Dernière lettre de Bicêtre


Le 22 mars 1905, la cour d’assises de la Somme rend son verdict sur l’affaire des « bandits d’Abbeville ». Sept des vingt-trois accusés (Alcide Ader, Georges Apport, Émile Augain, François Westermann, Émile Limonier, Louis Chalus et Léontine Tissandier) sortent libres du tribunal d’Amiens. Si Joseph Ferrand, condamné à 20 ans de travaux forcés, renonce à faire appel,  dix condamnés (Marie Jacob, Jacques Sautarel, Rose Roux, Léon et Angèle Ferré, Honoré Bonnefoy, Jules Clarenson, François Brunus, François Vaillant et Marius Baudy) se pourvoient en cassation, à l’initiative très certainement de leurs avocats parisiens. Ayant échappé à la guillotine, Alexandre Jacob, dans l’attente de son transfert sur Orléans où il doit être jugé une seconde fois, tient à disculper tant que faire se peut certains d’entre eux, dont sa très chère mère. Sa dernière lettre de la prison de Bicêtre, le 03 avril, est adressée au Garde des Sceaux.

L’honnête cambrioleur y évoque notamment le fameux coup de la rue Quincampoix (06 octobre 1901) et la question de l’écoulement des produits volés à la suite de toutes les opérations de « déplacement de capitaux ». Mais le courrier se termine par une ultime bravade, provocation révélant surtout l’attachement filial. . Le 09 juin 1905, le verdict du procès d’Amiens est cassé pour les appelants qui devront comparaître à nouveau à Laon du 24 septembre au 01 octobre. La justice clôt alors définitivement l’aventure des Travailleurs de la Nuit. Rien ne vient prouver que cette dernière lettre de Bicêtre ait porté ses fruits. Pourtant Marie Jacob, Jacques Sautarel et François Brunus sont désormais libres. Alexandre Jacob se trouve lui au dépôt pénitentiaire de Saint Martin de Ré ; il est devenu un bagnard en partance.

Amiens, le 3 avril 1905

Monsieur le ministre,

Avant de partir pour Orléans où je dois comparaître aux prochaines assises, je ne veux pas laisser peser sur ma conscience l’indignation de voir plusieurs innocents condamnés à la vie du bagne et de la prison.

J’affirme hautement et sincèrement n’avoir jamais eu de relation avec le nommé Jacques Sautarel, que le jury de la Somme a reconnu doublement coupable comme indicateur et receleur du vol Bourdin commis à Paris le 6 octobre 1901, dont je suis l’auteur.

Je n’ai jamais eu besoin d’indicateur pour commettre mes actes. La pancarte de location qui se trouvait au numéro 76 de la rue Quincampoix, depuis plusieurs mois, m’a mis, seule, sur la piste de cette opération.

J’affirme de même que le nommé Honoré Bonnefoy n’a jamais été mon complice soit dans la préparation, soit dans l’exécution de ce vol. De crainte de laisser trace de mon signalement, je fis jouer à Bonnefoy le rôle de dupe en le priant de louer pour moi, sous le nom de Guilloux, que je portais alors, l’appartement situé au-dessus de celui occupé par M. Bourdin et par lequel je me suis introduit chez lui. Bonnefoy n’a connu une partie de la vérité qu’après la consommation de l’acte. Afin qu’il ne me gardât aucun ressentiment du préjudice que je lui avais causé par cette tromperie, j’entrepris avec lui un commerce de vernis à Bordeaux. Durant ce commerce, il me reprocha, en termes assez amers, la fausse situation dans laquelle je l’avais mis. Il alla même jusqu’à me dire :

« Si jamais il m’arrive quelque chose de fâcheux, je sais ce que je ferai. » Je pris ces paroles pour une menace de délation. C’est pourquoi, quelques mois plus tard, ayant appris qu’il se trouvait à Champigny, je fis, de concert avec un nommé Bour, une démarche dans l’intention de lui nuire.

J’affirme également n’avoir rien vendu au nommé Brunus que le jury de la Somme a condamné pour recel de matières précieuses provenant d’actes dont je suis l’auteur. J’ai dit, dans une lettre que j’ai adressée à M. le procureur général en date du 24 novembre

1904, les noms et adresses des fondeurs, banquiers et essayeurs de [illisible] à qui j’avais vendu les matières provenant de mes actes. M. le procureur général a fait disparaître cette lettre du dossier. Pourquoi ?

C’est à dessein que je termine cette protestation sans parler d’autres personnes, notamment de ma pauvre mère ; la force l’a proclamée coupable en la condamnant à cinq ans de prison. Qui a tort ? Qui a raison ? La violence le proclamera prochainement.

Recevez, Monsieur le Ministre mes salutations distinguées.

Amiens, le 3 avril 1905

Jacob

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