Au peuple souverain


moutonsLe nombre de badauds prouve à fortiori le caractère exceptionnel du procès des bandits d’Abbeville. Ils sont en effet nombreux dès l’ouverture des assises picardes à venir voir passer les fourgons cellulaires emmenant le matin Alexandre Jacob et ses co-accusés au palais de justice ou bien, le soir, les ramenant  à la prison de Bicêtre. Ils sont encore plus concentrés, serrés, comprimés dans la salle d’audience pour assister aux débats comme on va au théâtre. Les sources policières et médiatiques s’accordent sur la curiosité pour interpréter l’affluence constatée à Amiens du 08 au 22 mars 1905. Les deux s’attachent aussi à décrire une masse hostile que tentent néanmoins de retourner les militants libertaires locaux.  Mais les cris de Vive l’Anarchie ! restent le plus souvent sans écho ou bien, provoquent nombre de A mort ! . L’agitation  ne semble pas prendre, du moins  au départ du spectacle judiciaire. Peut-être est-ce pour cette raison que Jules Ouin, un des animateurs de Germinal, adopte un ton particulièrement féroce dans le n° 11 de la feuille anarchiste picarde. On retrouve alors l’influence de l’individualisme de Libertad dans cet article vilipendant une foule soumise et moutonnière, prête à lyncher les illégalistes de la « bande sinistre » si on lui en donnait les moyens. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le béquillard vient pour ce numéro entièrement consacré aux Travailleurs de la Nuit prêter main forte aux camarades d’Amiens. C’est bien au culte de la charogne que Libertad s’en prend, lui aussi, quelques temps plus tard en créant le journal l’anarchie (avril 1905).

Germinal

n°11

du 19 au 25 mars 1905

Au peuple souverain

La foule veut voir Jacob ; chaque jour, elle vient rôder autour de l’antre des chats-fourrés, dans l’espoir d’apercevoir ses victimes, car ils sont bien tes victimes, foule esclave, foule souveraine d’un jour, foule moutonnière, foule acclameuse de sabres, de drapeaux et de politiciens.

Contemple ton œuvre, peuple roi, peuple électeur, peuple travailleur. C’est bien toi qui, par ton avilissement, ton ignorance, ta lâcheté, ton poirisme, a forgé les fers qui meurtrissent nos fiers camarades expropriateurs de tes maîtres. C’est bien toi qui bâtis leur prison et les gardes.

Tu es complices dans la fabrication des iniques lois scélérates, en vertu desquelles on les enverra mourir à petit feu sous le soleil brûlant de la Guyane. N’est-ce pas toi qui nommes les députés fripons, et les conseillers électeurs des sénateurs gagas aussi libidineux que féroces ? N’es-tu pas la meute qui se rue à la poursuite du malheureux qui a volé quand la police le pourchasse en criant au voleur !

Et ne donnes-tu pas la main par ta veulerie et ton approbation tacite à la crapule enjuponnée qui le condamne inexorablement à vivre des mois et des années en prison, loin de sa femme et de ses petits ?

Si tu n’étais pas leur complice et leur meilleur soutien, est-ce que l’on pourrait voir se promener impunément en plein jour ces vieux jugeurs au faciès de gorilles qui ont des milliers d’années de prison ou de bagne et des têtes de guillotinés sur la conscience ?

Qui tient en définité Jacob et ses amis ? Est-ce Régnault et Wehekind ? – Non ! Ce sont tes fils, les soldats qui menacent de leurs baïonnettes et leurs Lebel. Les roublards commandent, toi, tu obéis aveuglement en esclave.

Tu élèves péniblement tes enfants pour leur donner tes filles à souiller comme bonnes à tout faire, et tes gars pour leur servir de larbins, de mouchards et de prétoriens.

Mais pour te récompenser, lorsque tu ne seras plus apte à enrichir tes maîtres qui t’éclaboussent du luxe insolent que tu crées par ton servile labeur, on te condamnera à ton tour – toi l’honnête imbécile – non pour vol – car tu n’as pas l’énergie de prendre ce qui pourtant n’appartient qu’à toi, créateur inconscient de toute richesse, – mais  pour mendicité ou vagabondage – le crime des vieux – quand tu en seras réduit à tendre ta main usée par le travail, ou quand le propriétaire dont tu as construit la maison et édifié la fortune, te fera jeter à la rue comme un chien avec ta femelle, par les recors pour ne pas avoir payé le loyer que tu as consenti.

Alors tu boiras le calice de misère jusqu’à ce que tu débarrasse la bourgeoisie de ta sale carcasse sans valeur qui les empêche de digérer en paix. Ils sont si dégoûtants ces vieux mendiants !

Ayant vécu en esclave, tu crèveras de même … A moins qu’un rayon de lumière éclairant ta raison endormie ne te fasse briser dans un jour de colère les idoles qui t’écrasent et que tu adores.

J.Ouin

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