Con presseur de lupinose


Comme une allusion au 1er dan de l’aïkido, ShoDan nous invite, le 1er septembre 2011 sur son blog, la plume et le rouleau, à la rencontre de deux personnages. Le premier est un voleur anarchiste, le second un écrivain populaire d’origine bourgeoise connaissant la célébrité en inventant un génial gentleman cambrioleur. Nous ne savons pas où l’auteur de ce très long article a eu sa ceinture blanche mais il est sûr que long est le chemin qui mène à la parfaite compréhension des faits. ShoDan entend user de références sérieuses pour mettre en lumière le rapprochement Jacob – Lupin tant les sites qui l’évoquent sont souvent entachés de lourdes erreurs et / ou versent dans des digressions outrancières et hors de propos. Seulement … seulement, à trop vouloir nous épargner de longs développements, ShoDan s’est pécho une sérieuse lupinose et un sens certain de l’erreur.

Les Jacob s’installent à Marseille vers 1850. Faux. Les syndicats en 1891 ??? La bande à Baader et Action Directe inspirées directement des propagandistes par le fait de l’hexagone. Faux. Le billet laissé chez Pierre Loti. Faux. Et, the last but not least : l’agent Couillot grièvement blessé à Abbeville le 23 avril 1903. Faux. L’article continue alors son bonhomme de chemin et Chaud-chaud prouve, après avoir abordé l’extraordinaire vie d’Alexandre Jacob, les débuts difficiles de la troisième république, ceux encore plus difficiles de Maurice Leblanc, la naissance du magazine Je sais Tout, la rivalité entre Hornung et Conan Doyle ainsi que la propagande par le fait, l’indéniable vérité, l’absolue vérité, nous révèle la vérité. Il devrait se soigner tout de même. La plume serait plus légère et le rouleau moins compresseur de lupinose.

La plume et le rouleau

01 septembre 2011

La PLUME ? C’est celle dont je me sers pour vous écrire ces chroniques… Le ROULEAU ? C’est celui de la muse antique CLIO, sur lequel est écrite l’HISTOIRE de l’humanité… Et tandis que la tyrannie des média tente de noyer les citoyens sous un déluge de « news » et de les transformer en consommateurs sans mémoire, je vous invte à :

(re)découvrir des épisodes historiques, souvent étonnants mais parfois oubliés, à travers PRES DE 200 CHRONIQUES

(re)placer ces moments d’Histoire en perspective avec l’actualité pour en décrypter la résonnance immédiate

Tout le CONTENU de ce blog est GRATUIT : vous n’y trouverez AUCUN article PAYANT, c’est sa philosophie.

Ces chroniques sont toutes des créations originales issues de lectures, recherches, compilations et synthèses personnelles. Les sources utilisées pour leur rédaction sont généralement citées. Les photos et dessins de ce blog ont été trouvés en libre accès sur le Web ou appartiennent à l’auteur. Si vous constatez qu’un texte ou qu’une illustration ne respecte pas la législation sur la propriété intellectuelle : utilisez le formulaire « Contact » ci-dessous afin d’aider au respect du droit d’auteur.

Par SHO DAN

1905 : Alexandre JACOB et Arsène LUPIN, gentlemen cambrioleurs (1)

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,

Nous sommes le 1er avril 1899 à Marseille.

La scène que je vais avoir le plaisir de vous décrire aurait pu être inventée par un écrivain imaginatif pour les besoins d’une fiction. Elle aurait aussi pu être, en elle-même, un canular : sa date et sa localisation se prêtant, à bien y réfléchir, à quelque farce énôôôrme du côté de la Canebière. Quant aux motivations des principaux acteurs, enfin, elles auraient pu susciter l’indignation légitime des honnêtes gens ainsi que de la compassion pour la victime de la part des commentateurs divers…

Tout cela : il ne fut rien. Authentique de bout en bout, l’épisode déchaîna la stupeur puis l’admiration et, finalement, une cascade de rire. Nous allons voir comment et pour quelles conséquences.

Retrouvons-nous donc le 1er avril 1899 à Marseille, rue du Petit-Saint-Jean. Il y a, dans cette rue, un bijoutier qui est un « commissionnaire » du Mont-de-piété : son métier est de collecter, évaluer et stocker les bijoux qui ont été laissés en gage par des particuliers impécunieux, en contrepartie d’une somme d’argent immédiate, à rembourser sans échéance fixe.

Ce jour-là, de façon inattendue, l’homme reçoit la visite de quatre hommes : un commissaire de police (gibus sur la tête et écharpe tricolore en travers de la poitrine), flanqué de deux agents et d’un secrétaire, jeune homme sans doute débutant qui prend scrupuleusement des notes et qui exhibe la commission rogatoire (un mandat du juge d’instruction pour, en l’occurrence, procéder à une perquisition).

Le bijoutier s’alarme : que lui veut-on ?

Le commissaire le prévient : il est en fait soupçonné de recel de bijoux volés… Le bijoutier se récrie et proteste de son honnêteté ! Mais le commissaire est intraitable : sa mission à lui est de procéder au recensement de l’ensemble du stock. Le bijoutier n’aura quà se débrouiller avec le juge. Alors on ouvre les coffres, les vitrines et les casiers. On sort tout et on compte, on recense, on décrit. Et, pendant trois heures, le secrétaire noircit du papier officiel sur lequel s’étale un procès-verbal complet. Les bijoux sont placés dans des boites, soigneusement recouvertes d’impressionnants scellés et mis sous la protection des policiers à titre de pièces à conviction.

Et, l’ouvrage achevé, l’humiliation continue : la police « embarque » le bijoutier, menottes aux poignets, en direction du Palais de justice de Marseille (place Daviel, dans la vieille ville) et du bureau du procureur. Effondré, le prévenu est conduit à l’intérieur et placé sur un banc, à côté du bureau du procureur. Il a pour consigne d’attendre celui-ci. Alors il attend.

Il attend.

Il attend mais rien ne se passe…

C’est maintenant l’heure de la fermeture et le concierge, par hasard, découvre l’homme. Que fait-il là ? Il attend le procureur. Et il explique son cas… Le concierge donne alors l’alerte pour que la police se saisisse de cet homme qui, à l’évidence, n’a plus toute sa raison (bien qu’il proteste – comme toujours en pareil cas – qu’il n’est pas fou). Un inspecteur (un vrai) l’interroge et finit par comprendre tout : ce bijoutier vient d’être la victime d’un bande de malfrats d’une audace inouïe qui, sans arme ni violence, lui ont dérobé toute sa marchandise (400 000 francs) grâce à un canular parfaitement organisé !

Il vaut mieux être ridicule que mort et la presse se gausse à qui mieux-mieux de ce fait divers d’un genre nouveau. La police, elle, rit moins. Que des bandits commettent des vols, il n’y a là rien que de très habituel. Qu’ils ridiculisent leur victime, admettons encore. Mais qu’ils le fassent en se faisant passer eux-mêmes pour des représentants des forces de l’ordre, voilà qui ajoute le sarcasme au forfait. Si les voyous n’ont même plus le respect de l’uniforme, où va-t-on ? Les agents de la force publique peuvent-ils accepter de se faire tourner en ridicule de cette façon ?

Hélas : oui… !

Oui, jusqu’en avril 1903, date à laquelle un certain Alexandre Jacob (celui qui tenait le rôle du secrétaire méticuleux) et sa bande sont arrêtés après… plus de 150 cambriolages en France et même à l’étranger : des vols réalisés dans des conditions d’ingéniosité étonnantes. De cette réalité, la fiction romanesque finira par s’emparer et prendre le pas sur l’historicité des aventures du personnage originel, aujourd’hui méconnu.

C’est (entre autres) pour cette raison que nous allons nous intéresser à tout cela.

D’abord en évoquant Alexandre Jacob, usant pour cela de références sérieuses, tant les sites qui l’évoquent sur le net sont souvent entachés de lourdes erreurs et / ou versent dans des digressions idéologiques outrancières et hors de propos. Ensuite en rappelant l’actualité politique et sociale du tournant des XIXème – XXème siècles, afin de bien comprendre pourquoi l’ « affaire Alexandre Jacob » eut, à l’époque, tant de retentissement.

Enfin en (re)découvrant un héros littéraire qui, enraciné originellement dans ce faits divers judiciaire et, au-delà, dans une Belle Epoque aux difficiles problématiques diplomatiques, eut pourtant une fortune imprévue à travers les décades suivantes. Ce héros, vous le connaissez car, si ses aventures ne sont, hélas, plus guère lues aujourd’hui, elles furent, en revanche, souvent portées (très inégalement) à l’écran. Ce gentleman-cambrioleur qui, lorsqu’il « détrousse une femme, lui fait porter des fleurs » (1971, Jacques Dutronc) c’est, vous l’avez reconnu : Arsène Lupin. Et c’est non sans une certaine jubilation que je vais vous parler aujourd’hui, parmi d’autres choses toutes aussi passionnantes, de mon héros littéraire préféré. Désuet, Arsène Lupin ? Certainement (et délicieusement). Dépassé ? Certainement pas… Passionnant ? Plus qu’on ne le croit.

Pour plus de détails sur ces personnages, je vous renvoie aux excellents travaux de l’historien Jean-Marc Berlière (L’Histoire n° 127) et de l’écrivain André-François Ruaud (DLM éditions) dont la lecture m’a tellement passionné que j’ai décidé, à mon tour, de vous faire partager cet enthousiasme à travers une chronique inédite les synthétisant avec mes propres recherches.

Retrouvons-nous en… 1879, une année qui va avoir le double mérite de servir de point de départ à cette chronique et de marquer un tournant dans l’histoire de la république : le genre de tournant non immédiatement perceptible par les contemporains mais que les historiens que vous êtes savent repérer d’un coup d’œil…

Cette année-là… La France connait en effet, depuis 9 ans, le régime parlementaire et démocratique dit de la « Troisième république » bâtie sur les ruines d’un Second Empire aboli (4 septembre 1870) après la désastreuse défaite militaire à Sedan face à la Prusse. Or, il se trouve que les élections législatives de 1877 avaient donné une majorité de députés de centre-gauche, laïque et réformiste face à un président de la république élu par la majorité parlementaire précédente, en 1873 : le maréchal de Mac-Mahon. C’était donc la première « cohabitation » entre des députés « radicaux-socialistes » bourgeois et modernes et un président autoritaire, fondamentalement monarchiste, par ailleurs auréolé des succès remportés lors de la guerre de Crimée (Mer noire, 1853 – 1856) avec les victoires de Malakoff et de Sébastopol (septembre 1855).

A partir de 1877, Mac-Mahon, évidemment, regimbe et entrave comme il peut les envies de réforme de la majorité républicaine. Alors Léon Gambetta le menace : il lui faudra bientôt « se soumettre ou se démettre ».

Or, en janvier 1879, les élections au Sénat donnent, encore, la majorité aux républicains. Ceux-ci sont désormais maîtres à la fois du Sénat et de la Chambre des Députés (= l’Assemblée nationale). Et, le 30 janvier 1879, quoique de mauvais gré, Mac-Mahon, légaliste et fair-play, finit par démissionner. Son successeur Jules Grévy fait alors le choix de, quoiqu’il arrive, ne jamais entrer en conflit avec les députés, qui sont l’expression réelle et authentique de la volonté populaire : la république parlementaire est née, avec ses qualités et ses défauts. Que reste-t-il de Mac-Mahon et de ses victoires militaires, aujourd’hui, à Paris ? Une avenue (Mac-Mahon), un boulevard (Sébastopol) et des stations de métro (Crimée, Réaumur-Sébastopol, Malakoff). Que reste-t-il de cette démission ? La fondation d’une ère de vastes réformes qui modèle encore aujourd’hui très largement notre vision de la société et du pouvoir politique.

Car à partir de février 1879, c’est Waddington qui devient Président du Conseil (= Premier ministre et chef de l’Exécutif). Si ce personnage au nom de sport de raquette n’est pas franchement resté dans la mémoire collective, celui qu’il choisit comme ministre de l’Instruction publique (= l’Education) va, lui, être promu à une gloire républicaine sans égale : ce sera Jules Ferry. Ferry va engager une vaste réforme de l’école : réforme destinée à en faire le creuset de la formation des futurs citoyens de la république (Ferry a peur du « socialisme »), réforme marquée par une laïcité militante (Ferry est un anticlérical convaincu). Dès 1879, on met donc en place des écoles « normales » destinées à former les futurs instituteurs et institutrices (cette parité, elle-même, est une révolution) de la future école primaire « laïque, gratuite et obligatoire » qui sera définitivement fondée par les lois de 1881 et 1882.

Promouvoir la laïcité et faire reculer la religion, lutter contre les révolutionnaires potentiels et privilégier l’avènement d’une classe moyenne modérée propriétaire et paisible : tout le programme des républicains de cette fin de XIXème siècle est là. On voit combien les mentalités d’aujourd’hui sont imprégnées des ambitions novatrices de cette époque.

En 1879, c’est à Marseille, la « cité phocéenne » que naît, en septembre, un enfant nommé Alexandre au sein d’une famille d’origine alsacienne qui s’y était établie autour de 1850, les Jacob. Attiré par l’aventure, le jeune Alexandre s’engage d’abord comme mousse à l’âge de onze ans (1890) : un bien jeune âge pour une vie si dure.

Pendant que Jacob navigue et côtoie la brutalité des adultes, la France, elle, durant les années 90 (du XIXème siècle !) est en proie à un certain nombre de troubles (essentiellement à Paris, reconnaissons-le).

Que se passe-t-il ?

A partir de 1891, le pays est secoué par une violente contestation sociale qui prend, c’est nouveau, un tour radical inédit. Cette contestation se situe dans un contexte simultané de ralentissement économique et d’aspiration à davantage de justice sociale en faveur des plus pauvres, une aspiration attisée par l’arrivée au pouvoir des Républicains. Diverses forces tentent alors de s’organiser sous formes d’associations, de syndicats, de coopératives, de mouvements, de journaux (La révolte) ou de réseaux divers.

Elles protestent contre une république modérée et bourgeoise qui favorise, dans les faits, une société dominée par les classes possédantes et la rente au détriment de l’investissement productif (et donc redistributif via les salaires). Pour ces « socialistes », ces « libertaires », ces « communistes », ces « autogestionnaires », ces « mutualistes » et autres « collectivistes », la « gauche » républicaine de la IIIème république ne va pas assez loin : il ne faut pas réformer, il faut révolutionner, renverser l’ordre social, donner « à chacun selon ses besoins » en tirant « de chacun selon ses capacités »…

Je vous épargne de longs développements sur la façon dont ces courants revendicatifs se rassemblent, se répartissent, se scindent, se croisent, se divisent, se subdivisent, se déclinent et, souvent, se rejettent les uns les autres dans d’interminables querelles idéologiques fratricides. Disons, pour simplifier, que le débat réforme / révolution est éternel et que, du fin fond du système démocratique, il refait périodiquement surface.

A l’époque actuelle, on en trouve trace dans les actes terroristes qui secouèrent l’Europe dans les années 1970 / 1980 : ces exactions (enlèvements, attentats, assassinats…) furent le fait de mouvements radicaux qualifiés « d’extrême-gauche » (le mot « extrême » étant destiné à marquer, sémantiquement, la différence entre la gauche « de réforme » ou « de gouvernement » politiquement fréquentable et… le reste). La « bande à (Andreas) Baader » et la « Rotte Arme Fraktion » (Fraction Armée Rouge, Allemagne), les « Brigate Rosse » (Brigades rouges, Italie) et autres « Action Directe » (France) furent issues de la même mouvance. Rejetant en bloc un système parlementaire jugé confiscatoire de la voix et des intérêts du peuple, ces groupes armés avaient décidé de passer à des actions violentes, seul issue pour faire triompher leurs idées.

Déjà, un siècle auparavant, au début des années 1890, cette voie radicale avait déjà été choisie par divers individus. Lesquels ?

Par exemple…

Ravachol ! Ce n’est pas (seulement) une insulte du capitaine Haddock (Les bijoux de la Castafiore), c’est surtout le surnom de Claudius Koenigstein : celui que d’aucuns vont surnommer le « Christ de l’anarchie » tant il va symboliser à lui seul l’idéologie en question et le martyr pour la cause.

Miséreux, marginal et révolté contre les excès du capitalisme, l’indifférence de la société bourgeoise et la brutalité des méthodes policières, Ravachol commet d’abord divers meurtres crapuleux (durant l’année 1891) avant d’opérer deux attentats à l’explosif à Paris (136 boulevard Saint-germain et 39 rue de Clichy) durant le mois de mars 1892, pour des motifs purement idéologiques. Ces forfaits ne font que des blessés mais leur méthode sème la terreur et mobilise la police. Arrêté spectaculairement le 30 mars 1892 au restaurant Véry (24 boulevard de Magenta à Paris), Ravachol est rapidement traduit en justice et guillotiné (non pour ses attentats mais pour ses meurtres) le 11 juillet 1892. Son exécution le transforme en symbole et en martyr.

Vaillant est arrêté : si son geste n’a fait aucune victime, il a fait (au sens propre et figuré) beaucoup de bruit. Vaillant le revendique : il a clairement voulu venger Ravachol ! Les républicains bourgeois et modérés prennent peur : ils votent dans l’urgence, en décembre 1893, des lois renforçant la répression des idéologies révolutionnaires. Les anarchistes s’indignent immédiatement contre ces trois lois qu’ils qualifient de « scélérates » et qui punissent l’apologie des idées révolutionnaires, permettent l’arrestation des simples sympathisants (même non soupçonnés de violence !) et autorisent l’interdiction pure et simple des journaux anarchistes (ces lois ne seront abrogées… qu’un siècle plus tard, en 1992 !)

Auguste Vaillant, lui, est condamné à mort : une peine d’une injustice objective profonde puisque Vaillant n’avait jamais tué qui que ce soit. Hélas pour Vaillant, les Pouvoirs Publics sont plus féroces contre ceux qui tentent de saper leurs fondements que contre les simples crapules qui assassinent les citoyens mais sont (seulement) expédiées au bagne. Sollicité, comme le veut la constitution, le président de la république, Sadi Carnot, étudie la grâce de Vaillant… mais la refuse. Vaillant est guillotiné le 5 février 1894.

Alors, l’indignation en plus, l’agitation continue : le dénommé Emile Henry (persévérant, voire récidiviste…) pose une bombe le 12 février 1894 au café Terminus (près de la gare Saint-Lazare, à Paris) : une vingtaine de blessés. Arrêté, il est traduit en justice où il peut exprimer ses idées. Il faut dire que l’homme n’est pas un illettré, loin de là : éduqué et instruit, il a même été admissible à Polytechnique (qui mène à tout, on le voit bien !). Pourquoi un garçon si sérieux a-t-il « mal tourné » ?

Henry répond à cela en théorisant sans problème son engagement : «  J’avais vécu dans les milieux entièrement imbus de la morale actuelle (…) On m’avait dit que [la] vie était facile et largement ouverte aux intelligents et aux énergiques, et l’expérience me montra que seuls les cyniques et rampants peuvent se faire bonne place au banquet. (…) On m’avait dit que les institutions sociales étaient basées sur la justice et l’égalité, et je ne constatais autour de moi que mensonges et fourberies. L’usinier [l’industriel] qui édifiait une fortune colossale sur le travail de ses ouvriers, qui, eux, manquaient de tout, était un monsieur honnête. Le député, le ministre dont les mains étaient toujours ouvertes aux pots-de-vin, étaient dévoués au bien public. (…) Tout ce que je vis me révolta, et mon esprit s’attacha à la critique de l’organisation sociale. Cette critique a été trop souvent faite pour que je la recommence. Il me suffira de dire que je devins l’ennemi d’une société que je jugeais criminelle. »

Henry est guillotiné le 21 mai 1894. Il avait prédit sans crainte : « je sais que ma tête ne sera pas la dernière à tomber »

Il aura eu raison car, après lui, l’activisme anarchiste ne se calme toujours pas : le 24 juin 1894, un Italien du nom de Santo Hiéronimus (ou Geronimo) Caserio s’en prend, à Lyon, au président Sadi Carnot qu’il poignarde dans le ventre. Sur le manche du couteau est gravé un mot : « Vaillant ! ». Le refus de la grâce de ce dernier par Sadi Carnot, quatre mois auparavant, est ainsi expié dans le sang… Caserio, lui aussi, va assumer son geste et crier son désespoir et sa révolte devant la Cour d’assises. Lui aussi sera exécuté : le 13 août 1894.

1894, c’est, finalement, l’année où la situation se calme en France : elle se calme, du moins, sur le plan de la contestation sociale violente car, au registre des faits divers, c’est maintenant l’ « affaire Dreyfus » qui va mobiliser l’opinion et la presse…

Alors, revenons à Alexandre Jacob.

A seize ans, en 1895, après 5 ans de vie de mousse et de matelot, désormais aguerri mais déjà désabusé quant à la nature humaine, Alexandre Jacob revient à Marseille. Il y découvre l’idéologie anarchiste et la façon dont elle a fait la « une » de la presse durant les années où il était absent de France. Ces idées le séduisent et il s’adonne à la lecture de journaux tels que La Révolte ou L’indicateur. De même que l’on trouve aujourd’hui sur internet de quoi fabriquer des explosifs, Jacob déniche dans cette dernière brochure de quoi fabriquer une bombe, engin qui y est joliment qualifié de d’objet de « rénovation sociale » !…

Avec l’enthousiasme de sa jeunesse, Jacob se lance dans la fabrication de l’engin en se procurant les composants nécessaires. Las, celui qui lui fournit le matériel est en fait un « indic » à la solde de la police, laquelle truffe les milieux anarchistes de « moutons » divers. Jacob est arrêté. Il a 17 ans. Il est condamné à 6 mois de prison et incarcéré.

A sa sortie, il cherche du travail. Il en trouve (chez un typographe, puis un pharmacien…) mais, à chaque fois, la police dénonce son passé judiciaire (pourtant bien léger) à ses employeurs et il est licencié. La raison de cette persécution délibérée ? Elle est simple : la « police spéciale des chemins de fer » (c’est sous ce nom improbable que se dissimule la police politique de la IIIème république) veut forcer Alexandre Jacob à devenir indicateur au sein des milieux anarchistes et, tout en l’empêchant de gagner sa vie, elle lui propose de le rétribuer pour ses bons offices. Jacob est même arrêté une nouvelle fois. Il réussit toutefois à être acquitté, le juge le relâchant après avoir constaté que la maréchaussée lui avait en fait grossièrement tendu un traquenard sans motif réel (= une « provocation »). Qui a dit que la justice n’était pas indépendante ?

Indigné par les inégalités sociales qu’il constate et soumis à un harcèlement policier inique, Jacob se révolte pour de bon. Comme les anarchistes, il décide de partir en guerre contre la société de son époque. Mais pas par tous les moyens. Jacob n’a pas une âme d’assassin. Ce n’est pas un meurtrier, c’est un malin. Il a compris que, pour réellement nuire au système, il faut le frapper au cœur, c’est-à-dire au… portefeuille. C’est décidé, Jacob va devenir cambrioleur professionnel…

Si les exploits de Jacob débutent en fanfare avec la spectaculaire et hilarante escroquerie du bijoutier de la rue du Petit-Saint-Jean, à Marseille le 1er avril 1899 (un vol auquel, semble-t-il, son propre père participa !), la suite des opérations s’avère plus délicate.

Nous allons la découvrir ci-après…

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1905 : Alexandre JACOB et Arsène LUPIN, gentlemen cambrioleurs (2)

Cher(e)s Ami(e)s et abonné(e)s des chroniques de la Plume et du Rouleau,

En juillet 1899, Alexandre Jacob est de nouveau arrêté, cette fois-ci en bonne et due forme. Là, l’imaginatif voleur adopte une défense bien particulière : il simule un délire de la persécution. Il se dit poursuivi et harcelé par les… Jésuites ! Reconnu irresponsable et malade, il est enfermé à l’asile de Montperrin (au sud-ouest d’Aix-en-Provence). Il n’y reste que quelques mois : en avril 1900, il s’en évade grâce à une complicité interne.

Sa vraie carrière de cambrioleur débute alors. Jacob s’y révèle un organisateur-né, méticuleux, ordonné, imaginatif et professionnel. Il a des cibles bien précises et des motivations bien claires. C’est toute son originalité, quand tant de crapules se contentent de dévaliser leurs victimes après les avoir assassinées à coups de couteau. Tout cela, on l’apprendra lors du procès ultérieur mais, d’ores et déjà, vous pouvez en juger.

L’organisation, d’abord : elle est rigoureuse, méthodique et éprouvée. Jacob divise sa bande (que la presse, jamais avare de formules sensationnelles, nommera ultérieurement Les travailleurs de la nuit) en « brigades » d’une douzaine de personnes maximum. La France, elle, est divisée en 3 zones (on ne s’interdit pas quelques cambriolages au-delà de la frontière, néanmoins, comme celui du château de la reine de Belgique, à Spa). Les malfrats y circulent par des moyens modernes : le train, qui prend de vitesse des forces de police fragmentées entre polices municipales et police nationale par secteurs (jeux, prostitution, banditisme, etc… et par ailleurs équipées de chevaux et de vélocipèdes.

Le modus operandi de Jacob est presque toujours le même : en province, un « éclaireur » repère les villas inoccupées. Il y pose des « scellés » (comme, par exemple, un fil noué à un loquet d’un volet, etc…) qui indiqueront ultérieurement si, depuis son passage, la maison a été ouverte. Quelque temps plus tard, Jacob, voyageant de jour avec sa bande, arrive sur place à la nuit tombée. On vérifie si les « scellés » sont intacts. Si c’est le cas, on fracture un volet, on entre et on cambriole.

Durant l’opération, plutôt que de poster un guetteur (toujours repérable), Jacob place un crapaud qui coasse dans le bas de la gouttière : si celui-ci se tait, cela signale l’arrivée de quelqu’un ! Facile, écologique et imparable : c’est un peu comme les oies du Capitole de Rome qui, dans l’Antiquité, avertirent les Romains de l’imminence d’une attaque gauloise en gloussant.

Enfin, au petit matin, Jacob et sa bande reprennent le train vers Paris. Comme la bande a refermé soigneusement les volets et effacé ses traces, les cambriolages ne sont souvent découverts que très longtemps après. Et, entre temps, le butin est souvent déjà écoulé ! Une telle efficacité se révèle parfois fort amusante : en décembre 1902, à Cherbourg, Jacob se divertit ainsi à assister, sur place, à l’alerte donnée à la police du cambriolage de l’hôtel de l’amiral de Pontaumont : un forfait pourtant réalisé… en septembre précédent !

Avec l’argent des premiers cambriolages, Jacob ouvre un magasin de quincaillerie à Montpellier, faubourg du Courroux : sous cet honnête enseigne, il se fait livrer des coffres-forts dont il peut étudier à loisir les mécanismes. Il confectionne alors divers outils de précision et pinces propres à ouvrir n’importe quel modèle !

Les cambriolages de Jacob sont organisés comme une industrie : bureau d’étude (la quincaillerie), chaine de production (les « brigades » procédant aux vols) et circuit de commercialisation (le recel). Pour cette dernière opération, Jacob crée lui-même, à Paris, son propre atelier de fonderie propre à faire promptement disparaitre les bijoux, lingots, calices et couverts dérobés. Il se met ainsi à l’abri des dénonciations des receleurs, lesquels collaborent souvent avec la police, qui cherche à « remonter les filières » en contrepartie de son indulgence en faveur du dernier maillon de la chaîne. Plus difficile est la revente des pierres précieuses et des titres (les actions et les obligations qui, jusqu’en… 1984, prendront encore la forme de papier timbrés conservés à la banque ou chez soi). Jacob, pour les écouler, établit alors un circuit compliqué passant par Londres (pour les titres financiers) et par Amsterdam (pour les gemmes).

Mais Jacob ne vole pas que des biens qui ont une valeur marchande. Ses cambriolages lui fournissent aussi une garde-robe et des accessoires utiles pour ses diverses opérations futures. Uniformes militaires, redingotes et chapeaux, habits ecclésiastiques, papiers, brevets, diplômes, titres divers… sont autant d’accessoires de déguisement permettant de passer incognito lors d’un repérage ou de fuir ensuite sans être inquiété.

Jacob n’est pas un assassin : il ne tue pas ses victimes car il répugne à la violence. S’il n’exclut toutefois pas de se défendre avec vigueur contre la police, c’est qu’il méprise fondamentalement les forces de l’ordre, qu’il qualifie de « chiens de garde de la société ». Il choisit aussi soigneusement les victimes de ses vols. Il ne s’attaque pas aux gens modestes ni aux simples rentiers ou aux bourgeois enrichis. Il épargne également les médecins, les enseignants, les artistes et les intellectuels. Cambriolant ainsi la villa d’un officier de marine nommé Viaud, à Rochefort (Charente-Maritime), il comprend sur place qu’il s’agit en fait de la maison de… l’écrivain Pierre Loti (nom de plume de Julien Viaud pour – entre autres – Le roman d’un spahi, Aziyadé fantôme d’orient, L’Inde sans les Anglais…). Il repart alors de la maison… sans rien emporter et… en laissant ce mot invraisemblable : «  Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire – P.S. : Ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé. »

Voilà un ami de la belle littérature ! La grande classe, quoi (j’en profite pour vous enjoindre à relire Pierre Loti et à vous laisser emporter par les parfums et les lumières de ces récits d’aventure et de voyages).

Car chez Jacob, l’argent n’est rien, voler est tout. Jacob a des motivations qui sont idéologiques et il entend mener une démarche punitive envers des professions qu’il juge nuisibles. Ses victimes sont donc essentiellement des magistrats, des militaires et des ecclésiastiques (tous, le plus souvent, des aristocrates) : toutes professions et conditions qui incarnent pour lui l’oppression morale, intellectuelle et matérielle du peuple. Les dépouiller constitue donc la reddition d’une justice vengeresse. D‘ailleurs, « avant de partir, après ses coupables travaux, [Jacob] laisse un mot sur le piano » (ou ailleurs) où il signe « Attila », en général au bas d’un mot d’esprit provocateur. La police et les victimes s’étranglent évidemment de fureur devant tant d’impudence.

Parfois, Jacob est plus brutal : lorsqu’il est outré par le luxe excessif de la demeure qu’il « visite », il peut y mettre le feu… Mais c’est rare.

Jacob, pour autant, ne tire aucun enrichissement personnel de ses méfaits. Il n’en conserve qu’un pourcentage limité destiné à lui permettre de vivre (très modestement par ailleurs). Tout le reste est reversé à la cause anarchiste : financements de journaux (tel Le libertaire) et aides à des anarchistes divers dans le besoin. Les divisions et oppositions idéologiques au sein de la bande ne sont toutefois pas rares. Beaucoup de divergences se font jour entre ces bandits qui se veulent au grand cœur mais qui ne sont pas toujours insensibles au butin amassé. Qu’importe. Jacob, lui, ne dévie pas de sa ligne originelle : il ne vole pas pour s’enrichir personnellement mais pour financer la croissance de l’influence des idées anarchistes.

On estime qu’il va perpétrer de l’ordre de 150 cambriolages en un peu plus de deux ans. Officiellement, on ne lui en imputera que 106.

Ce 106ème est cependant celui de trop. Dans la nuit du 21 au 22 avril 1903, Jacob et sa bande cambriolent une villa près d’Abbeville lorsque survient la police. Des coups de feu sont échangés et l’un des complices de Jacob blesse grièvement un policier dénommé Couillot. Toute la bande est arrêtée.

Jacob est alors transféré vers la prison d’Abbeville, escorté par un impressionnant dispositif de 24 chasseurs à cheval. Les forces de l’ordre entendent manifester l’éclatante victoire qu’elles ont (enfin) remportée sur l’infâme racaille. Les bonnes gens peuvent désormais dormir tranquilles. Mais avant cela, la populace crie sa haine sur le passage du convoi. On injurie Jacob, on crie à sa mort… Mais le peuple est versatile, nous le savons, et la détestation du personnage, entretenue par une presse vengeresse contre la bande des « bandits d’Abbeville » va bientôt se muer en d’autres sentiments…

L’instruction, longue et complexe, va rassembler 20 000 pièces, 156 témoins à citer et aboutir à un acte d’accusation de 161 pages. Les milieux anarchistes, durant cette période, se mobilisent et tentent de sensibiliser l’opinion publique, par voie de presse et de réunions publiques. Ils emploient aussi des méthodes plus brutales, n’hésitant à menacer les témoins et les jurés.

Ce n’est finalement qu’au bout de 2 ans, le 8 mars 1905, à Amiens, que s’ouvre enfin le procès de Jacob et de sa bande, L’affaire, évidemment, fait à ce moment les gros titres des journaux. En prévision de potentielles actions anarchistes violentes, on déploie un impressionnant dispositif militaire avec un bataillon d’infanterie et des chasseurs à cheval. Certains jurés, effrayés par les menaces, ont demandé à se récuser ? On les amène de force au tribunal ! Non mais. Une dizaine de journaux étrangers couvrent même l’évènement dont la presse française se fait évidemment largement l’écho. Pour faire frissonner les lecteurs, les journalistes comparent Jacob à Vautrin (le bagnard de La comédie humaine, de Balzac). Nul, correctement informé, ne peut ignorer ce retentissant procès et ses protagonistes.

D’une manière générale, le public est fasciné par Jacob, sa jeunesse (il a moins de 26 ans), son audace, l’énormité de ses méfaits et, aussi, sa personnalité. On pressent un procès « historique » et pittoresque.

On ne sera pas déçu car Jacob, lui-même, va assurer le spectacle.

Jacob n’est pas là pour se laisser impressionner par le décorum et les uniformes et encore moins pour faire profil bas. D’emblée, il revendique crânement toutes les responsabilités et assument tous les chefs d’accusation, y compris le tir qui a blessé le policier (lequel a en fait été commis par un complice). Il refuse de se lever : « Vous êtes bien assis, vous.. » rétorque-t-il au président. Jacob est bravache, il n’exprime aucune crainte ni remords.

Son attitude intrigue. La presse et le public ne lui sont pas favorables dans les premiers moments, mais ils s’interrogent rapidement : « C’est un type peu banal, malfaisant, dangereux mais curieux. » s’étonne, mi-figue mi-raisin, le magazine L’Illustration, sorte de VSD de l’époque, le 18 mars 1905. Car Jacob étale rapidement des convictions qui touchent juste : il n’a pas volé l’argent d’honnêtes gens, il a repris aux riches ce qu’ils avaient indûment perçu grâce à une position sociale oppressive et inique et dont « la richesse est une insulte permanente à la misère ». Jacob, c’est un peu Robin des Bois (personne ne fait, à l’époque, la comparaison car ce personnage de fiction n’est pas connu).

Ainsi, au fil des jours et des témoignages, Jacob renverse-t-il progressivement la situation. Des témoins sont appelés à la barre (essentiellement des victimes) ? Il les apostrophe et les malmène, suscitant les rires du public par des réparties insolentes, cyniques et percutantes. « Si la victime avait eu des couverts en fer blanc, je ne lui aurais rien pris ! » dit-il en réponse aux plaintes de madame de Thézals. Un autre se plaint de s’être fait dérober, par Jacob, des titres de bourse (actions ou obligations). Cependant, il reconnait que ces titres, en fait, s’étaient révélés être des faux. Jacob persifle alors intelligemment : « [Mais] vos voleurs, eux, ne se sont pas fait arrêter comme moi… » !

Jacob manie la provocation, faussement naïf : « Vous croyez donc qu’il peut mentir ? » demande-t-il au Président qui vient de demander à un ecclésiastique, victime de vol, de prêter serment et de (selon la formule habituelle) « dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité »… D’autres ecclésiastiques défilent, se plaignant des cambriolages, sans susciter la compassion de l’accusé qui enfonce le clou : « J’ai cambriolé assez de prêtres. Chez tous j’ai trouvé un coffre-fort […] qui contenait souvent de fortes sommes ». Il se moque « Je ne leur en veux pas. Je leur donne ma bénédiction ». Jacob fait le procès de l’opulence, il ridiculise ses victimes et méprise les institutions. Les journaux relatent ses discours avec jubilation. Le public rit. Jacob n’est ni véhément ni agressif mais ses discours et ses réparties font mouche. Après tout, cet homme n’a pas de sang sur les mains qui discréditerait, d’emblée, son discours. La « Belle Epoque », en effet, n’est pas facile pour tout le monde et, contre toute passivité et résignation, Jacob, d’une certaine façon, exprime tout haut ce que beaucoup n’osent formuler que tout bas.

Du reste, cent ans après, en ces temps de spéculation dépourvue de régulation, de niches fiscales indécentes, de chômage endémique, de classes moyennes au bord du déclassement social, d’étalement obscène de leur richesse par les « people » et d’endettement étatique excessif qui ruinent les contribuables sans avoir créé aucune croissance, ses réflexions ont-elles perdu de leur actualité ? « Plus un homme travaille, moins il gagne. Moins il produit, plus il bénéficie. Du haut en bas de l’échelle sociale, tout n’est que friponnerie d’un côté et idiotie de l’autre. [..] Un marchand d’alcool, un patron de bordel s’enrichit alors qu’un homme de génie va crever de misère sur un lit d’hôpital. […] J’ai préféré m’insurger en faisant la guerre aux riches. Certes, je conçois que vous auriez préféré que, ouvrier abêti, je crée des richesses en échange d’un salaire dérisoire. Alors vous m’appelleriez « honnête ouvrier » et vous m’auriez même accordé la médaille du travail tandis que les prêtres promettent le paradis à leurs dupes ». Il l’affirme gravement : « Tout homme a droit au banquet de la vie » (19 mars 1905).

L’éloquence de Jacob finit par être tellement insupportable (le public applaudit) que le procès se termine sans lui.

Les experts en balistiques le dédouanent du tir sur le policier, dont il s’était auto-accusé. Si le procureur réclame la peine de mort, les jurés choisissent de le condamner au bagne à perpétuité (la « guillotine sèche », comme on la surnomme) : une peine d’une rigueur aujourd’hui incompréhensible pour un homme si jeune et qui n’eut jamais de sang sur les mains.

Le procès terminé (22 mars 1905), Jacob est expédié, en novembre 1905, vers la Guyane, l’homme et l’affaire disparaissant alors de l’actualité relativement chargée tant sur le plan national (processus de séparation de l’Eglise et de l’Etat, stabilisation de l’Affaire Dreyfus…) qu’international (troubles et répression sanglante de manifestations en Russie, tensions entre la France et l’Allemagne pour la domination du Maroc…)

Dans ce contexte, un journal mensuel est né, depuis le 15 février 1905 : Je sais tout se veut une « encyclopédie mondiale illustrée » (rien que cela !). C’est une revue moderne, généraliste et éclectique, parfois un brin « people », qui s’intéresse aux nouvelles techniques, aux autres pays, aux loisirs, à la politique française et internationale et qui est destinée à un public éduqué et curieux, sans cible de classe sociale particulière. C’est un peu Le Point de l’époque. Son fondateur est Pierre Lafitte. On y interviewe par exemple le pape Pie X et on y évoque les révolutionnaires russes (rubrique « Grands faits »), on y parle du pôle Nord et du Maroc méconnu (rubrique « A travers le globe »), on y parle théâtre, littérature, poésie, mode et élégance (avec un parisianisme éhonté), on y interviewe le scientifique Thomas Edison (rubrique « Science et nature ») ou l’aviateur Santos-Dumont, on y anticipe les inventions de demain et on y fait de la politique-fiction…

Convenons-en, par rapport au Petit Journal, au Progrès, le niveau est relativement élevé et le degré d’exigence indéniable. Mais Pierre Lafitte le sait bien, pour fidéliser le lectorat, il faut également le divertir : on lui offre donc aussi de courtes nouvelles ou un roman en épisodes. Dans le numéro de juillet 1905, soit quatre mois après le procès d’Alexandre Jacob, Lafitte entend ainsi faire paraître une aventure « policière » : l’objectif est de s’inspirer des aventures de Sherlock Holmes, écrites par Arthur Conan Doyle en 1891 et qui ont assuré publicité et forts tirages au journal londonien Strand magazine depuis cette date. D’ailleurs, la presse britannique publie également, depuis 1898, les aventures d’un nommé Arthur J. Raffles, aristocrate de l’ère victorienne qui cambriole la nuit afin de se rembourser des sommes qu’il a, le jour, perdues au jeu !

Anecdote amusante, ces aventures sont écrites par Ernest W. Hornung, lequel est le… propre beau-frère d’Arthur Conan Doyle ! Les deux hommes, qui ne s’apprécient guère, se livrent en fait une course à la notoriété qui s’est, de facto, déjà clôturé au bénéfice du second, anobli par le roi d’Angleterre en 1902.

Mais revenons à Je sais tout. Son directeur Pierre Lafitte décide, pour la rédaction de cette nouvelle policière, de faire appel à un auteur peu connu quoiqu’assez prolifique : un dénommé Maurice Leblanc.

Maurice Leblanc, en ce mois de juillet 1905, a bientôt quarante et un ans (il est né en septembre 1864 à Rouen). Issu d’un milieu aisé et provincial, Leblanc a, dès l’âge de 24 ans, voulu échapper au destin bourgeois et étriqué auquel il était promis dans l’industrie pour « monter à Paris ». Il entend y devenir écrivain et y fréquente alors des salons littéraires et des cercles intellectuels. Fortuné grâce à sa famille, il peut vivre sans travailler et se consacrer à ses motivations littéraires, très classiques, au reste. Leblanc ambitionne d’être un nouveau Maupassant, d’écrire des romans « psychologiques » pour un public de qualité. Dans sa quête, il reçoit le soutien de nombreux écrivains et publie des chroniques dans le très-comme-il-faut journal Gil Blas. Mais Leblanc ne rencontre pas, hélas, le succès « de masse » escompté et, même, les critiques finissent par se lasser de sa production, aussi bien de nouvelles que de pièces de théâtre.

Aussi, lorsqu’il reçoit la proposition de Pierre Lafitte, Maurice Leblanc ne saute-t-il pas de joie : écrire un polar (ce mot n’existe pas à l’époque) ne constitue pas, de son point de vue, une promotion mais, plutôt, une régression, un pis-aller alimentaire qui lui permet d’avoir sa signature dans un magazine. D’ailleurs, la chronique qu’il rédige porte en elle-même sa propre finitude : le titre (L’arrestation d’Arsène Lupin) indique que Leblanc entend refermer immédiatement cette parenthèse littéraire peu prestigieuse.

Et pourtant…

Immédiatement, c’est le succès. Le courrier afflue à Je sais tout : Lupin arrêté ? Ah non ! Des aventures, encore ! Et Leblanc doit reprendre la plume. Il le fera sans relâche jusqu’en 1937, asservi tel un esclave aux exigences d’un public nombreux et enthousiaste. Et pour asseoir un style résolument innovant, Maurice Leblanc prend l’habitude d’écrire certaines aventures à la première personne du singulier, comme s’il était lui-même le biographe d’Arsène Lupin et qu’il relatait les conversations qu’il aurait eues avec son « grand homme », comme il l’appelle. Comment, alors, décrit-il l’incroyable personnage dont il relate les aventures ? « Son portrait ? Comment pourrais-je le faire ? Vingt fois j’ai vu Arsène Lupin et vingt fois c’est un être différent qui m’est apparu… »

Signalons au passage que cette technique littéraire ne portera guère chance à l’auteur qui, dans les années 30, se verra affligé de graves troubles cérébraux qui le conduiront à affirmer partout qu’il a, réellement, rencontré Arsène Lupin : dans l’esprit troublé d’un Maurice Leblanc affaibli par la maladie, la fiction deviendra réalité…

Quoiqu’il en soit, rapidement, Maurice Leblanc devient un romancier « populaire » à succès. A (très grand) succès, certes, mais « populaire ». Leblanc, qui avait d’autres ambitions, moins commerciales et plus élitistes, ne parviendra jamais à se convaincre vraiment qu’il a réussi sa vie d’écrivain.

Ce n’est pas l’avis des Chroniques de la Plume et du Rouleau.

Arsène Lupin est loin des stéréotypes véhiculés par des productions théâtrales (2 adaptations), télévisuelles (près de 50 épisodes en France et plus de 150 dessins animés au Japon !) et cinématographiques (plus d’une vingtaine de films aux Etats-Unis, Allemagne, Italie et France) le plus souvent médiocres et qui représentent Lupin en dandy maniéré. Arsène Lupin est, au vrai, un personnage passionnant et complexe, qui colle parfaitement à l’esprit et à l’actualité de son temps : les années 1910 à 1930. Antérieur à Rouletabille (un personnage qui sera créé par Gaston Leroux en 1907 : reporter qui résout notamment Le Mystère de la chambre jaune), ce dernier lui empruntera incontestablement certains traits narratifs. Mais Arsène Lupin a une particularité : il n’est pas du côté de la « justice » officielle : ni policier, ni reporter, ce n’est pas un quelconque auxiliaire des forces de l’ordre. Au contraire, c’est un aventurier qui reste en marge de la société, laquelle salue ses exploits grâce à une presse enthousiaste mais lui refuse les honneurs officiels.

Lupin est un cambrioleur insolent et habile (cette activité est, en réalité, peu évoquée dans les romans, même si Leblanc intitule le premier recueil de ses nouvelles « Arsène Lupin, gentleman cambrioleur » en 1905). C’est, surtout, un chef de bande et un organisateur hors pair. Pour cela, Lupin use de déguisements et d’identités nombreuses (certaines aventures d’Arsène Lupin ne le voient même pas apparaître sous ce nom !) : le vicomte Raoul d’Andrésy, le prince russe Paul Sernine, l’espagnol don Luis Perenna, le baron Raoul de Limézy, le détective Jim Barnett, le capitaine Janniot, l’inspecteur de la Sûreté Grimaudan ou l’inspecteur Victor de la Brigade mondaine, sont (entre autres) autant d’identités sous lesquelles la police soupçonne Lupin, sans jamais réussir à le confondre et encore moins à l’arrêter. Dans 813 – Les trois crimes d’Arsène Lupin 1910), celui-ci parvient même à exercer quelque temps les fonctions de… directeur de la Sûreté ! S’il est emprisonné (L’évasion d’Arsène Lupin – 1905), il se grime avec une telle habileté que l’administration pénitentiaire finit par croire qu’elle a incarcéré, par erreur, à sa place, un vagabond nommé Baudru… et le libère !

Lupin est un comique et l’humour émaille ses aventures. Aussi nargue-t-il la police, ce qui rend hilare le lecteur de ses aventures. C’est d’ailleurs une de ses activités favorites. Il s’ingénie à lancer la maréchaussée sur de fausses pistes. Il écrit aux journaux pour revendiquer tel ou tel succès qu’elle s’attribue mais qu’il a, en fait, favorisé. Il tient en échec ses plus fins limiers, tel l’inspecteur Ganimard, son ennemi juré, non dénué de sagacité, d’énergie et d’habileté mais qui lui reste très inférieur. Il ridiculise aussi avec jubilation l’inspecteur Béchoux (L’agence Barnett & Cie – 1928), qu’il fait cependant, avec mansuétude, bénéficier de ses lumières dans la résolution d’énigmes avant de partir en escapade amoureuse avec… madame Béchoux ! Il se mesure aussi, dans un duel titanesque plein de rebondissements et de trouvailles littéraires géniales, avec le célèbre détective britannique… Herlock Sholmès ! Du grand Leblanc. Du grand Lupin.

Arsène Lupin est, surtout, un enquêteur privé toujours prêt à débrouiller des énigmes apparemment insolubles au bénéfice de (jolies) femmes livrées à la rapacité d’escrocs sans scrupule (finalement punis et, le plus souvent, dépouillés – c’est bien fait). Homme d’action qui n’hésite pas à utiliser les moyens de communication les plus modernes (le téléphone et l’automobile), Lupin est aussi un homme de réflexion chez lequel, tel Sherlock Holmes, la puissance de la déduction s’allie au génie de l’intuition. De ce point de vue, je vous suggère de lire Le signe de l’ombre, nouvelle qui fait partie des Confidences d’Arsène Lupin (1911). Amateurs d’énigmes, d’enquêtes et de trésor, Lupin vous stupéfiera par sa capacité à débrouiller, au dernier moment et à l’aide d’indices qui, rétrospectivement, crèvent pourtant les yeux, un mystère qui vous plonge dans la perplexité pendant vingt pages !

Mais le coup de maître d’Arsène Lupin, c’est, bien sûr, la résolution (au fil des romans) d’une série de quatre énigmes historiques que son amante de jeunesse, (la « Cagliostro ») lui a fait connaître après qu’elle en a pris connaissance au dos d’un miroir ayant appartenu à la reine Marie-Antoinette. « In robore fortuna », « La dalle des rois de Bohême », « La fortune des rois de France », « Le chandelier à sept branches » : tout cela permettra notamment au héros de retrouver l’ancien chemin qui permet d’accéder à l’intérieur de… l’aiguille d’Etretat, qui va, pendant un temps, abriter son formidable butin (L’aiguille creuse – 1908) !

Bien dans son siècle et dans son époque, Arsène Lupin est un héros, dirions-nous, typiquement français : né en 1864 (la même année que Maurice Leblanc…), il est issu d’un milieu populaire (sa mère, Henriette d’Andrésy, incarne une forme de déchéance sociale en négligeant sa particule pour épouser Théophraste Lupin, « professeur de gymnastique, d’escrime et de boxe » apprend-on dans La comtesse de Cagliostro – 1924). Il gardera, tout au long des aventures, une gouaille populaire et une méfiance pour les puissants mais, en même temps, une fascination pour une ascension sociale jamais aboutie vers une aristocratie qui ne le reconnait pas comme l’un des siens.

Parce qu’il est Français, il ne peut être indifférent à la politique étrangère, aux rivalités entre la France et l’Allemagne en Afrique du nord et aux « provinces perdues » (durant la guerre franco-prussienne de 1870) d’Alsace et de Moselle. Ainsi Lupin, dans L’éclat d’obus (1915), déjoue-t-il un vaste plan visant à l’invasion du territoire par les troupes allemandes à l’aide d’un réseau de tunnel. Dans 813 (1910 – l’œuvre majeure de la geste « lupinienne », à lire, s’il n’y en avait qu’une !), le héros (entre autres) restitue à l’empereur d’Allemagne Guillaume II des lettres intimes à propos desquelles certaines crapules voulaient faire chanter le monarque. Reconnaissant, Guillaume II lui propose d’être chef de sa police personnelle. Mais avec panache, Lupin refuse cette offre financièrement et socialement avantageuse : « Je suis mort comme homme [à ce moment, il a fait croire à son suicide] mais je suis vivant comme Français ! » Nationaliste, patriote, Lupin est même d’un chauvinisme un peu puérile, dérobant un jour les bijoux de la femme de l’ambassadeur d’Angleterre en laissant une carte insolente : « Ce n’est pas un vol, c’est une restitution. Vous nous avez bien pris la collection Wallace » (La demeure mystérieuse – 1928). Lupin (et Leblanc) exagère là car, si la collection Wallace est une imposante collection de 5 500 pièces, tableaux, mobilier, armes, porcelaines, etc… d’art français du XVIIème siècle qui se trouve à Londres, elle a été acquise tout-à-fait légalement ! Comme il le peut, Lupin s’efforce d’accroître l’influence de son pays quand (dans Les dents du tigre – 1920) il parvient quelque temps à se tailler un empire « grand comme deux fois la France » en Mauritanie qu’il cède à la France en contrepartie d’une libération conditionnelle… L’exaltante épopée coloniale fait divaguer un Maurice Leblanc qui n’a jamais voyagé.

Évidemment, tous les succès de Lupin lui montent à la tête. Loin du dandy maniéré dépourvu d’autres ambitions que le cambriolage et le baisemain que d’aucuns ont vu en lui (à la télévision), Lupin est, dans les livres, souvent brutal, égoïste, manipulateur et mégalomane. « De César à Lupin, quelle destinée ! […] Roi du monde, oui, voilà la vérité […] Il y a des moments où ma puissance me tourne la tête. Je suis ivre de force et d’autorité ! » (L’aiguille creuse).

Exalté, imbu de lui-même, hyperactif, insolent et moqueur, Arsène Lupin est également passionné par… les femmes. Et c’est pourquoi Lupin est aussi un homme obstinément solitaire, tourmenté de regrets, de doutes et de douleurs, tous maux causés par le beau sexe. L’excellent 813, par exemple, est la seule aventure durant laquelle Lupin commet un meurtre, un vrai, de ses propres mains (il étrangle son ennemi au terme d’une lutte âpre et sauvage). En fait, il s’aperçoit avec effarement qu’il a tué… une femme dont il était tombé amoureux mais derrière laquelle, en réalité, se cachait son implacable ennemi !

Au fil des aventures, Lupin collectionne les conquêtes faciles et les amours difficiles. Deux femmes, au final, marqueront à jamais sa personnalité et sa vie : la Cagliostro, son amour de jeunesse (intense et fatal) avec laquelle les relations iront de la passion à la haine et qui lui kidnappera plus tard, sans qu’il ne le retrouve jamais, l’unique enfant qu’il aura avec la seule femme qu’il aura épousé, Clarisse d’Etigues, elle-même morte en couches. Alors que Lupin était près de « se ranger » sous un autre nom, le drame le poussait vers l’aventure…

« [Alors], nous dit Maurice Leblanc, son chagrin le transforma. N’ayant plus ni femme ni fils pour le retenir, il se jeta résolument dans la voie où l’entrainaient tant de forces. Du jour au lendemain, il fut Arsène Lupin. Plus de réserve. Plus de ménagements. Au contraire. Du scandale, des provocations, de l’arrogance, un étalage de vanité et de gouaillerie, son nom sur les murs, sa carte de visite dans les coffres-forts : Arsène Lupin, quoi ! »

La quintessence de Lupin est là et, je vous jure, il en faut de l’imagination pour inventer tout cela. C’est pourquoi, en vérité je vous le dis, Leblanc est un grand écrivain et Arsène Lupin mérite d’être redécouvert.

Interrogeons-nous sur les sources d’inspiration de l’écrivain (Maurice Leblanc ne reconnut jamais formellement s’être inspiré des noms que nous allons évoquer) : elles sont rares mais troublantes et il semble probable que Maurice Leblanc, en 1905, ait puisé des idées (ce qui ne diminue aucunement son mérite) chez :

–          les tribulations du pittoresque cambrioleur Alexandre Jacob, dont je vous ai narré les « exploits » ci-avant et dont la condamnation au bagne, après plus d’une centaine de cambriolages audacieux, eut lieu, précisément, en 1905, soit trois mois avant la publication de L’arrestation d’Arsène Lupin

–          les escroqueries, avant la première guerre mondiale, d’un dénommé Georges Manolesco, voleur et mythomane habile qui se faisait appeler le « prince Lahovary » ou le « duc d’Otrante » pour mieux dévaliser la Jet Set, que ces fausses identités lui permettaient de côtoyer

Et évoquons, à l’inverse, les nombreux personnages qu’Arsène Lupin, au contraire va inspirer. Là, les recherches de Michel Lebrun (1971), Yves Olivier-Martin (1979) et André-François Ruaud (1996) nous aident à répertorier les aventuriers aux bonnes manières les plus ressemblants, tels que Smiler Bunn (1907), Lord Lister, dit John Sinclair (1908), le Colonel Caoutchouc (1909), John Strobbin (1911), Michael Lanyard, dit le loup Solitaire (1914), Lester Leith (1930), Richard Rollison dit Le Prince (1933), Harry Prince dit Royal (1935), Le Baron, Samson Clairval (1937) ou encore Alonzo Mac Tavish (1944)…

Mieux, c’est la réalité qui rejoint la fiction avec l’arrestation médiatisée, en 1922, d’un homme de 30 ans, issu d’une bonne famille mais déserteur, dilettante, éternellement insoumis et cambrioleur impénitent, un dénommé Serge de Lenz. C’est à Lupin, pourtant personnage de roman, que la presse (jamais avare de sensationnalisme) compare le vrai escroc et voleur qu’est Serge de Lentz. Une comparaison du reste excessivement avantageuse : de Lenz passera plusieurs séjours en prison, vivra de trafics et de rackets sous l’Occupation avant de mourir en 1945 à l’issue d’une rixe entre malfrats. Le commissaire Le Taillanter n’est donc pas tendre avec la mémoire de l’homme : « A l’inverse du héros populaire sain, courageux et sportif, de Lenz n’était qu’un jouisseur effréné et dévoyé, tricheur, menteur et vicieux à qui il ne restait du gentleman, outre le nom qu’il portait, que la morgue, les vêtements et les bonnes manières » (in Serge de Lenz, l’Arsène Lupin de l’entre-deux-guerres)

Pour conclure maintenant sur cette chronique à la fois judiciaire et littéraire, revenons maintenant au destin des principaux personnages de celle-ci.

Condamné en 1905, arrivé à Cayenne en 1906, Alexandre Jacob va passer plus de vingt ans au bagne. Infatigable insoumis, il tente 17 fois de s’évader et passe, à titre de punition, un total de 8 ans et 11 mois (dont un séjour de 44 mois consécutifs) dans les sinistres cachots de l’île Saint-Joseph. Nulle privation, nulle humiliation, nulle brutalité ne réussira à briser une résistance physique et psychologique exceptionnelle qui impressionne le célèbre journaliste Albert Londres en 1923. Arrivé au bagne en janvier 1906, il en repart en octobre 1925 (après des pétitions demandant son rapatriement) et reste en prison en France. Il est libéré en 1928 et devient marchand ambulant de primeurs sous le nom commercial de « Marius ». C’est d’ailleurs sur le marché d’Orléans qu’il croise un jour, par hasard, le dénommé… Couillot, policier blessé lors de son arrestation en 1903, lequel le reconnait et le salue chaleureusement ! C’est en 1954 qu’il se donne volontairement la mort à son domicile de Reuilly (Indre) : « Vous êtes trop jeune pour pouvoir apprécier le plaisir qu’il y a à partir en bonne santé » dit-il dans son mot d’adieu.

Maurice Leblanc, lui, meurt en 1941. Il a perdu la tête depuis 1937 et laisse un dernier roman péniblement achevé et publié en 1939 : « Les milliards d’Arsène Lupin ».

Arsène Lupin, lui, est impérissable et « tant qu’il vivra, il sera le centre et l’aboutissement de mille et une aventures » (Les dents du tigre).

Bonne journée à tous et à toutes.

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