Une tombe fantôme ?


S’il est parfois difficile de retrouver la trace d’un individu dans les différents services d’archives, la tache peut s’avérer ardue lorsqu’il s’agit de repérer sa dernière demeure. Le problème ne se pose pas pour Alexandre Jacob, enterré au cimetière de Reuilly dans l’Indre. Mais la lutte des classes perdure dans l’au-delà, marquant de son sceau l’évidente inégalité devant la mort. Laurent Gallet est parti à la recherche de la tombe perdue d’Antoine Cyvoct, « 1er martyr de l’anarchie » rentré triomphalement du bagne de la Nouvelle Calédonie en 1898, mort en 1930, indigent et oublié de tous. A Paris, à Lyon, pour la famille Cyvoct, la mémoire est au fond du trou.

Une tombe fantôme ?

Antoine Cyvoct est décédé le 5 avril 1930, au 184 rue du faubourg Saint-Antoine. Il exerce alors la profession de courtier en librairie et est domicilié au 114 du Boulevard Voltaire [à Paris]. D’après Mme Zévaès, il est mort dans une « noire misère »[1] et oublié de tous. Il est bien vrai que de 1912 à sa mort, ce sont presque vingt années pendant lesquelles Antoine disparaît. Ses quatorze années de bagne, en retrait de la vie des hommes, sont paradoxalement beaucoup mieux connues que ses dix-huit dernières années de liberté.  Nous savons en outre qu’Antoine n’a jamais fondé de famille. Il décède célibataire et sans enfants. Voilà pour l’oubli. Pour ce qui est de sa situation matérielle, signalons simplement que son décès donne lieu à une vente mobilière en juillet 1930[2] dont nous ignorons le contenu et la valeur.

Ses parents et son frère sont tous trois enterrés au cimetière de la Guillotière comme l’attestent les registres des convois funéraires[3]. Françoise Blanchard est décédée le 1er février 1889 ; elle reçoit une sépulture ecclésiastique le lendemain en la paroisse du Saint-Sacrement. Antoine, depuis le bagne, se désole quelques années plus tard de ce que « le fossoyeur a bouleversé sa tombe, et lorsque je rentrerai en France, je chercherai en vain le lieu où elle repose »[4]. Le 24 février 1898, alors que l’Armand-Béhic s’approche de Marseille, c’est Charles qui décède brutalement dans sa trentième année. Il reçoit lui aussi une sépulture ecclésiastique en la paroisse de Saint-Pothin avant que son corps soit dirigé au cimetière de la Guillotière trois jours plus tard. Le 2 mars, accompagné de sa belle-soeur, Antoine se rend sur la tombe de son frère[5]. Puis le 9 mars 1901, c’est au tour de son père, Paul, de décéder à la faculté de médecine.  Pour ce dernier, le registre des convois funéraires est formel, l’enterrement est purement civil. Si la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles accorde le respect des mesures prises par le mourant, nous savons qu’à Lyon, la municipalité offre des primes à l’enterrement civil afin de confisquer les mourants les plus pauvres des mains confessionnelles[6]. Mais Paul n’est pas un indigent puisqu’il possède sa propre maison. Toutefois, les morts issus des institutions de la ville, hôpitaux, morgue, faculté de médecine, sont très majoritairement inhumés civilement même lorsque le défunt ou sa famille fait valoir de pieux sentiments.

Il n’existe donc pas de caveau pour la famille Cyvoct au cimetière de la Guillotière mais des tombes individuelles, ce que nous a confirmé la direction des cimetières de la ville de Lyon (par lettre datée du 18 août 2011). Antoine n’a pas été inhumé à Lyon, ni à Belmont, dans l’Ain, d’où est originaire sa famille. Mort à Paris, c’est dans cette ville que les recherches ont été effectuées. Hélas, les vingt cimetières parisiens contactés par téléphone, ont tous livré une réponse négative : Antoine Cyvoct ne semble pas avoir été enterré dans la capitale. Les répertoires des convois funéraires signalent par les mentions « entrant » et « sortant » les individus morts dans une ville et inhumés dans une autre. Mais par malchance, les répertoires des convois funéraires parisiens n’ont pas été conservés pour la période 1920-1944. De plus, le répertoire des convois gratuits de 1930, qui, quant à lui, a été conservé, ne livre aucune trace d’Antoine Cyvoct, pourtant mort sans fortune selon Mme Zévaès[7].

En octobre 1896, Antoine écrivait à son frère : « le bagne, vois-tu, me fait l’effet d’un tombeau, de quelque chose de pire encore, car la tombe, c’est la fin de toutes les souffrances dans l’oubli éternel de toute chose »[8]. Si la tombe, c’est l’oubli éternel, que doit-on penser d’une tombe elle-même oubliée ?

Laurent Gallet, 1er juin 2012


[1]La Nouvelle Revue, mai-juin 1932.

[2]A.M.Paris, DQ8 3129, avril 1930.

[3]A.M.Lyon, 1745 W 115, 143 et 149 pour respectivement sa mère, son frère et son père.

[4]CAOM, H143/Cyvoct, lettre de Cyvoct (pièce n°2) adressée au directeur de l’administration pénitentiaire, datée du 29-10-1894.

[5]Archives Nationales, Fonds Panthéon, F7 15943 1, dossier Cyvoct, lettre du préfet du Rhône adressée au Ministre de l’intérieur, daté du 03-03-1898.

[6]Voir sur ce sujet, DUMONS Bruno et POLLET Gilles, « Enterrement civil et anticléricalisme à Lyon sous la troisième république (1870-1914) ».

[7]A.M.Paris, 2484 W 141.

[8]a La vérité, bulletin mensuel du comité de défense et d’agitation pour la révision du procès Cyvoct, Paris, n°2, décembre 1904.

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