Mes tombeaux 21


Les Allobroges

7ème année, n° 1294,

samedi 21 – dimanche 22 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XX

Un tronc de bananier pour figurant, le condamné à mort assistait à la répétition de son supplice

LA GUILLOTINE

Une douzaine de condamnations à mort étaient prononcées bon an mal an par le Tribunal Maritime spécial. Elle se trouvaient dans le cas d’être suivies d’exécution dans 1a proportion de la moitié, environ.

Du jour de la sentence à celui de l’expiation, il s’écoulait de longs mois. Et si le jugement venait à être cassé, puis confirmé à nouveau, ce qui était assez fréquent – alors il fallait compter bien davantage, au moins deux ans, de l’anxiété au calme, du doute à la désespérance.

Pour l’encourager, pour éviter du même coup que la machine ne se rouille, des simulacres d’exécution avaient lieu dans la cour du quartier spécial de St-Laurent, à dix mètres de sa cellule.

Le bourreau et ses aides montaient la « veuve » sur les cinq pierres plates enfoncées au niveau du sol. Un tronc de bananier figurant le condamné était introduit dans la lunette ; le déclic jouait et le tronc en question était tranché net.

La répétition était terminée. Le condamné qui, lui, n’était pas figuratif, n’avait qu’à grimper à sa fenêtre pour se donner une idée de ce que ça serait un jour prochain…

La machine démontée, était remisée dans la cellule voisine de celle occupée par l’intéressé.

De pareilles choses sont presque incroyables ; elle dénotent les mœurs grandguignolesques d’une Administration au-dessous de tout.

Le bourreau était choisi entre les transportés, parmi les postulants qui avaient fait acte de candidature – car c’était une place recherchée par les salopards. Proposé par l’Administration, il était nominé par le Ministre, Un décret inséré au « J. O. » consacrait cette nomination. C’était donc un personnage avec lequel il fallait compter. Habillé en civil, logé dans un pavillon particulier, bien nourri et bien payé, quand les têtes tombaient, il se laissait vivre.

Jusqu’au jour où une petite pincée d’une certaine poudre végétale ouvrait sa succession… C’était là les risques du métier.

L’émule de Deibler avait le privilège de choisir lui-même ses aides.

Il arrivait un moment où l’on préjugeait que le sort d’un condamné aillait être fixé La décision présidentielle relative au recours en grâce, pièce authentique, ne pouvait être acheminée que par le courrier. On ne se fiait pas à la voie des airs, de crainte d’un accident possible.

Aussi lorsque le courrier de France était annoncé, une certaine effervescence se manifestait dans les milieux pénitentiaires. Et le condamné lui-même, en entendant le mugissement de la sirène, se trouvait comme sur des charbons ardents.

Le dernier jour du condamné arrivait.

Les autorités avaient été avisées par le Commissaire du gouvernement, remplissant les fonctions du Ministère Public auprès du Tribunal spécial.

Un prêtre se disposait à remplir sa mission consolatrice.

Un sac de sciure de bois avait été préparé.

Dans la nuit noire, le bourreau et ses aides s’affairaient pour l’œuvre de mort. A petits coups de maillet en bois, ils assujettissaient les différentes pièces de la guillotine – dûment numérotées.

Le condamné savait à quoi s’en tenir. Quand on lui annoncerait à l’aube naissante, que son pourvoi était rejeté, on ne lui apprendrait rien de nouveau !… Depuis minuit, en effet, il avait perçu le déroulement des sinistres préparatifs : l’ouverture de la cellule voisine, le transport des pièces, les coups de maillet. Enfin, on ouvre sa porte. On lui relit la sentence, on lui signifie le rejet du recours en grâce. Quelques mots d’encouragement : ce n’est qu’un mauvais moment à passer… Mais ce moment dure depuis si longtemps.

Le prêtre s’avance. Il en a l’habitude.

Il sait que le condamné ne le considérera que comme un homme venu pour lui serrer la main avant de mourir.

Ensuite, l’agonisant (car c’en est un) trace quelques lignes pour sa vieille mère, puis le bourreau lui fait sa dernière toilette. Veut-il une cigarette, un verre d’alcool ? Il accepte Veut-il manger ? Non, il n’en a pas le cœur… Tout est prêt. On n’attend plus que lui. A quelques pas, l’échafaud est dressé. Les autorités ont pris place à proximité ; des soldats en armes montent la faction, l’arme au pied.

Pas de condamnés, mais ces derniers, grimpés sur les fenêtres, ne perdent rien de la scène sanglante.

Le bourreau est à son poste, debout sur la machine de mort. Entre les deux aides, le condamné s’avance lentement, les jambes entravées et les mains liées. Un double commandement retentit : « Portez, armes ! Présentez, armes ! ».

Tout le monde se découvre : hommage émouvant adressé à celui qui va payer sa dette de la vie.

Maintenant, tout se précipite.

Les aides ont poussé le corps sur la bascule ; la demi-lune supérieure, à rainure, de la lunette se referme. Le bourreau appuie sur le déclic.

On entend le bruit sourd du couperet qui s’abat.

La tête tombe, le sang gicle tout alentour.

C’est fini. Un meurtre légal vient d’être consommé.

(A suivre)

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