L’HUMANITE 1951


L\'Huma, 1950, sans dateQuarante-six ans après le procès d’Amiens, L’Humanité évoque à nouveau Alexandre Jacob à l’occasion de la sortie d’Un anarchiste de la Belle Epoque. Nous ne savons pas la date exacte de cet article. L’organe officiel du parti communiste oublie de rappeler que son auteur, Alain Sergent, fréquenta assidûment avant guerre les rangs des moscovites de Saint Denis pour aller finalement rejoindre ceux du PPF puis du MSR. Il est vrai qu’avant guerre, Sergent s’appelait Mahé. Et si la feuille rouge apprécie néanmoins la prose du biographe, l’anarchisme de Jacob ne pouvait bien sûr qu’être d’opérette, négatif, sans valeur réelle, s’effaçant au profit de l’image d’un dangereux et inquiétant bandit, tueur de flic qui plus est. Passons alors vite sur l’entreprise illégaliste pour mieux retrouver un héros du bagne, un autre Chéri Bibi. Bref un papier qui autorise une dialectique journalistique et politique de sinistre mémoire, celle où le PCF vilipendait les chiens titistes et autres déviationnistes …Notons enfin un titre qui se passe de tout commentaire… La suite n’est qu’un compte-rendu des plus approximatifs … et des plus partisans.

 

Un anarchiste de la Belle EpoqueAlexandre Jacob, l’anarchiste de la belle époque est devenu un petit bourgeois après 15 ans de bagne

La « belle époque » ne fut pas seulement celle des gibus, des fiacres, des « tournures » et des tziganes moustachus. Elle fut aussi celle de l’anarchisme militant et dynamiteur. C’est ce que nous rappelle Alain Sergent dans l’ouvrage qu’il vient de consacrer à Alexandre Jacob, le plus curieux – sinon le plus célèbre – des révoltés qui s’attaquèrent à l’ordre social sous le règne (apparemment) paisibles de M.M. Sadi Carnot, Armand Fallières et Emile Loubet.

Alexandre Jacob, qui débuta comme mousse sur les derniers bateaux pirates, sut (quand même) mener sa barque puisque, âgé de 71 ans, il coule aujourd’hui la quiète existence d’un petit vieux bien propre : une bonne pipe, des lunettes de sénateur, une bibliothèque d’encyclopédiste et un inépuisable trésor d’expériences vécues…

            La « vocation » de Jacob eut pour responsable le sultan de Zanzibar, Victor Hugo et Frederic Nietzsche. Le premier lui apprit (par procuration) ce qu’était « l’exploitation de l’homme par l’homme » : le mousse Alexandre s’aperçut bientôt que la baleine théorique, qu’il devait prendre en chasse, était remplacée par du « bois d’ébène », beaucoup plus tangible. La lecture de Quatre-vingt-quinze se résuma pour lui dans cette formule clef : « ces trois parasites, le prêtre, le juge, le soldat ». Quant au philosophe de La Volonté de puissance, il retint de son enseignement que la règle d »e vie essentielle était : « deviens ce que tu es ».

            Le résultat de cette triple influence ne se fit pas attendre : à 24 ans, Jacob était condamné aux travaux forcés à perpétuité pour une série de vols qualifiés assortis du meurtre d’un agent et de la mise hors de combat de quelques autres. A l’audience, magistrats et jurés reconnurent vite que l’accusé n’était pas du modèle courant : ils durent subir, pendant une heure d’horloge, un discours manifeste.

            Après une série de considérations que la presse de l’époque qualifia soit de lieux communs éculés, soit d’anticipations géniales, la conclusion éclatait, brutale et vengeresse : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ».

L’homme le plus dangereux du bagne

            Dès la première minute, Jacob comprit ce qu’allait être sa vie au bagne : le prévôt qui lui servait la soupe cracha dans sa gamelle. Le condamné se maîtrisa mais jura de se venger : il attendit cinq ans mais « eut la peau » de l’homme.

La soupe de Jacob devait connaître bientôt une épreuve plus redoutable. Les bagnards avaient pour habitude de dissimuler dans la plus naturelle des cachettes un coffre-fort miniature, renfermant le petit nécessaire du candidat à l’évasion : quelque menue monnaie, une lime, un tournevis, etc. Le contenant s’appelait « le plan » et le contenu « la débrouille ». Un jour, Jacob fut « donné » par l’un de ses compagnons de chiourme, nommé Capeletti. Le donneur, se sentant découvert, résolut d’empoisonner jacob qui, averti à temps par un autre bagnard, régla prestement son compte à Capeletti. C’était la condamnation à mort certaine. Jacob demanda à l’administration pénitentiaire de faire analyser le contenu de sa gamelle. Le gardien-chef, qui avait des raisons d’en vouloir à « l’homme le plus dangereux du bagne », substitua du bouillon de bœuf à la soupe de lentilles. L’analyse, évidemment, ne donna rien, mais Jacob sut découvrir la machination et, au lieu de la guillotine, récolta le cachot.

            Un cachot très particulier, à vrai dire : pas de plafond, des barreaux pour permettre une surveillance de tous les instants. Dix heures de travail par jour à fabriquer des balais. Ou, afin d’obtenir « le harassement moral », à gratter des briques pour obtenir 33 cl par jour. Le séjour en cellule se terminait normalement par l’hôpital. Jacob, qui y resta quarante-quatre mois, descendit jusqu’à 40 kilos, mais tint le coup grâce à l’espoir de « la Belle » qui ne cessait de briller en lui.

            A vingt reprises, il tenta l’évasion. La dernière fois en 1917. proftant du soupçon de liberté que la guerre lui avait valu, il fabriqua cinq flotteur et se procura 5 grammes de chlorydrate de morphine, qu’il dissimula dans son « plan ». La nuit N, il scie les barreaux pendant qu’un camarade joue de la mandoline. Il neutralise un porte-clefs, court chercher ses flotteurs, se les assujettit, découvre une pagaie et se jette à l’eau. Pendant trois heures, le fugitif se débat sur une mer glacée. Puis, épuisé de fatigue, perd connaissance. Il se retrouve sur un rocher. Il ne lui reste plus qu’à se constituer prisonnier.

Plutôt la lèpre que le cachot

            C’est alors que le chlorydrate entre en action : le bagnard tombe en catalepsie. Ne pouvant plus bouger un doigt, ayant perdu la vue mais conservé l’ouie, il entend le médecin dire. « Il est fichu, portez-le à l’amphithéâtre ». les choses se présentent comme l’avait calculé Jacob. Un léger ennui pourtant : cet « amphithéâtre » est un frigorifique. Heureusement, le médecin se ravise et fait transporter le captif à l’hôpital. Après un traitement énergique, Jacob est ramené dans sa cellule. Le chlorydrate ne lui a pas fait perdre l’esprit. Il y a un article de loi datant de 1862 et qu’il est sans doute le seul à se rappeler : pour qu’il y ait tentative d’évasion, il faut une absence minimum de douze heures…

            Si, après toutes ces aventures, Jacob réussit au bout de quinze ans de bagne, à retrouver le ciel de la liberté, c’est grâce à sa vieille mère qui lutta sans relâche auprès des pouvoirs publics pour obtenir la grâce de « son petit ». En 1925, l’ancien chef des « travailleurs de la nuit » devenait un honnête citoyen. Sous les espèces d’un marchand ambulant sur les marchés de banlieue.

            Les bonnes ménagères et les inoffensifs bricoleurs, qui lui achetaient des lacets, du coton à repriser, des clous X et de la seccotine, ne se doutaient pas que, sous ce crâne débonnaire et blanchi, continuaient à s’agitaient les plus hallucinants souvenirs : « La faim …, les boulettes de mie de pain décollées des trous à punaises …, les ragoûts de bananes vertes fricassées avec le cambouis raclé sur les tombereaux …, cet énorme crapaud remonté par hasard du puit, qu’il avait eu tant de mal à tuer, et dont la chair, devenue violette, était puante et immangeable …, La maladie recherchée parfois, comme lorsque voulant soritr du tombeau à n’importe quel prix , il plaçait des croûtes dans le trou de  rats et les mangeait ensuite pour attraper la lèpre … ».

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