saint Denis.

JMD : En effet, on s’aperçoit en discutant avec les habitants de Reuilly qu’ils ont fait de Jacob une gloire locale. Il y a un mythe Jacob. Dans le Val de Loire, chaque village a son château, son événement, son personnage célèbre. Reuilly a Jacob.

NERRAND : Voilà ! C’est très dangereux quand on fait une étude. Moi, de ce que j’en ai retiré, je ne connais pas tout le monde ici car cela a beaucoup évolué mais ils ont connu Jacob, ils ont connu Marius puisque les forains l’appelaient ainsi sur la place de Reuilly. On ne l’appelait pas Marius Jacob mais Marius. Les personnes qui ont connu Marius ont maintenant 75/80 ans et ils l’ont connu quand il se mettait sur la place pour vendre sa lingerie. Et puis ils l’ont connu aussi pendant la guerre quand, dans sa grange, il a fait – allez ! sans exagération – un petit peu de marché noir. Il a arrangé les gens en vendant du tissu. Mais pour vous montrer un petit peu cette histoire de mythe, c’est qu’on le met un petit peu à toutes les sauces maintenant. Il arrive un événement de l’époque où il y avait Marius Jacob et on introduit Marius Jacob dans l’histoire. Alors ce qui fait qu’il faut beaucoup se méfier à chaque fois que l’on parle de Marius Jacob. Moi, quand je l’ai connu, j’avais douze ans. Marius Jacob faisait ses commissions à pieds avec son chien Noireaud qu’il tirait avec la laisse. Mes parents habitaient presqu’en face de la gendarmerie et il ne passait jamais sur le trottoir de la gendarmerie. Toujours sur l’autre trottoir. C’est aussi un vieux bonhomme qui disait bonjour. Il faut l’avouer, c’est assez rare un vieux paysan berrichon qui dise bonjour à coté d’un gamin. Donc ce bonhomme disait bonjour et c’est comme ça que l’on connaissait Marius. Et puis on le connaissait dans le sens où nos parents allaient acheter du tissu chez lui. Mais pendant toute la période de la guerre, on ne savait pas que Jacob avait été Jacob. On a vraiment appris que Marius Jacob avait été bagnard que quand le livre de Sergent est sorti. Mais avant on ne savait pratiquement rien. Je suppose que la gendarmerie devait avoir à le surveiller mais les archives de cette époque ont été brûlées par le chef de la gendarmerie au moment où les Allemands sont entrés dans Reuilly. Il y avait sûrement une surveillance mais elle n’a pas attiré l’attention des gens.

JMD : Quand Jacob était à Reuilly, il y eut un cambriolage à Paris qui rappelait celui de la rue Quincampoix et la police est venue chez lui. Ce qui prouve qu’elle était au courant des activités de Jacob.

NERRAND : C’est sûr et c’est pourquoi j’avais demandé des renseignements et on m’a dit que les archives avaient été détruites. C’est alors la peur du chef de gendarmerie face à l’arrivée des Allemands qui en est la cause. J’ai écrit au général Philipot qui m’a répondu que les archives de cette époque ont été brûlées. En revanche, je n’ai pas remonté un peu plus haut car j’avais un peu abandonné l’affaire du musée que l’on veut monter. Mais cette affaire se remet en route. La gendarmerie de Paris m’a confié des numéros de dossier aux archives de Châteauroux, ils contiennent peut-être quelque chose. Vous avez raison de dire qu’à Reuilly Marius Jacob a été le personnage. On en a eu un autre, un aviateur dont j’ai oublié le nom mais il n’a pas eu l’aura de Marius Jacob. Ce qui est sûr, c’est cette association avec Arsène Lupin. Alors ça ! Ce n’est pas rien parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne savent pas qu’Arsène Lupin est imaginaire. Dernièrement, à l’office du tourisme, il y a eu presqu’une petite altercation entre l’hôtesse et un visiteur qui voulait imposer ses vues en disant qu’Arsène Lupin avait existé et que c’était Marius Jacob et ainsi de suite. Et ça brode là-dessus ! Et ça brode ! On est étonné de voir que beaucoup de gens s’imaginent Marius Jacob en Arsène Lupin. Il y a quelques années une société style « amis du pays » avait fait mettre une pancarte « Tombe d’Arsène Lupin ». J’avais alors interpellé le maire de Reuilly lors d’une cérémonie du 11 novembre sur cette pancarte qui a disparu par la suite. On m’a accusé de l’avoir fait. Ce n’est pas bien grave mais ils l’ont remplacé par une autre pancarte « Tombe de Marius Jacob ». Là encore, j’ai fait une réflexion. Malgré l’exposition que j’ai réalisée, l’amalgame est toujours fait avec Arsène Lupin.

Il y a beaucoup de points noirs dans l’histoire de Jacob malgré les livres. A part peut-être le Sergent. Mais Jacob n’a pas beaucoup apprécié Sergent car Sergent buvait comme un trou. La caractéristique de Marius Jacob, c’était qu’il était excessivement propre. Il se lavait énormément. Denizeau qui a beaucoup d’anecdote vous le confirmera. Ce lavage devait être une réaction à la crasse qu’il devait avoir au bagne. A ce propos, sur la période du bagne, je ne comprends pas comment il a pu être garçon de famille.

A Reuilly, on n’a jamais entendu parler de Marius Jacob. Il jetait des regards bien sur les gamins qu’il appréciait. Avant de mourir, il a fait cette espèce de repas de purée liquide et de boudin. Après, il les a promenés dans sa Renault, une Renault toute bricolée avec des bout s de bois pour tourner qu’on tirait avec une ficelle. On le prenait un petit peu non pas pour un original mais c’était Marius le Marseillais. Tout çà, à une époque où on ne le connaissait pas. Il y a l’histoire du procès en correctionnelle sur les mètres de tissus. Que l’avocat ne sache pas le passé de Jacob ! Point d’interrogation. Je ne sais pas si cet avocat est mort, je pourrais tenter de le questionner. Il y a aussi l’image du maquisard à la porte. Là aussi, c’est à ménager car les jeunes gens, qui à l’époque étaient maquisards, qu’il y ait quelqu’un qui lui ait dit « vous nous prenez pour des bandits« . Cela m’étonne car ce n’est pas du tout le vocabulaire des maquisards et ils ne se prenaient pas du tout pour des bandits. Vous voyez, il y a beaucoup de points que l’on ne pourra pas éclaircie. Alors sur le passage de la fille, Josette Passas ! Je suis fort étonné que cette fille et lui se soient enflammés car ils avaient une telle différence d’âge ! J’avoue que je le comprends difficilement. Qu’est-ce qu’il pouvait lui apporter ? D’abord, le mari qui vient à bicyclette exprès ! Je sais bien qu’ils étaient anarchistes tous les deux mais qu’il y ait cette liaison ! Visiblement ce ne fut pas que platonique mais il faut quand même se remettre à l’âge de Jacob.

Denizeau vous dira aussi qu’il avait un esprit de liberté prononcé. Parce que Denizeau a voulu le recevoir quand il était malade et, en fait, il s’est peu ennuyé chez les gens qui voulaient le recevoir. Il revenait toujours sur Reuilly.

Ce que je voudrais dire d’autre sur Jacob, c’est que je suis toujours étonné de voir autant de monde parler de lui.

JMD : Et pourtant la question que l’on pose lorsque on évoque Jacob est « Qui est-ce ? ». Il y a une amnésie historique qui pèse sur Jacob ou alors il y a mystification. En revanche, sur Reuilly, on est en présence d’une gloire locale.

NERRAND : J’ai fait l’exposition pour deux raisons. Il faut que je l’avoue, que je sois franc, d’abord parce que le personnage m’intéressait d’un seul coup. Quand les gens en parlaient, ils avaient l’air de trouver Jacob extraordinaire. La deuxième cause, étant président du syndicat d’initiative de Reuilly, je trouvais là un biais touristique qui pouvait éventuellement m’attirer du monde. Cette exposition a eu lieu il y a quatre ou cinq ans. il est venu des anarchistes du coin, de l’Indre. Ils n’ont pas fait de critiques ce qui aurait été intéressant pour moi. Simplement j’ai ressenti avec ceux avec qui j’ai été amené à parler une flamme extraordinaire que je ne partageais pas. Ils le sentaient d’ailleurs parce qu’ils me l’ont dit. Ils s’imaginaient que j’avais fait l’exposition parce que j’étais anarchiste. Ce qui n’allait pas du tout avec mon origine disons professionnelle puisque, à ce moment, je commençais ma retraite de militaire. Cela a beaucoup étonné certains d’ailleurs. C’est là que ce connard de Delarue m’a posé la question : « Pourquoi un militaire s’est-il intéressé à Marius Jacob ?« . Qu’on soit militaire ou autre chose, c’était pour moi un aventurier, un aventurier qui avait une attache avec le pays. Que je fasse alors des recherches sur lui ou sur tout le pays, cela rentrait dans la même logique. J’avoue que cela a quand même était très difficile au départ de trouver des papiers sur Jacob. Il faudrait que je reprenne tout çà pour monter cette exposition permanente car l’on va m’acheter une maison. Je ne sais pas trop encore comment cela va se monter. Car, si on ne présente que des documents, c’est très lassant pour celui qui vient visiter. Je pense demander à des artistes de faire des tableaux sur des images qu’ils retirent des livres pour un petit peu plus agrémenter la visite.

Alors un autre point d’interrogation pour moi, c’est Jacob quittant l’école à 12 ans et arrivant à faire des lettres et mener une défense de ses coéquipiers de la manière dont il l’a fait. J’avoue que cela me tracasse un peu. Il y a bien des vieux qui ont quitté l’école à 12 ans et qui avaient quand même quelques bonnes connaissances. Mais venir au niveau de Marius Jacob par ses écrits ! Quand même !

Claude Nerrand 23 octobre 2004

Depuis cet interview, l’ancien colonel Claude Nerrand a réalisé une seconde exposition sur Alexandre Marius jacob à l’occasion de l’inauguration de l’impasse Marius Jacob en octobre 2004, il n’a en revanche pas réussi à convaincre la mairie de Reuilly d’acquérir la maison de Bois Saint Denis, où vécut le marchand forain, pour y ouvrir son musée de « l’aventurier » Jacob. Guy Denizeau est décédé en février 2007.

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2 commentaires pour “Interview de CLAUDE NERRAND”

  1. Carabasse Pierre dit :

    Bonjour,
    Claude Nerrand qui est cité dans cet article, est-il le lieutenant Claude Nerrand que j’ai connu et avec qui j’ai travaillé à Tahiti dont 3 mois à Moruroa, de juillet 1963 à juillet 1964 ? Il me semble bien le reconnaître sur cette photo. Je dois dire que, quoique peu militariste, j’ai apprécié sa gentillesse, son efficacité, son souci permanent de notre bien-être. Je doit dire qu’avec un ami de cette époque, resté à Tahiti comme moi, et quelques autres collègues retrouvés sur internet, nous avons beaucoup apprécié de travailler sous ses ordres. Même le boulanger de Moruroa me parle encore de lui, responsable de l’intendance. Je le cite dans mes souvenirs sur mon blog « La ballade du soldat », « Le service militaire » >>> http://www.tehoanotenunaa.com/
    Excusez-moi d’être hors sujet, mais cela fait longtemps que je recherche sa trace… Merci

  2. JMD dit :

    vous pouvez tenter de contacter l’office de tourisme de Reuilly ; ils devraient pouvoir vous renseigner mieux que nous pourrions le faire.
    Merci pour votre témoignage.
    Bien cordialement

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