L’Incorrigible


Roland et Louis portent le même nom. Roland est graveur, photographe, dessinateur, serial-artiste trancheur à la tronçonneuse. Il a redonné vie à Louis. Louis Cros est mort il y a fort longtemps. Anonyme, perdu, vaincu de guerre sociale en Guyane dans une époque que d’aucuns oseraient qualifier de belle. Louis a vraiment existé même si l’auteur de L’Incorrigible a déplacé son histoire d’une cinquantaine d’année pour mieux mettre en valeur le traitement pénal de la question délinquante en cette fin de XIXe siècle. Louis est bagnard, Louis est le personnage de L’Incorrigible, un formidable roman graphique sans parole paru aux éditions de L’Echappée.

Solveig Josset avait imaginé l’histoire de Georges pour les éditions du Verger des Hespérides en 2022 ; produisant un livre pop-up extraordinaire pour les enfants ; Roland Cros réussit l’exploit de nous faire ressentir par l’image – il y en a une par feuille – la vie et la mort de son homonyme. Les deux ouvrages déforment volontairement la chronologie d’une vie pour mieux se rattacher à la réalité historique. L’œil du lecteur adulte s’y prendra au moins à deux fois. La première lecture est celle de la connaissance de l’histoire d’un looser, d’un pas de chance qui s’attache à la vie, à une misérable existence par le truchement d’un bijou qu’on lui a légalement volé et qu’il fantasme désormais… et qui crève. Louis Cros, après être passé par Saint-Laurent-du-Maroni et les infectes cellules de la réclusion sur l’île Saint-Joseph meurt d’épuisement – de « faiblesse physiologique » peut-on lire souvent dans les dossier de bagnards.

Ce n’est pas un spoiler alert. Les bagnards meurent au bout de cinq ans après leur arrivée en terre de grande punition. Très peu en sont revenus. La Troisième république peut dormir tranquille, elle expurge le criminel, cette cellule infectée, loin du corps social métropolitain. À la deuxième lecture, plus lente, plus attentive, l’œil remarquera moult détails qui rendent l’histoire de Louis Cros vraie, historique, exemplaire de cette volonté d’élimination à la française qu’ont vécu, qu’ont subi presque 100.000 hommes et femmes punis en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, et dans d’autres camps de travaux forcés de ce glorieux empire dont on disait que le soleil ne s’y couchait jamais.

Il faut lire L’Incorrigible parce que le dessin est beau, poignant, criant d’une vérité sanglante et dégueulasse. Silence on a tué dans les bagnes français et respect aux enfants de Cayenne !

Roland Cros, L’Incorrigible, L’Échappée, 2023

192 pages | 17 x 24 cm | 22 euros

isbn 9782373091311

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