Vénéneuse noblesse


armureL’examen du cambriolage commis à Compiègne, le 11 février 1903, chez Mme de Frézals, permet à l’orateur Jacob de discourir sur l’état de noblesse après s’être attaqué aux rentiers, aux militaires et à la religion. L’anarchiste ne cherche pas bien sûr à justifier les 72 kilogrammes d’argenterie dérobée chez la dame bien née. Il offre au jury d’Amiens, le 13 mars 1905, et surtout au public venu curieux écouter le surprenant voleur, sa vision de la lutte des classes et du matérialisme historique pour reprendre une terminologie marxiste. Le président Wehekind tente bien encore une fois d’empêcher le malfaiteur de discourir crânement lors de cette cinquième audience du procès des Travailleurs de la Nuit. Rien n’y fait. Jacob entend bien régler son compte à la noblesse. Bien plus que la bourgeoisie, arrogante et triomphante avec l’essor industriel du XIXe siècle, cette caste doit son rang à la spoliation et au vol. La Révolution Française n’a pu éradiquer les porteurs de blasons qui ont su préserver leur capacité de nuisance en délaissant les pratiques endogamiques au profit de fructueuses et salutaires alliances familiales avec les détenteurs du capital. En continuant aussi les pratiques guerrières qui les ont fait au-dessus du commun. Le bellatores combat quelque soit l’institution qu’il sert. Dans les deux cas, puissance de la noblesse et puissance de la classe bourgeoise, l’humble, le travailleur, celui qui ne possède rien, le prolétaire se retrouve inéluctablement spolié des richesses qu’il a pourtant produites. Richesses issues de la terre pour le premier, de la machine et de l’usine pour le second. Mais le bourgeois n’entoure pas son indélicatesse de tout un décorum historique et idéologique lui permettant de fixer comme le noble son pouvoir de manière définitive. Car c’est bien cet hypothétique ordre naturel des choses que remet ici en cause l’honnête cambrioleur.

titre de noblesse de la vicomté de Monhoudou 1669Dossier de presse « la bande sinistre et ses exploits »

Procès d’Amiens,

5e audience, 13 mars 1905

Deuxième déclaration de Jacob

Jacob veut maintenant dire son sentiment sur la noblesse. M. le président l’interrompt,

– C’est le moment réplique-t-il, Mme de Frézals est noble.

Et il commence. Voici d’après le texte qu’il nous a remis lui-même cette déclaration.

«Parmi le nombre des fortunes bourgeoises quelques-unes peuvent se considérer comme étant le produit d’une entreprise commerciale ou industrielle. Par exemple, le négociant en alcool s’enrichit en empoisonnant des générations ; le fabricant d’armes emplit d’or ses coffres-forts en construisant des engins de destruction ; le tenancier de maison publique – ce citoyen patenté, électeur et éligible – amasse de fortes sommes en se dévouant au salut de la morale bourgeoise : leur fortune est en quelque sorte le résultat d’un… genre de travail. Mais à l’égard des propriétés nobiliaires cette subtilité de possession ne peut pas même se tenir. Pour un « noble », travail est synonyme d’avilissement. Aussi sont-ils toujours demeurés nobles. Il suffit de compulser l’histoire pour constater qu’ils ne doivent leur fortune qu’aux crimes, aux brigandages et à la prostitution. Durant dix siècles, la noblesse ne se distingue que dans l’art de spolier et massacrer les peuples. Plus tard la monarchie absolue ayant concentré le pouvoir, les nobles ne pouvant plus donner libre cours à leur inclination de bandits cruels et féroces, se métamorphosent en courtisans obséquieux et plats. C’était à qui ferait le mieux la révérence devant le maître pour accaparer des privilèges. Les coupe-gorge devinrent des lupanars, le banditisme fit place à la prostitution.

«Aujourd’hui, malgré trois révolutions, cette caste n’a pas dérogé à ses chères traditions. Les uns ne vivent que grâce aux revenus de biens jamais gagnés ; d’autres, poussés sans doute par des influences ataviques, ne pouvant plus piller et tuer pour leur propre compte com­mandent à l’armée de cette même République que leurs grands-pères de Coblence voulurent étouffer ; certains enfin, plus avides de gain que de gloire, restaurent leur fortune en mariant leurs progénitures aux marchands de porcs d’Amérique.

« En résumé, la noblesse ressemble à ces fleurs séduisantes dont la substance vénéneuse tue : elle est un obstacle, un danger social comme ennemie de toute innovation humanitaire. Parasites décorés d’oripeaux, les nobles ne vivent qu’au détriment des classes laborieuses. Aussi me suis-je fait l’instrument de révolte en les dépouillant du fruit de leurs rapines avec le regret amer de n’avoir pu faire mieux.»

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