SOUVENIRS D’UN REVOLTE épisode 5


Souvenirs d’un révolté

Par Jacob

Les derniers actes – Mon arrestation

(suite)

– Les voilà ! les voleurs de la place Saint-Pierre ! Les voilà ! les voleurs de l’église Saint-Jacques ! Les voilà ! les voleurs de monsieur de La Rivière !

Ces trois exclamations furent dites à l’affilée, sans interruption. Je crois même pouvoir ajouter sans respiration, car sa figure devint rouge comme un soubassement d’abattoir. Vraiment ! ce pauvre homme manquait de tact et de prudence ! Croyait-il nous clouer sur place avec des phrases ? Pécaïre !

– À qui parlez-vous ? lui dis-je avec hauteur, en le regardant durement. Serait-ce à nous, par hasard ?
– Oui, oui, oui ; à vous, oui, me dit-il presque en aboyant, tant il mit d’acharnement dans sa réponse. Avancez par ici, ajouta-t-il en nous précédant dans le bureau du chef de gare. Nous allons nous expliquer.

La soudaineté de l’attaque avait été telle que nous nous trouvâmes tous trois dans le bureau sans savoir au juste comment et pourquoi nous y étions venus. Mais, pour moi, cette surprise ne fut pas de longue durée. Avec la rapidité avec laquelle la pensée discerne les choses dans les moments critiques, je compris toute la gravité de notre situation et résolus de tenter un grand coup. Deux moyens étaient à ma portée : la ruse et la violence. J’essayai du premier avant d’avoir recours à l’autre.

– Écoutez, mon brave, dis-je à Auquier d’un air bonasse. Vous faites fausse route ; croyez-moi. Nous ne sommes pas des cambrioleurs, mais des contrebandiers. Or nous n’avons pas de marchandises ; par conséquent pas de flagrant délit… Aussi allez-vous nous faire le plaisir de nous laisser tranquilles, n’est-ce pas ?

Il demeura indécis durant quelques secondes, puis :

– Nous allons vous fouiller. Nous verrons ensuite.

Et, voulant joindre le geste aux paroles, il fit mine de porter ses mains sur moi.

Les paroles devenaient inutiles. Il fallait passer aux actes. Je fis deux pas en arrière, et le revolver d’une main, le poignard de l’autre, je m’écriai :

– Laissez-nous passer, tonnerre de Dieu ! ou je fais feu.
– Quoi ! des armes ! s’écrièrent avec terreur Pruvost et Auquier.
– Oui, des armes… Et après ?…

À ces mots, la lutte commença. Elle dura peu, mais elle fut acharnée. Brutalement, Pruvost se jeta sur Pélissard, en le saisissant par-derrière, à bras-le-corps. Ainsi enlacé, Pélissard se trouvait dans une bien mauvaise posture ; et quoiqu’il soit doué d’une assez grande force musculaire, il n’aurait certainement pas eu le dessus si Bour ne fût venu à son secours. Ce dernier, voyant le danger que courait son camarade, n’hésita pas à faire feu sur l’agent qui, atteint en plein cœur, lâcha Pélissard, et s’affaissa à terre, sur les genoux, en murmurant :

– Je suis mort !

Aussitôt dégagé, Pélissard montra la supériorité de ses jarrets en prenant la fuite, sans s’occuper de ses compagnons.

Auquier, lui, s’avança vers moi, en cherchant à m’empoigner le bras afin de me désarmer ; mais je le fis lâcher aussitôt en le piquant à la hanche gauche avec mon poignard. Au même instant, Nacavant, Nacavant le garde-sémaphore, le même qui quelques minutes avant nous avait serré la main, voulant se montrer ce qu’en langage civique on appelle un citoyen dévoué, vint prêter main-forte aux agents. Entré sur le lieu de la scène par la porte qui donne accès sur le quai de la voie, il me prit brutalement par-derrière et m’envoya bouler au fond de la pièce. La surprise de l’attaque et la brutalité avec laquelle je fus poussé me firent étaler sur le plancher, de tout mon long. Naturellement je voulus me relever aussitôt ; mais Auquier et Nacavant y mirent obstacle. Ils se précipitèrent furieusement sur moi : l’un me tenant le bras gauche à hauteur du poignet et m’appuyant fortement ses genoux dans le dos afin de me maintenir courbé en deux, les genoux à terre ; l’autre me tenant le bras droit en faisant tous ses efforts pour m’arracher le revolver de la main. Ainsi tenu, ma position était des plus critiques. À un moment, le canon de mon arme se trouva braqué sur ma poitrine dans la région du cœur. Et c’est vraiment un miracle que le coup ne soit pas parti sous la pression des mouvements que les contractions nerveuses faisaient subir à mes doigts. Pendant quelques secondes, je demeurai ainsi entre la vie et la mort. Heureusement pour moi, Bour vint me tirer d’embarras. Dès qu’il eut dégagé Pélissard, il s’avança dans le fond de la pièce, en mettant en joue Nacavant.

– Grâce ! grâce ! s’écria le citoyen dévoué avec terreur.

Puis, me lâchant aussitôt, il se réfugia dans le cabinet du chef de gare. Un autre employé de la gare, Ruffier, l’imita dans sa retraite. Bour, n’apercevant plus Pélissard qu’il venait de dégager, prit à son tour la fuite.

Je demeurai seul aux prises avec Anquier. A l’instant précis où Nacavant me lâcha, un coup de feu partit de mon revolver ; il n’atteignit personne. Au bruit de la détonation, soit qu’il eût voulu s’assurer s’il était atteint, soit encore pour tout autre motif, Auquier me lâcha aussi. Mais avant que j’eusse eu le temps de me lever complètement, il m’empoigna de nouveau. Rapidement, je lui fis un croc-en-jambe, et il tomba sur le plancher. Mais il me tenait si fortement qu’il m’entraîna dans sa chute. Nous ne restâmes pas longtemps à terre. L’un et l’autre fûmes lestement debout. Par un heureux hasard, il réussit à me neutraliser les bras. Et ainsi aux prises, moi en me débattant, lui en me tenant, nous nous dirigeâmes vers la salle des pas perdus. En arrivant sur le seuil de la porte qui donne accès de cette salle dans celle où nous nous trouvions, Pruvost, qui était affalé à terre, nous barrant le passage pour ainsi dire, se leva brusquement sur ses genoux, comme mû par un puissant ressort et s’accrocha désespérément à mes jambes. Sur le coup, je perdis l’équilibre et tombai à la renverse, sur Pruvost, entraînant Anquier dans ma chute. Nous roulâmes ainsi, accrochés l’un à l’autre, formant une grappe humaine, jusque dans la salle des pas perdus.

Ignorant que Pruvost ne pouvait plus me nuire à cause de la gravité de sa blessure, je lui portai plusieurs coups de poignard pour le faire lâcher. Puis, je tirai un coup de revolver sur Anquier, sans l’atteindre ; par ricochet, la balle alla se loger dans l’aine de Pruvost. Tout comme pour mon premier coup, le bruit de la détonation fit encore lâcher prise à Auquier.

(A suivre).

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