ILLEGALISME (Encyclopédie anarchiste) A.Lapeyre


logo livre anarchiste « Exercice de métiers hasardeux non inscrits aux registres des professions tolérées par la police. » — E. armand.

En principe, tous les anarchistes sont des illégaux, ou plus exactement, des a-légaux. Négateurs de l’auto­rité, des lois, ils tendent vers leur destruction et s’ingé­nient en attendant l’an-archie, à échapper à leurs con­traintes.

En fait, une grande partie des anarchistes, tout en préparant la disparition progressive ou simultanée de tous les articles du Code des Lois, s’adapte au fait social, le subit. C’est ainsi qu’ils se plient aux lois sur la propriété, aux lois sur le service militaire, aux lois sur les mœurs, etc. L’attitude de ces anarchistes : illé­gaux par principe et légaux en fait, leur est dictée soit par le sentiment de leur impuissance devant les foudres de la loi, soit par préjugés, ou traditions, ou morales, soit par tempérament.

La critique des bases d’autorité, au service de tempé­raments combatifs, logiques, débarrassés des préjugés courants sur la morale et l’honnêteté, a donné nais­sance à une catégorie d’anarchistes, qui ont affirmé une théorie de vie illégaliste.

A la force sociale ou gouvernementale, ils opposeront leur audace, leur science et leur ruse. Ce qu’ils ne peu­vent réaliser socialement, ils le réaliseront individuelle­ment. Face à l’autorité qui fait le Bien et le Mal, qui commande au nom de sophismes ou de sa force, tout est Bien, pourvu qu’on soit le plus fort ; il n’y a de Mal que d’être insuffisamment armé. Si l’exploité voulait, il n’y aurait plus d’exploitation. Attendre qu’il le com­prenne, et ose se refuser à être exploité, c’est apporter, ou au moins conserver, sa part d’acceptation à l’édifice autoritaire. Or, eux, ont compris, ils oseront, ils vivront en dehors de la loi, contre la loi.

Travailler, c’est consolider l’Etat ; être soldat, c’est défendre le Capital. Ils veulent que disparaisse l’Etat et le Capital : ils ne seront pas soldats ; ils ne travail­leront pas. Personnellement, ils s’insurgent ; ils n’ac­ceptent pas la loi. Ils n’ont pas d’instruments de pro­duction, pas de matière première sur laquelle exercer leur activité. Ils prendront leur part de la richesse sociale, du capital produit, amassé, par les générations disparues et monopolisé par quelques individus.

Et comme l’actuel possesseur de ces capitaux ne vou­dra pas se laisser exproprier, on emploiera les moyens adéquats : tantôt des moyens directs : le vol ; tantôt indirects : escroqueries, fabrication de fausse monnaie, etc., etc. Nul n’est obligé, en droit, de se soumettre à un contrat unilatéral, qu’il n’a pas été appelé à discuter, qu’il n’a pas contresigné.

D’autre part, le minimum de bien-être et de liberté, nécessaire à tout individu évolué, ne peut être que très rarement acquis par des procédés légaux. De ce fait, le produit du travail de chacun ne lui reste pas intégral, et le travail devient une duperie. C’est ainsi que Guizot a pu dire avec juste raison : « Le travail est une garan­tie efficace contre la disposition particulière des classes pauvres. La nécessité incessante du travail est le côté admirable de notre société. Le travail est un frein ! »

Fatigué, exténué, sale souvent, l’ouvrier, le travail­leur, rentre dans un logis dont le loyer n’est pas trop élevé, c’est-à-dire : un taudis. Pas de place, pas d’air, pas de meubles ; une nourriture insuffisante ou de mau­vaise qualité ; le souci continuel de ne pas dépenser plus que ce qu’il gagne ; la maladie qui le guette, le chômage ; enfin la continuelle et terrible insécurité du lendemain.

Ah ! échapper au salariat ; être propriétaire de son champ, de son atelier, de sa maison ! Le travail ne pou­vant nous libérer, nous nous débrouillerons en dehors des limites de la loi.

Pour vivre la vie libre que nous voulons, il nous faut mener une campagne de tous les instants contre les institutions sociales. I1 nous faut créer un milieu de « nôtres » considérable ; émanciper le plus grand nom­bre possible de cerveaux, afin d’être plus forts pour résister à l’oppression. Mais notre presse est chlorotique : faute d’argent ; nos conférenciers ne peuvent se déplacer : faute d’argent ; nos livres ne peuvent être édités : faute d’argent ; nos écoles ne peuvent subsister : faute d’argent. Faute d’argent, telle est la litanie ; car le travailleur, qui a déjà grand peine à se nourrir, se vêtir, se loger avec son salaire, ne peut distraire pour la propagande que des sommes ridiculement minimes.

Ah ! si nous avions de l’argent ; si nous pouvions dis­poser de ce levier formidable pour révolutionner les esprits, comme notre vie pourrait s’épandre. Or, nous voulons vivre, et tout de suite. Il n’y a pas de Ciel ni d’Enfer pour nous recevoir après notre mort. Il faut vivre maintenant !

Par le travail rarement la libération est possible ; nous serons donc : illégalistes.

Mais ici, il est bien nécessaire de s’entendre. L’illéga­liste ne pose pas ses actes comme révolutionnaires. Il sait : qu’une escroquerie, un estampage, un vol, etc., ne modifient en rien les conditions économiques de la société. Il sait qu’en ne se rendant pas à la caserne, il n’a pas détruit le militarisme. Non plus, l’illégaliste, parce qu’échappant à l’usine, à l’atelier, ou à la ferme, parce que ne « travaillant » pas, n’est un paresseux.

L’illégaliste-anarchiste choisit un travail non accepté par les lois, donc dangereux, comme moyen de vie éco­nomique, comme pis-aller. Il est toujours prêt à faire un travail utile, à condition qu’il puisse jouir du pro­duit intégral de ce travail.

Aussi, il est entendu que « en tous cas, jamais la pra­tique des « gestes illégaux » ne saurait, à nos yeux, diminuer intellectuellement ou moralement qui s’y livre.. C’est même le « critérium » qui permettra de savoir à qui on a affaire. Nul individualiste n’accordera sa confiance au soi-disant camarade qui se targue « d’il­légalisme », ne pense qu’à bombances et fêtes, indifférent aux besoins de ses amis, insouciant de la marche du mouvement des idées qu’il prétend siennes. I1 lui sera plus sympathique qu’un autre, voilà tout, car le réfractaire, l’irrégulier, le hors-cadre, même incons­cients, même impulsifs, attireront toujours l’individua­liste anarchiste. « Entre Rockfeller et Cartouche, c’est Cartouche qui a sa sympathie. » (E. Armand : Initiation individualiste, p. 131.)

Ainsi donc, il y a deux sortes d’illégalistes : l’Illégaliste anarchiste, qui lutte illégalement, par raison et par tempérament, qui accomplit des « actes illégaux » de la même manière que travaille chez un patron quel­conque l’anarchiste non « illégaliste », c’est-à-dire en s’appliquant à sauvegarder son intégrité intellectuelle et éthique ; l’Illégaliste bourgeois qui s’insoucie totale­ment du milieu social, du bien-être de ses compagnons, qui ne lutte pas contre l’Autorité sauf pour son cas tout spécial, qui « se débrouille » par tempérament sans plus.

Seul le premier nous intéresse réellement. Ce n’est point la profession, mais la mentalité, qui fait d’un individu : notre camarade.

La théorie illégaliste apparaît souriante à l’anar­chiste : lutte active contre les lois ; profits permettant une plus sérieuse propagande ; évasion de ces enfers abrutisseurs que sont l’usine et l’atelier ; plus de patron. Mais il faut bien comprendre que tout cela ne va pas sans de sérieux inconvénients. La société est trop bien organisée, trop anciennement policée pour qu’elle n’ait pas prévu cette porte de sortie pour les salariés. Aussi est-elle terriblement armée contre les réfractaires et féroce dans la répression.

Pour l’illégaliste, même avec des qualités et un tempé­rament extraordinaires, il y a infiniment plus de chan­ces pour qu’il ne réussisse pas que pour le succès de son entreprise. La conséquence, c’est l’échafaud par­fois ; la balle d’un policier souvent ; en tout cas c’est l’emprisonnement. Pour vivre plus libre, quatre murs ; pour bien vivre, du pain et de l’eau. Et la satisfaction ultime de cracher un dernier « blasphème » à la gueule de la société, ne vaut pas, certes, toutes les possibilités qui vont s’éteindre.

Mais l’illégaliste-anarchiste n’a pas agi à la légère ; il sait les risques, connaît bien son ennemi, se sent bon lutteur : il va.

I1 aura à terrasser un ennemi bien plus subtil que la police, s’il veut rester anarchiste. Comme toute fonction sous un régime autoritaire, l’illégalisme déforme son homme, lui donne des habitudes, des tendances, et il est évident que le passage de l’illégalisme-anarchiste à l’illégalisme-bourgeois est des plus aisés. Nous pensons cependant avec E. Armand, que « se placer sur le ter­rain de la «  déformation professionnelle » pour critiquer la pratique de l’illégalisme comme l’entendent les indi­vidualistes, n’est pas non plus ni très adroit, ni très concluant. L’individualiste qui a choisi comme pis-aller le travail exploitation subit une déformation profession­nelle aussi marquée que « l’illégal ». Se dissimuler sans cesse et toujours devant l’exploiteur, accepter, par crainte de perdre son emploi, tous les caprices, toutes les fantaisies de l’employeur, demeurer silencieux devant les actes d’arbitraire, de tromperie, de canaillerie dont on est témoin, de peur d’être mis à la porte de l’atelier ou du chantier où on travaille, tout cela crée des habitudes dont l’exploité n’a guère à faire étalage.

L’illégaliste-anarchiste est donc notre camarade, au même titre que l’anarchiste-ouvrier, l’anarchiste-écri­vain, l’anarchiste-conférencier, etc. Quand les anarchistes-moralitéistes auront révolutionné la société, ils seront tout surpris de trouver au premier rang des pro­ducteurs les illégalistes-anarchistes.

A. lapeyre

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