Histoire d’A


L\'Anarchie guidant le peupleOn ne lira pas dans les colonnes des deux numéros de l’Agitateur en 1897 de papiers traitant du mouvement syndical, appelant les anarchistes à l’image de Pouget, de Griffuelhes  ou de Pelloutier à œuvrer au sein des mouvements de masse. L’anarchie récusant l’autoritarisme, les critiques de la société se font féroces et pressantes mais nous retrouvons toujours une volonté pédagogique d’explication. C’est pourquoi les articles de fonds y dominent largement. L’auteur signant Adrien refuse ainsi l’idée d’un mot – l’anarchie – associé au concept de chaos alors que tout son exposé politique démontre celui de liberté. Et dans ce contexte, L’Agitateur se déclare ouvertement individualiste. Tel est le sens du billet d’Emile Rinaldain : « Pourquoi je suis anarchiste ?« . Nul doute alors que l’honnête cambrioleur, dix-sept ans à l’époque, puise sa dialectique future dans ces quelques lignes.

 

manchette de l\'AgitateurL’Agitateur

N°1

Du 04 au 19 février

Anarchie

Ce mot : « Anarchie », qui à maintes reprises a été si bien expliqué, défini en tant que valeur et quelle en était sa simple et tangible expression, n’aurait certes pas besoin d’être remis sur le tapis. Car, depuis les premiers jours que les idées formant sa base ont été propagées, on est revenu souvent sous sa véritable origine ainsi que sur sa signification absolue. Mais quoique connu par ceux qui sont ses adeptes, par ceux qui se dévouent à son avènement, il reste une innombrable multitude d’êtres qui ne connaissant d’elle que ce que nos journalistes, écrivains ou orateurs intéressés en ont bien voulu dire. C’est pour cela que, profitant de la réapparition de l’Agitateur et croyant un peu dessiler leurs yeux aveuglés par les erreurs habituelles, nous revenons sur ce sujet en faisant tous nos efforts pour être compris.

Prenez quel dictionnaire qu’il vous plaira, vous trouverez au mot « Anarchie » : « A privatif, Arché commandement, tiré du grec ». – Ainsi A signifie privation, sans ou absence ; Archie, commandement, autorité ou gouvernement. Donc, ajoutons A ou An à Arché ou à Archie et nous aurons le mot Anarché ou Anarchie, dont sa valeur égalera à : privation d’autorité, sans gouvernement, ou bien absence de gouvernement, ce que le tout se résumera dans ce seul mot : « Liberté », puisque personne ne commande à personne, que toute individualité agit par sa seule volonté, par son unique conscience ; c’est-à-dire qu’alors, chaque être est souverain, son propre guide, son seul gouvernement.

Mais après la définition donnée par le dictionnaire, l’auteur s’est empressé d’ajouter : « Absence d’autorité dans un état, chaos, désordre », comme si là où l’autorité fait défaut cesse l’ordre et l’équilibre. Nous ne nous souvenons pas que, lorsque notre individu avait agit tel que ses sens le lui dictaient, nous ayons souffert, qu’il y ait eu désordres dans notre Moi intérieur ou extérieur.

En effet, est-ce chacun de nous n’a pas éprouvé ces moments d’aise, cet état d’âme extraordinairement bienfaisant à tout notre être, aussi bien au physique qu’au moral, ce temps incomparablement bon de l’absolue liberté individuelle par l’absence du maître, par l’oubli de l’oppresseur nous laissant enfin un instant à nous même, à notre seule volonté ? Qui donc de nous tous n’a pas goûté, ne serait-ce qu’une minute, de ce bonheur, de ce rayon réagissant sur tout notre individu : la Liberté ? Tous, nous nous réjouissons aussitôt que nous nous sentons libres, sans entrave, sans subordination aucune – fruit très recherché de notre époque.

Eh bien ! l’Anarchie n’a pas d’autre signification, son sens positif n’est pas autre chose que celui de la Liberté.

On a tenté par tous les moyens de salir son origine et son œuvre, de travestir l’exactitude de ses traits significatifs. Mais malgré l’interprétation – carnavalesque si elle n’était abominable – que lui ont donnés les gens mal intentionnés, malgré l’ignorance de sa valeur entretenue au sein de la masse par de faux écrits, elle n’a pas moins fait son petit bout de chemin, et de partout maintenant on entend parler de son envahissement parmi les gens pensant, ceux qui n’ont pas été totalement avilis par nos mesquines luttes pour l’existence, ceux que leurs conceptions et leurs sentiments sont restés identiques à la Nature et à la Raison.

Parmi ce nombre d’hommes affranchis des préjugés coutumiers parmi les propagateurs de son idéal, il en est qui ont quelques fois proposés de substituer à sa place un nom mieux compris, plus à la portée des peu cultivés, d’une signification moins farouche, s’adoptant mieux à l’ordre d’idées qui en forment son esprit. C’est, pensons-nous, d’un mauvais goût, d’un manque de logique ou d’une très petite compréhension de la valeur du mot, de la part des auteurs d’une pareille proposition.

Lorsque pour la première fois Proudhon s’en servit ce fut un renversement de toutes les théories admises jusqu’à son époque. Plus tard, au sein de l’Internationale, les Marxistes le jetèrent comme injure à la face des Bakouninistes, et ceux-ci l’acceptèrent d’autant plus qu’il synthétisait infiniment bien leur genre de pensée : la destruction totale de l’autorité, la liberté individuelle pour tout être existant. Ce mot fut relevé par eux avec joie et déclarèrent devant l’assemblée qu’il ferait le tour du monde, que son idéal pénètrerait dans toutes les parties de l’univers, qu’il s’empreinterait dans chaque mentalité et que vers la fin de ce siècle son torrent serait d’une puissance insurmontable, appelé à laver notre société incohérente de tous ses immondices…

Ils comprirent donc la largesse d’expression que ce mot contenait en lui, la signification simple et catégorique de l’ordre social qu’ils se proposaient d’implanter. Et, en effet, nul mot que nous connaissions qui n’exprime mieux l’ensemble de notre philosophie, nul mot dans notre langage qui ne caractérise mieux notre idéal.

Les individus, disaient les partisans d’une substitution, ont peur de ce mot que les intéressés ont travesti. Ils ne connaissent point son origine ni sa valeur. La plupart se basent sur leur dictionnaire et acceptent les conclusions de « désordre », « chaos ». – Et que nous importe cette erreur populaire en tant que fausse explication ! Tous les jours ne pouvons-nous pas exposer son véritable caractère et extirper ainsi les préjugés de notre entourage ? Puis, au début de l’exposé d’une novation idéale, n’a-t-on pas toujours sali et tourné en dérision le mot qui la résumait ? Et alors à quoi bon s’arrêter, à quoi bon vouloir changer un mot qui, somme toute, s’adapte parfaitement bien à la société de demain ? La masse, au fur et à mesure qu’elle s’émancipera, parviendra comme nous à saisir le sens qui lui est propre, l’essence de la Liberté.

Sa philosophie, comme l’annonça Bakounine, pénètre peu à peu dans tous les esprits. Insensiblement on s’y habitue et peu de gens aujourd’hui s’en effarouchent. Et si le mot fait moins peur c’est une preuve évidente que les idées qu’il représente s’infiltrent dans les cerveaux.

Efforçons-nous de concorder notre conduite avec son expression et ne tenons point compte du quand dira-t-on. Expliquons, à ceux qui ne l’ont pas compris, le pourquoi et le comment de sa légitimité et la populace parviendra à se convaincre de sa beauté.

Persévérons donc sa propagation et dans un temps très rapproché la moisson sera mûre : nous briserons les vieilles institutions qui nous oppressent, qui font de nous des êtres souffrants. Sur ces ruines, nous cueillerons les fruits de notre labeur, de notre ténacité.

Cette liberté tant recherchée et qui doit régénérer le monde ne réside que dans l’anarchie.

L’humanité, alors, deviendra forte, et consciente de sa vitalité.

Adrien.

 

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N°1

Du 04 au 19 février

Pourquoi je suis anarchiste

Je suis anarchiste parce que je suis essentiellement individualiste et altruiste.

INDIVIDUALISTE : amour de MOI – égoïste.

ALTRUISTE : amour d’AUTRUI – solidarité.

Je suis anarchiste individualiste parce que je réclame, je veux la satisfaction complète, intégrale de tous les désirs, de tous les besoins de mon individualité, de mon moi. Je suis anarchiste individualiste parce que toutes les aspirations de mon individualité, de mon moi tendent vers ce but : le bonheur ! Je suis anarchiste altruiste parce que j’aime mon prochain comme moi-même ; parce que le spectacle de sa souffrance, de sa détresse, de sa misère m’émeut et m’afflige douloureusement! Je suis anarchiste révolté parce que, ayant au cœur l’amour profond et sincère de l’amitié, toute iniquité me révolte

Je suis anarchiste humanitaire, parce que je suis pénétré de cette conviction raisonnée : c’est que les millions et les millions d’individus dont se compose l’humanité, n’arriveront à connaître, à posséder la grande liberté – cette source intarissable de bonheur ! – l’équitable égalité et la véritable Fraternité, que par le communisme anarchiste qui, seul, peut assurer à chacun, c’est-à-dire à tous, l’intégrale somme de bien-être et de satisfaction matériels !

Emile Rinaldain

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