Le gâs qu’a mal tourné ?


Le moutarde me monte au nez ? Le grand blond avec une chaussure noire ? Le distrait ? La chèvre ? Nous n’allons pas faire l’inventaire des films à succès de l’acteur comique français Pierre Richard, né en 1934. Ce n’est pas pour autant une rubrique « people » du Jacoblog, et, si le très sérieux quotidien Le Monde entame en décembre 2019 une série d’articles posant la question de l’influence sur tel ou tel personnalité célèbre, celui sur l’acteur qui a mal ou bien tourné – selon que l’on aime ce style de cinéma ou que l’on apprécie l’allusion à Gaston Couté – n’a pas manqué de nous interpeler.

D’autant que, s’il a beaucoup lu « Racine et Camus » dans sa prime jeunesse, il a dû, au début des années 1950 nourrir sa révolte adolescente de la biographie d’Un anarchiste de la Belle Époque par Alain Sergent. Eût-il fait un excellent et honnête cambrioleur à l’écran ? Avec des si, on peut mettre certes la capitale en bouteille, on peut tout aussi bien imaginer la belle prestation cinématographique que cela eût pu être. Avec des si, on aurait pu imaginer Jacob cambriolant le château familial de l’acteur. Avec des si…

Nous avons envoyé un exemplaire du Voleur et anarchiste (Nada, 2015) à Pierre Richard après la lecture de ce papier. Nous ne savons pas s’il l’a apprécié, maintenant qu’il n’est plus, cet adolescent « rebelle » et aristocrate.

Le Monde, 15 décembre 2019

Pierre Richard

« J’étais sans doute anar sans le savoir »

Je ne serais pas arrivé là si… « Le Monde » interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence. Cette semaine l’acteur et réalisateur aux 70 films explique en quoi ses origines mi-immigrées mi-aristocratiques l’ont amené à composer son personnage de poète burlesque.

Votre père, lui, était totalement absent..

Mon père a quitté ma mère avant que je naisse. C’est pour cela que mon grand-père maternel a été si important. C’était ma figure masculine. Il avait une énorme affection pour moi. Mon père a été banni de la famille par mon grand-père paternel pendant quinze ans. Il a fallu les fausses langueurs de ma grand-mère pour qu’il accepte que mon père revienne dans le giron.

Pourquoi vous ne « foutiez pas grand-chose» ? Vous n’aimiez pas l’école ?

Non seulement je ne l’aimais pas, mais en plus j’avais une bonne raison : j’étais en pension! Je suis le contraire des 45 millions de Français de l’époque : pendant la guerre, je vivais une vie de petit sauvageon, à la Huckleberry Finn. Une grande liberté. Et quand Paris a été libéré, j’ai été enfermé ! Sept années de pension religieuse, de dortoir glacé, de nourriture infecte. Face à cette réalité, je foutais le camp dans ma tête, le rêve éveillé était la seule façon de m’en sortir. Mais, au fond, cet univers a peut-être contribué à ce que je devienne acteur. En pension, il n’y avait pas trente-six manières de survivre : c’était soit être très fort physiquement, soit très fort intellectuellement, soit être très drôle. Faire rire ses camarades était très important. Il y en avait toujours qui disaient « Ne touche pas à Pierre parce qu’il me fait rire. » J’étais le bouffon du roi, le roi étant celui qui était le plus costaud de la classe. Le dimanche, je rentrais chez moi : j’étais le seul qui mangeait de la merde pendant six jours et du caviar le septième ! Mais je m’ennuyais les dimanches dans ce château, sans frères et sœurs et sans copains. Je me promenais dans le parc, je lisais Racine, Camus.

Pourquoi vous sentiez-vous « inadapté » à ce milieu familial aristocratique ?

C’est un sentiment que j’éprouvais mais que je n’analysais pas. J’avais le Lion de faire exactement le contraire de ce qu’on attendait de moi. Je me souviens qu’un jour où des invités devaient arriver j’avais, avec un bâton, écrit « merde » en énorme sur le terre-plein en gravier rouge devant l’entrée du château. Je ne vous dis pas le scandale dans la famille ! Pourquoi ai-je fait ça ? J’étais sans doute anar sans le savoir. J’avais d’ailleurs lu beaucoup de choses sur les anarchistes, notamment Marius Jacob [1879-1954]. J’aurais bien aimé faire un film sur lui.

L’année du bac, vous découvrez au cinéma Danny Kaye, dans « Un fou s’en va-t-en guerre ».  Et ce film vous bouleverse. Pourquoi ? Je ne serais pas arrivé là si je n’étais pas allé, un après-midi, au cinéma Novéac, à Valenciennes, au lieu d’aller au lycée. Avant cette séance, je ne savais absolument pas ce que je voulais faire après le bac. Et là, j’ai eu un coup de foudre. J’ai vu un acteur que je ne connaissais pas – grand, blond, qui chantait, dansait, qui était drôle et émouvant. J’ai été pris d’une extase, ce fut presque mystique ! J’avais compris: voilà ce que je veux faire ! C’était une révélation. Evidemment, je n’ai rien dit à ma famille car je n’étais pas censé sécher les cours pour aller au cinéma. Dès que j’ai eu mon bac, j’ai quitté Valenciennes et la pension pour retrouver ma mère à Paris et m’inscrire au cours Charles-Dullin. Ma mère ne m’a jamais freiné dans mon souhait de devenir comédien. C’est un des rares privilèges d’avoir des parents divorcés. D’un côté, on m’a dit non, de l’autre oui bien sûr, rien que pour emmerder l’autre moitié ! J’ai divisé pour mieux, régner. Mais j’ai enlevé mon nom – Defays – et je n’ai gardé que mon prénom – Pierre-Richard – pour ne pas gêner la famille.

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