Olivier CUETO : la genèse des ECRITS de Jacob


Les Ecrits de Jacob, réédition 2004Avoir honte d’avoir honte.

Le nom d’Alexandre Marius Jacob m’est apparu la première fois au cours de recherches que je faisais pour constituer un petit recueil sur des bandits sociaux. En me promenant dans des librairies lyonnaises, je fis une halte à « Choc Corridor », où je trouvais quelques récits intéressants (entre autres le Clément Duval de Marianne Enckell) et où je tombais sur l’ouvrage d’Alain Sergent « Alexandre Marius Jacob, un anarchiste de la Belle Epoque ».

Olivier Cueto, éditions L\'InsomniaqueSon prix était fort élevé et je demandais malicieusement au libraire s’il ne voulait pas le baisser, pour éviter que je l’emprunte, malgré lui… Amusé, il me répondit qu’il voulait bien m’en faire cadeau à la condition que je fasse des recherches sur ce personnage qui n’avait eu jusque là que le triste bonheur de devenir un héros d’une fiction politique signé du journaliste Bernard Thomas. Il m’indiquait aussi que, si j’étais intéressé par cette proposition, il pouvait me donner l’adresse d’un couple de personnes qui avait fort bien connu Jacob quelques années avant sa mort et qui disposaient d’un fond d’archives épistolaires plus que conséquent. Je ne pouvais qu’accepter. Ce thème de bandit social me passionnait : démontrer que,malgré les théories « anarchistes » traditionnelles, la frontière entre l’illégalisme et la théorie révolutionnaire était souvent ténue était l’une de mes obsessions. Cela n’a d’ailleurs toujours pas changé. A la fois la rigueur d’un voleur qui ne change jamais de camp, qui, ne cède pas devant le vertige de l’argent et qui ne s’éprend pas des valeurs bourgeoises en amassant de plus en plus de richesses, et puis la fermeté d’un anarchiste qui choisit de sortir des ornières d’une vie rapidement tranquille et qui finit par théoriser sa propre impuissance en masquant tout cela derrière une pseudo-objectivité. Bonnot ne m’était pas aussi sympathique et Jean Grave m’exaspérait.

Pendant plusieurs mois, presque deux ans, je m’occupais de retrouver et de rencontrer ceux qui avaient pu connaître Marius Jacob de son vivant et qui pourraient avoir conserver des archives autour de ce personnage (lettres, documents, photographies…). Les recherches furent fructueuses : sans retracer tout le parcours, j’eus ainsi la joie de me rendre chez les époux Passas qui détenaient la quasi totalité des lettres que Jacob avaient envoyées à sa mère pendant sa réclusion au bagne de Cayenne, puis Pierre Valentin Berthier qui avait côtoyé Jacob après son installation dans le centre France, Denizeau ancien maire libertaire de Lussault sur Loire, Josette… Je me retrouvais ainsi devant une masse de documents de la main même de Jacob aussi intéressants qu’inédits.

Olivier Cueto, éditions L\'InsomniaqueBien que de formation universitaire, je n’avais pas envie de traiter cette histoire de cette façon. Il me fallait allier au mieux la conception d’un livre plaisant et le sérieux des recherches. Après avoir complété en partie les dernières recherches nécessaires (Bibliothèque nationale, les archives d’outremer, les différents fonds de documentation historique comme le CIRA à Lausanne, la BDIC à Nanterre, etc.), je commençais d’imaginer avec les amis de l’Insomniaque éditeur la façon de rende compte de tout ce qui avait été retrouvé.

Les Ecrits 1995Nous décidâmes de fabriquer deux livres et deux disques : dans les premiers, l’on trouverait les écrits mêmes de la main de Jacob, et les seconds serviraient à la narration « théâtrale » des documents que j’avais rassemblés, le tout agrémenté de chansons originales d’après des textes de l’époque (souvent des textes écrits par des amis de Jacob). La fabrication de cet ensemble fut encore un long moment partagé avec beaucoup de complices : entre la mise en page, la correction, l’impression, la mise en scène des saynètes, l’enregistrement des disques (musiques et textes)… tout cela dura quelques mois et concerna presque une centaine de personnes. L’édition fut un succès, non pas une réussite commerciale car nous avions choisi de vendre au prix coûtant l’ouvrage, mais le premier tirage à 3000 exemplaires fut très rapidemement épuisé, suite à de nombreux éloges dans l’ensemble des medias aussi bien officiels que militants. Quelques mois plus tard, nous faisions un nouveau tirage de 2000 exemplaires qui connut le même sort.

Olivier Cueto, éditions L\'Insomniaque Puis, faute de moyens, nous ne pûmes pendant quelques années que rééditer des morceaux choisis dans une petite collection de l’Insomniaque, A couteaux tirés. C’était certes mieux que rien mais guère satisfaisant. Nous savions qu’un jour il nous faudrait rééditer le tout. Il me restait un carton d’archives que les Passas m’avaient laissé, toujours intact ; plongé dans d’autres travaux, je n’avais pas eu le temps de me remettre à ce projet. Heureusement, nous rencontrâmes Jean-Marc, enseignant étudiant qui avait choisi Jacob et l’illégalisme comme sujet de thèse. Excellente idée. Je lui proposais alors de déchiffrer les derniers documents, ce qu’il fit avec un sérieux sans égal. Il apportait à l’ancienne édition la rigueur historique que nous n’avions pas eue, il continua à rechercher, à comparer, à conclure avec des documents que nous n’avions pas pris la peine de fouiller. Cela suffisait plus que largement à envisager une nouvelle édition augmentée des nouvelles données. Au delà des précisons fort importantes données par son travail, la rencontre avec Jean Marc a su redonner l’envie et le courage de remettre en librairie des Ecrits de Jacob toujours et plus que jamais d’actualité, lui qui s’est toujours battu contre le système d’exploitation capitaliste et plus précisément contre l’une de ses formes de répression, l’enfermement carcéral. L’Insomniaque, dès qu’il l’a pu, a toujours publié des textes contre la prison, contre toutes les prisons : le témoignage de Jacob en ce sens est unique, aussi bien d’un point de vue historique que politique, voire philosophique.

Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend.

Olivier Cueto, novembre 2005

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