Quatorze questions … à Efix


L’interview d’Efix, dessinateur de la BD Tue Ton Patron parue il y a peu chez Fetjaine, a été réalisé par Sylvain Ortega et mis en ligne sur le site internet Free-Landz le 20 janvier dernier. Il nous est apparu intéressant de le faire apparaitre dans les colonnes du Jacoblog à la suite de l’entretien qu’a bien voulu nous accorder Jean-Pierre Levaray.

Un auteur aux bd viscérales

Nous vous avions déjà parlé de sa bd Putain d’usine, dont sortira le 6 février le 3e tome : Tue ton patron. À Lyon depuis une dizaine d’années, Efix, auteur de bandes-dessinées aux titres évocateurs, a répondu aux questions de Free-Landz, démontrant une vision plus consciente qu’engagée, plus lucide que politisée.

•1) Free-Landz : Quel est ton parcours ?

Efix : Mon parcours, c’est ce que raconte Anarchie dans la colle. J’ai arrêté l’école à 17 ans, sans aucun diplôme. J’ai quand même fait un stage de dessinateur-retoucheur avec l’ANPE. Mais j’ai la vocation du dessin. Depuis tout petit, je lis Tintin, Astérix, Lucky Lucke, Spirou… Mes parents m’ont apporté une bonne culture artistique avec du cinéma, de la peinture, de la littérature…

•2) Comment s’est faite la rencontre avec Jean-Pierre Levaray ?

Quand j’ai rencontré Jean-Pierre, j’ai eu le sentiment de me rencontrer 35 ans après, si je n’avais pas eu la présence d’esprit de me tirer de l’usine. Enfin… Jean-Pierre, lui aussi, a eu la présence d’esprit mais, malheureusement, pas les moyens de se tirer.

•3) Pourquoi l’usine t’a-t-elle tellement marqué négativement ?

À l’usine, même si on ne risquait pas nos vies, l’ambiance était pourrie. Désolé de casser le mythe de la solidarité ouvrière mais, à part les collègues très proches, je n’ai vu qu’une hiérarchie de merde, avec des petits chefs qui exploitaient leur putain de pouvoir au maximum.

On avait une crevure qui voulait exploiter ce qu’il y avait plus bas que lui. Mon expérience est presque à 100% négative.

•4) Tu peux nous parler de Putain d’usine ?

Putain d’Usine, c’est une suite d’anecdotes qui finissent par former un tout. Chaque anecdote raconte un secteur de l’usine. J’ai essayé de retranscrire graphiquement chacun de ces univers. Quand on est entre humains, à l’apéro, j’ai pris un crayon un peu gras sur du papier granuleux pour avoir cet aspect un peu flou, un peu bourré. Après, quand il parle de la beauté de l’usine la nuit, et qu’on a l’impression d’être dans Blade Runner, j’ai utilisé Photoshop à fond pour retrouver cet esprit photographique. À d’autres moments, ce sont des dessins d’enfant pour retranscrire la peur : quand il arrive un problème, mais que ce n’est pas dans ton atelier, la sirène peut retentir parce qu’un type est tombé ou parce que l’usine est en train d’exploser, avec toutes les possibilités entre les deux ! Du coup c’est l’affolement total !

•5) Et de Tue ton patron ?

Jean-Pierre a toujours plus ou moins raconté sa vie. Là, c’est sa première fiction, même si ça s’inspire de ce qu’il a rencontré. Il a fait une petite étude sociologique de ces mecs-là (il y a peu de femmes, même s’il y a Laurence Parisot !). J’ai essayé d’avoir une régularité graphique, avec moins d’interventions informatiques. À chaque livre, j’essaie d’en avoir de moins en moins. J’essaie de n’en avoir que pour insérer des noirs ou des gris, et que le reste soit fait à la main. À la fin, je passais vingt heures par jour à dessiner ! Je ne sais pas comment étaler mon travail. Je ne sais pas faire autrement.

•6) Pourquoi faire surtout de l’autobiographie ?

J’ai plus d’arguments contre l’autobiographie que pour. Souvent, je lis des autobiographies qui m’emmerdent, de gens qui n’ont pas grand chose à raconter, mais qui le racontent quand même.

•7) Que penses-tu des œuvres non-engagées ?

Ça ne me dérange pas du tout ! Moi-même, j’ai été élevé dans le divertissement. Mais c’est sûr que c’est mieux avec un plus, ne serait-ce que de la culture générale. Tintin te fais voyager… Moi-même, ma conscience politique s’est élevée sur le tard, et je ne considère pas qu’il y ait une obligation d’avoir une démarche engagée en tant qu’artiste. Mais, par le jeu des rencontres et de ce qui m’attire, j’ai fini par me coller moi-même une étiquette d’auteur de bandes-dessinées engagées, qui fait bien rire mes amis d’enfance !Il y a une dizaine d’années, je n’avais pas de carte d’électeur et je naviguais complètement à côté de ça ! Mais ma conscience politique s’est nourrie elle-même de cynisme. Quand j’ai démarré un travail engagé, j’avais déjà un terreau de cynisme absolu et peu d’illusions. Je n’imagine pas pouvoir alerter l’opinion ou ouvrir les yeux à des gens. J’ai juste l’impression de pouvoir conforter ceux qui sont déjà d’accord avec ce que je dis, avant même d’ouvrir le bouquin.

•8 ) Qu’est-ce que tu penses des gens qui défendent les patrons et les usines et qui ne portent pas du tout le même regard que toi sur ces choses-là ?

Je me dis qu’on ne peut réagir qu’avec sa propre subjectivité et je me mets à la place de quelqu’un qui est né dans la soie et qui n’a jamais eu de possibilité d’ouverture à un autre monde que le sien. Je ne peux qu’essayer de le comprendre et de voir à quel point son univers est bouché, son impossibilité presque technique de voir un autre monde que le sien. Maintenant, les inégalités salariales ne sont plus de 1 à 10, mais de 1 à 1000… Donc, là, effectivement, ça me donne l’envie de « Tuer mon patron » et on rentre dans quelque chose de plus viscéral. À aucun moment notre BD n’est un appel au meurtre. Tuer un humain, c’est ce qu’on peut  faire de pire au monde. Mais qu’à un moment on mette une gifle à des gens qui ne se rendent plus compte du monde dans lequel ils vivent… pourquoi pas.

•9) Mais il y a aussi beaucoup de gens qui, dans les classes populaires, défendent les patrons. Le Front National ou l’UMP recrutent beaucoup de ces gens là…

J’ai une aversion particulière dans les films de gangsters pour les portes-flingues. Les types qui n’ont rien à reprocher au mec à qui ils vont casser les genoux, mais on leur en a donné l’ordre. Et, de la même manière, les kapos, les sous-fifres du nazisme, etc. Là, on rentre dans un domaine où ma compréhension s’arrête : je les déteste. Un petit épargnant de droite qui est victime lui-même d’un système auquel il participe pleinement… là, je ne comprends plus. Si tu ne comprends même pas que tu participes à creuser ta propre tombe, ben c’est que t’es trop con ! Donc continue à creuser et moi, je mettrai de la terre par dessus.

•10) Anarchie dans la colle, c’est un peu bordélique. Est-ce que c’est voulu ?

Oui, c’est voulu ! Après, je sais que je dois faire gaffe à ça : ça peut vite devenir indigeste ! C’est aussi pour ça que je l’ai appelé Anarchie dans la colle : j’ai essayé d’avoir une vague trame chronologique, mais que ce soit quand même mon terrain de liberté, ma récré, au contraire de Tue ton patron, où j’essaie de structurer énormément. Pour que ça me ressemble au maximum, je dois aussi y mettre mes défauts. Et, parmi mes défauts, il y a le bordel !

•11) À un moment donné, il y a une rythmique dans ton texte qui fait penser à de la poésie (tu parles à un moment de Baudelaire). La poésie t’influence-t-elle ?

Non, pas vraiment ! Je ne suis pas un grand connaisseur de poésie ! Mais je trouve ça super que tu me dises ça ! J’ai beaucoup travaillé ce texte. On m’a dit qu’il sortait une voix de mon texte… c’est quelque chose de magique pour un écrivain, la voix !

•12) Tu peux nous raconter comment est née Mon amie la Poof ?

Mon amie la Poof, je l’ai sorti sur sept ans, au départ en auto-production. Onze ans plus tard, on en est tous là : on cherche tous des moyens de s’autoproduire, quelque soit le domaine dans lequel on est. J’avais déjà un gros CV et un peu d’argent de côté… Éditer un bouquin, c’est le prix d’un canapé. J’avais déjà un canapé… Donc j’ai investi ça dans le 1er tome !

•13) Est-ce que tu travailles avec des Lyonnais ?

Jean-Pierre est en Normandie. Mon éditeur est à Paris. Sinon il y a un regroupement qui est très cher à mes yeux : KCS, qui se trouve dans le 7e arrondissement. On a des projets qui s’entrecroisent. J’ai envie de construire ma vie en province.

•14) Est-ce que tu travailles dans un autre domaine artistique que le dessin ?

Ma copine a une compagnie de danse qui s’appelle Kat’ chaça. Elle m’a proposé de participer à un spectacle. Je dessine sur scène pour notre petit trio qui s’appelle Trio trio, avec un altiste (petit violon) et ma copine qui danse. On raconte une histoire un peu déglinguée. Cela m’a ouvert d’autres portes et je fais aussi d’autres spectacles de dessin.

Sylvain O. et EG181

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