Carnet rose : le bagne


camp de la transportation à Saint Laurent du MaroniLe bagne est né de la fin des galères royales. La chiourme se sédentarise avec l’ordonnance du 27 septembre 1748 et subit le travail  alors servile dans les entrepôts maritimes et les arsenaux métropolitains. Le XIXe siècle reprend à son compte les idées positivistes et sociales des l’amendement et de la régénération issues des Lumières. Mais en métropole, la question pénale évolue en fonctions des préoccupations sécuritaires de la société de son temps. Les critiques se font de plus en plus aiguës vis à vis des bagnes portuaires.[1]. Elle est l’aboutissement de toute une série de lois et décrets fixant la déportation (loi du 8 juin 1850 sur la déportation en Algérie) et la transportation (décret du 8 décembre 1851 sur la transportation politique des individus soupçonnés d’affiliation à des sociétés secrètes, décret du 27 mars 1852 fixant la Guyane comme lieu de transportation). L’article 2 de la loi du 30 mai 1854 spécifie que « les condamnés seront employés aux travaux les plus pénibles ». Le condamné doit donc souffrir pour expier. Et l’article 6 institue le doublage. Cette pratique impose un temps de résidence dans la colonie égal à celui de la condamnation si celle-ci est inférieure à huit ans. Au-delà, la résidence obligatoire devient perpétuelle.

 De même que les troubles sociaux de la première moitié du XIXe siècle émeuvent la bourgeoisie triomphante, la promiscuité des bagnes portuaires où viennent s’entasser voleurs, déclassés et vagabonds fait peur. La répression ne suffit plus à contenir les ardeurs et réclamations d’une classe jugée « dangereuse » et, de plus en plus hostile à une concurrence engendrée par le travail forcé. Sur fond de crise économique, le second Empire de Napoléon le Petit met à profit les idées de réforme pénales jusqu’ici développées. Celles favorables à la transportation font leur chemin et le désir d’éloigner le criminel d’une manière quasi-définitive apparaît désormais clairement.

Les bagnes coloniaux sont créés par la loi impériale du 30 mai 1854. « Cette loi – selon le propos de Valérie Portet, auteur d’un mémoire sur les anarchistes en Guyane – constitue la Charte du bagne pendant plus d’un siècle ». Elle est l’aboutissement de toute une série de lois et décrets fixant la déportation (loi du 8 juin 1850 sur la déportation en Algérie) et la transportation (décret du 8 décembre 1851 sur la transportation politique des individus soupçonnés d’affiliation à des sociétés secrètes, décret du 27 mars 1852 fixant la Guyane comme lieu de transportation). L’article 2 de la loi du 30 mai 1854 spécifie que « les condamnés seront employés aux travaux les plus pénibles ». Le condamné doit donc souffrir pour expier. Et l’article 6 institue le doublage. Cette pratique impose un temps de résidence dans la colonie égal à celui de la condamnation si celle-ci est inférieure à huit ans. Au-delà, la résidence obligatoire devient perpétuelle.

Les bagnes de Guyane, ouverts en réalité dès 1852, remplacent de fait et d’une manière progressive ceux portuaires de Rochefort, de Toulon ou encore de Brest. Mais ils ferment momentanément de 1869 à 1887 pour cause de trop forte mortalité. La colonie pénitentiaire de Nouvelle Calédonie, ouverte en 1867, fait alors office de principale prison hors métropole. Elle ferme à son tour les portes de ses cellules en 1897 mais, là, pour cause de trop faible mortalité !!! Les derniers forçats ne partent de Guyane qu’en 1953 et, de 1852 à cette date, ce sont environ 52000 transportés qui subissent « l’enfer vert » de la colonie pénitentiaire.

 

la loi et le codeLoi sur l’exécution de la peine des travaux forcés du 30 mai 1854.

Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français, à tous présents et à venir, Salut. Avons sanctionné et sanctionnons, promulgué et promulguons ce qui suit : Le Corps législatif a adopté le projet de loi dont la teneur suit :

Article premier : La peine des travaux forcés sera subie, à l’avenir, dans des établissements créés par décret de l’Empereur, sur le territoire d’une ou de plusieurs possessions françaises autres que l’Algérie.

Néanmoins, en cas d’empêchement à la translation des condamnés, et jusqu’à ce que cet empêchement ait cessé, la peine sera subie provisoirement en France.

Article deux : Les condamnés seront employés aux travaux les plus pénibles de la colonisation et à tous autres travaux d’utilité publique.

Article trois : Ils pourront être enchaînés deux à deux ou assujettis à traîner le boulet à titre de punition disciplinaire ou par mesure de sûreté.

Article quatre : Les femmes condamnées aux travaux forcés pourront être conduites dans un des établissements créés aux colonies ; elles seront séparées des hommes et employées dans des travaux en rapport avec leur âge et leur sexe.

Article cinq : Les peines des travaux forcés à perpétuité des travaux forcés à temps ne seront prononcées contre aucun individu âgé de soixante ans accomplis au moment du jugement ; elles seront remplacées par celle de la réclusion, soit à perpétuité, soit à temps, selon la durée de la peine qu’elle remplacera.

L’article 72 du Code pénal est abrogé.

Article six : Tout individu condamné à moins de huit années de travaux forcés sera tenu, à l’expiration de sa peine, de résider dans la colonie dans un temps égal à la durée de sa condamnation.

Si la peine est de huit années, il sera tenu d’y résider pendant toute sa vie. Toutefois, le libéré pourra quitter momentanément la colonie, en vertu d’une autorisation expresse du gouverneur. Il ne pourra en aucun cas, être autorisé à se rendre en France. En cas de grâce, le libéré ne pourra être dispensé de l’obligation de la résidence que par une disposition spéciale des lettres de grâce.

Article sept : Tout condamné à temps qui, à dater de son embarquement, se sera rendu coupable d’évasion sera puni de deux à cinq ans de travaux forcés. Cette peine ne se confondra pas avec celle antérieurement prononcée. La peine pour le condamné à perpétuité, sera l’application à la double-chaîne pendant deux ans au moins et cinq ans au plus.

Article huit : Tout libéré coupable d’avoir, contrairement à l’article 6 de la présente loi, quitté la colonie sans autorisation, ou d’avoir dépassé le délai fixé par l’autorisation, sera puni de la peine de un à trois ans de travaux forcés.

Article neuf : La reconnaissance de l’identité de l’individu évadé, ou en état d’infraction aux dispositions de l’article 6, sera faite soit par le tribunal désigné dans l’article suivant, soit par la cour qui aura prononcé la condamnation.

Article dix : Les infractions prévues par les articles 7 et 8 et tous crimes ou délits commis par les condamnés, seront jugés par un tribunal maritime spécial établi dans la colonie. Jusqu’à l’établissement de ce tribunal, le jugement appartiendra au premier conseil de guerre de la colonie, auquel seront adjoints deux officiers du commissariat de la marine. Les lois concernant les crimes et délits commis par les forçats, et les peines qui leur sont applicables, continueront à être exécutées.

Article onze : Les condamnés des deux sexes qui se seront rendus dignes d’indulgence par leur bonne conduite, leur travail et leur repentir pourront obtenir :

1° L’autorisation de travailler aux conditions déterminées par l’Administration, soit pour les habitants de la colonie, soit pour les administrations locales ;

2° Une concession de terrain et la faculté de le cultiver pour leur propre compte. Cette concession ne pourra devenir définitive qu’après la libération du condamné.

Article douze : Le Gouvernement pourra accorder aux condamnés aux travaux forcés à temps l’exercice, dans la colonie, des droits civils ou de quelques uns de ces droits, dont ils sont privés par leur état d’interdiction légale. Il pourra autoriser ces condamnés à jouir ou à disposer tout ou partie de leurs biens. Les actes faits par les condamnés dans la colonie, jusqu’à leur libération, ne pourront engager les biens qu’ils possédaient au jour de leur condamnation, ou ceux qui leur seront échus par succession, donation ou testament, à l’exception des biens dont la remise aura été autorisée. Le Gouvernement pourra accorder aux libérés l’exercice, dans la colonie, des droits dont ils sont privés par les troisième et quatrième paragraphes de l’article 34 du Code pénal.

Article treize : Des concessions provisoires ou définitives de terrains pourront être faites aux individus qui ont subi leur peine et qui restent dans la colonie.

Article quatorze : Un règlement d’administration publique déterminera tout ce qui concerne l’exécution de la présente loi, et notamment : 1° Le régime disciplinaire des établissements aux travaux forcés ; 2° Les conditions selon lesquelles des concessions de terrains, provisoires ou définitives, pourront être faites aux condamnés ou libérés, eu égard à la durée de la peine prononcée contre eux, à leur bonne conduite, à leur travail et à leur repentir ; 3° L’étendue du droit des tiers, de l’époux survivant et des héritiers du concessionnaire sur les terrains concédés.

Article quinze : Les dispositions de la présente loi, à l’exception de celles prescrites aux articles 6 et 8, sont applicables aux condamnations antérieurement prononcées et aux crimes antérieurement commis.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 3 mai 1854.

Le Président Signé Billault Les Secrétaires, Signé Joachim Murat, Edouard Dalloz, baron E. Chassériaux. Extrait du procès-verbal du Sénat.

Le Sénat ne s’oppose pas à la promulgation de la loi relative à l’exécution de la peine des travaux forcés. Délibéré en séance, au palais du Sénat, le 20 mai 1854. Le Président Signé Troplong. Les Secrétaires Signé Comte De La Riboisière, Amiral Thayer, baron T. de Lacrosse. Vu et scellé du sceau du Sénat : Signé Baron de T. de Lacrosse.

Mandons et ordonnons que les présentes, revêtues du sceau de l’Etat et inséré au Bulletin des lois, soient adressées aux cours, aux tribunaux et aux autorités administratives, pour qu’ils les inscrivent sur leurs registres, les observent et les fassent observer, et notre ministre secrétaire au département de la justice est chargé d’en surveiller la publication.

Fait au palais de Saint-Cloud, le 30 mai 1854. Signé Napoléon Par l’Empereur, le Ministre d’État signé Achille-Fould. Vu et scellé du grand sceau Le garde des sceaux, Ministre secrétaire d’État au département de la Justice Signé Abbatucci.

[1] Portet Valérie, « Les anarchistes dans les bagnes de Guyane », Année 1994-1995

Université Paris X-Nanterre, Mémoire de maîtrise de sociologie politique,Sous la direction de Marc Lazar, p.18.

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