Libérez Jacob Law !


Le cas de Jacob Law, condamné en 1907 à quinze ans de travaux forcés par la cour d’Assises de la Seine pour avoir tiré quelques coup de feu sur la soldatesque qui chargeait les manifestants parisiens du 1er mai, est révélateur de la répression de l’anarchie et du mouvement social à plus d’un titre. En 2013, les éditions de La Pigne rééditait son livre de souvenirs de l’enfer carcéral et colonial publié en 1926 aux éditions de l’Insurgés. Dix-Huit ans de bagne avait déjà été réédité par les éditions Ergégores en 2005. Mais la préface que donne l’historienne Claire Auzias pour le livre de La Pigne permettait huit ans plus tard d’éclairer le personnage et d’expliquer ses écrits de souffrance. On peut alors y apprendre que si les compagnons français de l’anarchiste n’ont pas daigné se déplacer à son procès, ils ne l’ont pas laissé tomber pour autant et dès son incarcération un réseau de solidarité se met en place :

« En 1909, une loi étant intervenue en France, Jacob Law et son défenseur maître Landowski demandent à bénéficier de l’amnistie annoncée. La démarche n’aboutit pas. Le 1er décembre 1909, Miguel Almeyreda, écrit dans La Guerre sociale : « La loi d’amnistie de février 1909 comprend tous les délits commis antérieurement au dépôt du projet. L’amnistie s’appliquait donc de droit à Law ». Et le publiciste d’exhorter l’opinion radicale à mener campagne en faveur du bagnard. Abraham Lew écrit à son fils : « Ne t’inquiète pas, cher fils, nous sommes tes parents et nous devons te donner tout ce qui t’est nécessaire, d’autant plus que nous faisons de  bonnes affaires en ce moment. Notre avocat nous donne bon espoir. Ta mère est allée deux fois à Paris ».  Sobel espère en effet obtenir une autorisation de venir voir son fils. Fin décembre 1909, l’administration pénitentiaire écrit à sa hiérarchie politique : « Law fait partie de la secte des anarchistes »[1].

On se croirait sous Hassan I Sabbah ! A cette époque, une pièce d’or a été saisie dans une lettre et déposée au pécule de Jacob Law.

Le 19 octobre 1910, le procureur général de la cour d’appel de Paris rejette la requête d’amnistie. Les autorités pénitentiaires se sentant confirmées, y vont de leur tour de vis supplémentaire : « Le condamné doit correspondre avec sa famille en français. Toutes les autres langues seront rejetées ». Son courrier est deux fois plus lent que celui d’un ba-gnard ordinaire car il écrit en langue inconnue en Guyane. D’abord, il  écrit en yiddish, nommé avec mépris « jargon juif judéo-allemand » par le tra-ducteur des langues orientales. Puis l’administration le somma de se conformer aux usages. Law utilise le russe car sa famille ne parle pas français et les mis-sives transitent par le ministère des Colonies qui les fait traduire par un  connaisseur de l’Institut des langues orientales. L’ensemble est lourd. Le 29 janvier 1911, Jacob écrit à son frère Moïse « J’ai reçu quatre lettres après une attente de six mois. » L’amnistie rejetée, Jacob Law et Landowski de-mandent la révision du procès.

Cette démarche  dura deux années, et offrit un sursis de traitement  allégé à Law. »

De toute évidence Jacob Law aurait dû bénéficier de la loi d’amnistie votée en février 1909. Une campagne de libération se met en place à la suite de cette loi. Un meeting, organisé à Paris le 9 juillet par la CGT notamment, révèle que l’agitation sociale est à son comble dans la capitale. Gustave Hervé, un des conférenciers, réclame comme les autres la libération des manifestants incarcérés pour faits de grèves. Parmi eux, Jacob Law. Mais la réunion tourne au pugilat lorsqu’apparait le commissaire Goulier qui doit prendre sur lui toute la répression du mouvement social orchestré depuis trois ans par le ministre de l’Intérieur puis Président du Conseil Georges Clémenceau. La demande de mise en liberté du jeune anarchiste juif russe était vouée à l’échec et, en vertu de la loi de 1854 qui institue le doublage de la peine, celle-ci devenait donc perpétuelle. Law devait en théorie finir sa vie en Guyane. Il est libéré en 1925 à la suite d’une autre campagne de libération. Les conditions avaient changé. Albert Londres et son reportage avaient fait leur effet sur l’opinion publique.

Le Journal

10 juillet 1909

Meeting à Tivoli

Le commissaire est expulsé !

De vifs incidents ont marqué le meeting organisé, cette nuit, par le comité de Dé­fense sociale, afin de protester contre l’incarcération de plusieurs militants révo­lutionnaires. Le commissaire de police a dû, devant les huées de la foule, quitter précipitamment la salle.

M. Lamarque, l’agent révoqué du Paris-Contral, avait pris, le premier, la parole et exposé longuement le but du syndicat des P.T.T, actuellement l’objet de pour­suites judiciaires, et pour lequel il récla­me le bénéfice de la loi de 1884.

–       Les politiciens, a-t-il dit, n’ont pas tenu leur parole. Nous les remplacerons par n’importe qui. L’essentiel est de les mettre à la porte.

A son tour, M. Le Gléo, postier révoqué, proclama l’union indissoluble du proléta­riat administratif et du prolétariat ou­vrier contre les parlementaires. Il ajouta :

–       On ne respecte plus rien, même plus les députés. Je souhaite que, demain, un tribunal nous condamne pour que nous perdions aussi le respect de la légalité.

D’un ton mordant, M. Jouhaux, de la C.G.T., fit ensuite le procès de ce qu’il appela « le régime d’exactions policières, sous lequel on peut emprisonner de braves gens parce qu’ils disent des vérités dures à entendre ». Le cas de M. Branquet, con­damné, l’an dernier, à trois ans de prison, au lendemain des événements tragiques de Villeneuve-Saint-Georges, retint ensuite son attention, et il lit un appel énergique en faveur de l’organisation révolutionnaire.

Après M. Delpech, de la commission ad­ministrative de la Bourse du Travail, qui préconisa la création de comités secrets où l’on prendrait les décisions nécessaires à l’action révolutionnaire, M. Bruhaux s’apprêtait à prononcer un discours, quand un violent tumulte éclata dans le fond de la salle.

Il était provoqué par la présence de M. Goulier, commissaire de police. Ce fut, pendant quelques minutes, un vacarme as­sourdissant, où les coups de sifflet répon­daient aux cris de : « Hou ! hou ! A la porte ! » C’est en vain que M. Chastenet, président, de séance, agitait sa sonnette, et que M. Delpech, de la Bourse du Tra­vail, essayait de fendre les rangs de la foule pour arriver auprès du commissaire, que certains tentaient de molester.

–  De commissaire à la tribune ! criait- on de toutes parts.

Le tapage augmentait d’intensité, quand on aperçut un remous dans la salle. M. Goulier se dirigeait vers la porte de sor­tie. Il fut aussitôt entouré et bousculé. Dans la mêlée, son lorgnon, qui venait d’être brisé, tomba. Plusieurs poings s’a­battirent sur son chapeau. Le magistrat, qui portait au visage quelques égratignures, put enfin se dégager et gagner la porte.

L’apparition de M. Gustave Hervé à la tribune rétablit un silence relatif.

–          Quand on attaque, déclare-t-il, un gouvernement en face, quand on le blesse à la prunelle, les étiquettes ne comptent plus, et un gouvernement républicain agit comme un gouvernement impérial. Un cer­tain frémissement agite, maintenant, la masse, qui se laissait bercer par la musi­que du Parlement.

Après avoir loué le dernier mouvement du personnel des postes, M. Gustave Hervé conseilla, lui aussi, l’organisation de so­ciétés secrètes et, en termes véhéments, lit appel à l’énergie agissante du peuple :

–          Le moment est aux actes, termina- t-il. Assez de mots ! Assez de discours ! L’heure de l’action approche…

MM. de Marmande, du comité de Défense sociale, Simonnet, postier, révoqué, et Me Jacques Bonzon clôturèrent la série des discours.

L’ordre du jour suivant fut adopté à l’unanimité :

« Les citoyens réunis le 9 juillet 1909, à la salle du Tivoli-Vauxhall, affirment leur profond dégoût pour les basses manœuvres policières du gouvernement clémenciste et s’engagent à employer tous les moyens pos­sibles afin d’obtenir la liberté des camarades révolutionnaires détenus dans les geô­les de la troisième République et, notam­ment, des condamnés pour faits de grève, tels que Branquet et Jacob Law. »

C’est au chant de L’Internationale que la sortie s’effectua, au milieu d’une vive ani­mation. D’importantes forces de police, massées rue de la Douane, n’eurent cepen­dant pas à intervenir.

Gil Blas

13 janvier 1910

Requête au Président du Conseil

On se souvient d’Israël Lew, dit Jacob Law, ce jeune israélite russe qui, le 1er mai 1907, tira trois coups de revolver, du haut d’un omnibus, sans blesser personne, sur les soldats du service d’ordre, place de la République, et qui, le 11 octobre suivant, fut condamné par la cour d’assises de la Seine à 15 ans de travaux forcés.

Or, hier, son défenseur, Me Benjamin Landowski a adressé à M. Briand, président du conseil et ministre de l’intérieur, une lettre par laquelle il sollicite, en faveur de Law, le bénéfice de la loi d’amnistie de février 1909, qui vise tous les délits de grèves et faits connexes commis antérieure­ment au dépôt du projet, et partant, la mise en liberté du jeune anarchiste russe.


[1] Claire Auzias, préface de Jacob Law, Dix-Huit ans de bagne, Editions de La Pigne, réédition 2013.

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