Excès de lupinose


La lupinose a encore frappé. Dans le domaine vétérinaire, ce terme désigne l’intoxication due à l’absorption excessive de lupins. L’infection devient virale quand elle touche le petit monde médiatico-culturel des scientifiques dits autorisés. Elle est particulièrement aigue chez ceux et celles qui s’essaient à discourir sur l’honnête cambrioleur.

Les symptômes ? Aisément repérables, ils s’enchaînent de manière progressive jusqu’à l’attaque finale de la  dite affection. Point de troubles, de nausées ou encore de sentiments morbides ou inavouables. Plutôt une impression d’assurance persuasive aboutissant à la conviction profonde de la véracité du mythe lupinien. Des victimes en nombre.

Cela commence la plupart du temps par l’évocation de quelques-uns des exploits, en particulier les plus cocasses et les plus irrésistibles, d’Alexandre Jacob. Puis, petit à petit, on glisse sur le procès d’Amiens, où l’œil et l’oreille averties (qui, selon l’adage, en valent huit) apprécieront la présence d’un journaliste, oeuvrant pour le compte de Gil Blas et notant scrupuleusement les moindres détails de l’affaire dite d’Abbeville où s’illustre le dénommé Jacob Alexandre. Maurice Leblanc peut ainsi entrer en scène. L’empathie, le rapprochement est d’autant plus aisé que les réparties cinglantes du voleur anarchiste pourraient très bien se retrouver dans la geste lupinienne.

Une fois infecté, le malade n’en démord pas, quitte à nier cette évidence : Alexandre Jacob n’est pas Arsène Lupin. N’en déplaise aux membres du web forum de l’Agence Barnett et Compagnie, forum fort intéressant au demeurant,  qui n’ont de cesse de relever les errements littéraires du romancier normand. Au moins cela a le mérite de les occuper.

La lupinose s’est révélée gravement pathologique, le dimanche 29 mars 2009, sur l’antenne de France Inter à 12h23 précise. L’émission de l’animatrice, à la voix acidulée, Kriss Crumble, a commencé depuis une vingtaine de minutes. Invité à évoquer son Musée vivant du roman d’aventures, Frédéric Feu entend faire le lien entre le réel et le mythe, espère pouvoir construire des passerelles entre l’imaginaire et les sciences. Ses sujets de prédilection sont l’histoire de la police scientifique (il a conçu pour l’Ecole Nationale Supérieure de la Police la reconfiguration du Musée Edmond Locard de la criminalistique), les cabinets de curiosités, l’utopie, l’anticipation et la science-fiction. Il intervient régulièrement dans le cadre de formations universitaires aux métiers de la muséographie et de la médiation culturelle, et dans des colloques professionnels. Metteur en scène, scénographe et muséographe, spécialisé dans la vulgarisation scientifique, il fait donc partie de ce type de personnel éclairé que l’on entend régulièrement sur les ondes, que l’on voit presque systématiquement sur les écrans plats – comme le discours –  de télévision.

Interrogé sur le développement de la criminalité à la fin du XIXe siècle, l’honorable quidam ne pouvait bien sûr manquer de signaler aux oreilles interpellées de l’auditeur du service public l’existence d’ « un certain Jacob. (…) Lui était de Montpellier ». Le radar de nos zygomatiques vient de signaler l’intrusion dans la sphère de notre humeur rigolarde d’une énième et non moins aigue attaque de lupinose.

Et c’est presque de l’art. Frédéric Feu avance alors sa démonstration de manière méthodique. Portrait de l’ingénieux voleur d’abord. Il aurait fondé dans la métropole de l’Hérault une école de cambriolage. Pour ce faire, « il avait acheté le plus grand magasin de quincaillerie de Montpellier ». Au sous-sol du dit établissement commercial, les apprentis usagers de la pince-monseigneur et du vilebrequin pouvaient à loisir étudier le double de chaque coffre fort. Ensuite « ils allaient eux-mêmes livrer les coffres aux bourgeois ». Miss Cramble ne peut manquer de rire à gorge déployée. Nous aussi d’ailleurs. Petite insinuation lupinienne, Mister Feu précise encore que, toujours à Montpellier, l’honnête cambrioleur Jacob possédait une autre boutique. Celle-là vend des costumes. La friperie permet bien évidemment aux ingénieux maraudeurs de passer totalement inaperçus.

La relation du cambriolage de la demeure familiale et rochelaise de l’enseigne de marine Julien Viaud autorise un pas de plus vers le maladif amalgame. Certes, la victime n’est présentée que sous son célèbre pseudonyme. Jacob n’aurait rien pris chez Pierre Loti. Il a juste laissé un billet pour s’excuser des dégâts occasionnés. Le rapprochement peut alors s’opérer et le mythe s’intégrer dans l’évidente réalité. Procès d’Amiens. La vérité vraie et avérée impose la présence sur les bancs de la salle d’audience du tribunal picard de l’écrivain Maurice Leblanc : « Cest pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Il était en train déjà de tripatouiller Arsène Lupin ». Et voilà ! C’est dit. C’est fait. C’est réglé. Comme sur du papier à musique. Cela tient de l’axiome puisque cela vient d’un universitaire. Même si cela est avancé sans la moindre source probante. Rien n’a été dit non plus sur l’anarchisme motivant l’acte illégaliste. Encore un lecteur de biographies romancées ou plutôt de romans biographiques. Il en est même qui écrivent des thèses en se référant aux dits ouvrages pour disserter sur les Anarchistes contre la République (Vivien Bouhey, Presses Universitaires de Rennes, 2009) et en particulier sur les illégalistes. Et après, ils osent tout et c’est même à ça qu’on peut les reconnaître. La lupinose a encore frappé. Valait mieux éteindre son poste de radio ce jour-là ! 

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