Jacob / Magón : même combat !


 

Jacob par GilRicardo Flores MagonCertes les deux portent haut l’anarchie et les bacchantes. Beaucoup de réponses à notre quiz vont dans ce sens. Cela n’est certes pas suffisant. Certes encore les deux se trouvent en 1915 sur le continent américain : Alexandre Marius Jacob au sud et Ricardo Flores Magón au nord. Certes enfin tous les deux ont connu et subi, connaissent et subissent, connaîtront ou subiront l’enfer carcéral. Mais un point de convergence, fondamental et théorique, se dégage surtout à la lecture des Ecrits de Jacob (voir Alexandre Jacob l’honnête cambrioleur et tous les articles de ce blog) et des Propos d’un agitateur de Flores Magón (Libertalia en 2008). Comme l’illégaliste français dans sa déclaration Pourquoi j’ai cambriolé ? en 1905, le révolutionnaire mexicain dénonce, dans sa nouvelle Le mendiant et le voleur, paru dans le journal Regeneración dix ans plus tard, l’avilissement de la mendicité et la prostitution du salariat. Reste alors le vol et la reprise individuelle comme moyen d’existence. Preuve est une nouvelle fois faite, au Mexique comme dans l’hexagone, de la pertinence théorique des pratiques politiques illégalistes. « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend » aurait pu écrire Ricardo Flores Magon. « Si je m’empare d’une partie de ce [que les bourgeois] ont pris aux déshérités, je n’accomplis par là qu’un acte de justice. » aurait pu déclamer Alexandre Marius Jacob. Alors, Magón jacobien et Jacob magoniste ? Le débat est lancé.

 

Manchette du journal libertaire amiénois GerminalAlexandre Marius Jacob

Germinal

n°11

19 – 25 mars 1905

Pourquoi j’ai cambriolé ?

(…) Vous appelez un homme “voleur” et “bandit”, vous appliquez contre lui les rigueurs de la loi sans vous demander s’il pouvait être autre chose. A-t-on jamais vu un rentier se faire cambrioleur ? J’avoue ne pas en connaître. Moi qui ne suis ni rentier ni propriétaire, qui ne suis qu’un homme ne possédant que ses bras et son cerveau pour assurer sa conservation, il m’a fallu tenir une autre conduite. La société ne m’accordait que trois moyens d’existence : le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plaît. L’homme ne peut même pas se passer de travailler ; ses muscles, son cerveau possèdent une somme d’énergie à dépenser. Ce qui m’a répugné, c’est de suer sang et eau pour l’aumône d’un salaire, c’est de créer des richesses dont j’aurais été frustré. En un mot, il m’a répugné de me livrer à la prostitution du travail. La mendicité, c’est l’avilissement, la négation de toute dignité. Tout homme a droit au banquet de la vie.

Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend.

Le vol, c’est la restitution, la reprise de possession. Plutôt que d’être cloîtré dans une usine, comme dans un bagne, plutôt que de mendier ce à quoi j’avais droit, j’ai préféré m’insurger et combattre pieds à pieds mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens. Certes, je conçois que vous auriez préféré que je me soumisse à vos lois ; qu’ouvrier docile avachi j’eusse créé des richesses en échange d’un salaire dérisoire et, lorsque le corps usé et le cerveau abêti, je m’en fusse crever au coin d’une rue. Alors vous ne m’appelleriez pas “bandit cynique” mais “honnête ouvrier”. Usant de la flatterie, vous m’auriez accordé la médaille du travail. Les prêtres promettent un paradis à leurs dupes ; vous, vous êtes abstraits, vous leurs offrez un chiffon de papier.

Je vous remercie beaucoup de tant de bonté, de tant de gratitude Messieurs. Je préfère être un cynique conscient de mes droits qu’un automate, qu’une cariatide.

Dès que j’eus possession de ma conscience, je me livrai au vol sans aucun scrupule. Je ne coupe pas dans votre prétendue morale, qui prône le respect de la propriété comme une vertu, alors qu’en réalité il n’y a de pires voleurs que les propriétaires.

 

 

Prpos d\'un agitateurRicardo Flores Magon

Regeneración

n°216

11 décembre 1915

Le mendiant et le voleur

Sur l’avenue élégante, homme et femme se promènent, parfumés, chics et provoquants. Collé au mur, la main tendue, un mendiant quémande d’une voix tremblante et servile : « Une aumône, pour l’amour de Dieu! »

De temps à autre, une pièce tombe dans la main du mendiant qui s’empresse de l’enfouir dans sa poche tout en se confondant en louanges et en remerciements avilissants. Un voleur passant par là ne peut s’empêcher de lui lancer un regard plein de mépris. Le mendiant s’indigne (la déchéance a ses pudeurs) et grogne d’un ton irrité :

« Tu n’as pas honte, gredin, de regarder en face un honnête homme comme moi? Je respecte la loi. Je ne commets pas le délit de mettre la main dans la poche d’autrui, moi. Ma démarche est sereine, comme tout bon citoyen qui n’a pas coutume de se faufiler, sur la pointe des pieds, dans les maisons des autres à la faveur de la nuit. Je n’ai ni à me cacher, ni à fuir le regard du gendarme. Le nanti se montre bienveillant à mon égard et quand il jette une pièce dans mon chapeau, il me tapote l’épaule en murmurant : « Brave homme! » ».

Le voleur ajustant son chapeau, grimace de dégoût, lance un regard alentour et réplique au mendiant :

« N’espère pas me faire rougir, vil mendiant! Toi, honnête? L’honnêteté ne vit pas à genoux, prête à ronger l’os que l’on daigne lui jeter. Elle est fière par excellence. Je ne sais si je suis honnête ou non, mais je dois t’avouer qu’il m’est insupportable de supplier les riches de m’accorder, au nom de Dieu, les miettes de tout ce qu’ils nous ont volé. Je viole la loi? C’est vrai, mais elle n’a rien à voir avec la justice. En violant les lois promulguées par la bourgeoisie, je ne fais que rétablir la justice bafouée par les riches, qui volent les pauvres au nom de la loi. Si je m’empare d’une partie de ce qu’ils ont pris aux déshérités, je n’accomplis par là qu’un acte de justice. Si le riche te tapote l’épaule, c’est que ton abjecte bassesse et ta servilité lui garantissent la pleine jouissance de ce qu’il a volé, à toi, à moi, à tous les pauvres du monde. Les riches souhaitent ardemment que tous les déshérités aient l’âme d’un mendiant. Si tu étais vraiment un homme, tu mordrais la main qui te tend un bout de pain. Je te méprise ».

Le voleur cracha et se perdit dans la foule. Le mendiant leva les yeux au ciel et gémit : « Une aumône, pour l’amour de Dieu! ».

 

 

Prpos d\'un agitateurLES ILLÉGALISTES

Regeneración

n° 242

12 août 1916

Le révolutionnaire est un illégaliste par excellence. L’homme dont les actes sont toujours conformes à la loi ne sera au mieux qu’un animal bien domestiqué, mais jamais un révolutionnaire.

La loi conserve, la révolution régénère. Si l’on veut donc changer, il faut commencer par briser la loi.

Prétendre que la révolution peut se faire en respectant la loi est une aberration, un contresens.

La loi est un joug et qui veut s’en libérer doit le briser.

Quiconque fait miroiter aux travailleurs l’émancipation du prolétariat par la voie légale est un escroc, car la loi interdit d’arracher des mains des nantis la richesse qu’ils nous ont volée. Leur expropriation au bénéfice de tous est la condition essentielle à l’émancipation de l’humanité.

La loi est un frein et ce n’est pas avec des freins qu’on se libère. La loi castre et les châtrés ne peuvent prétendre être des hommes.

Toutes les libertés conquises par l’humanité sont l’oeuvre d’illégalistes qui se sont emparés des lois pour les réduire en miettes.

Les tyrans meurent poignardés et nul article du code ne aurait nous en débarrasser.

L’expropriation ne peut se faire qu’en écrasant la loi et non en la subissant.

C’est la véritable raison pour laquelle, si nous voulons être révolutionnaires, nous devons être illégalistes. Il nous faut sortir des sentiers battus et ouvrir de nouveaux chemins aux transgressions.

Rébellion et légalité sont inconciliables.

Qu’on laisse la loi et l’ordre aux conservateurs et aux bonimenteurs.

 

 

 

 

 

 

 

 

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