Le temps de fait rien à l’affaire …


Une apparence ordinaire, un butin de cinq millions de francs, une formidable bande de cambrioleurs, un homme revenu de tout, de la guillotine, du bagne et même de cette anarchie dont il aurait été viscéralement attachée. Restent quelques copains, dont un travaillant au Canard Enchaîné, et un dernier et passionné amour avant de se suicider. N’oublions pas non plus un prénom suffisamment méridional pour susciter l’exotisme en plein centre de la France. Là, on pourrait nous objecter qu’à Reuilly, on ne connaissait guère le vieux marchand forain que sous cette enseigne. Marius Jacob reste d’autant plus facilement une légende qu’il permet de nourrir son lot de journalistes berrichons – ou autres. Faute de pouvoir sauter sur Kolwezi dans un pays « où il ne se passe rien », l’honnête localier nourri aux bons gros stéréotypes peut alors profiter de n’importe quel évènement pour rappeler aux indigènes vivant dans cette zone de non droit historique qui était vraiment le vieil et paisible ermite de Bois Saint Denis souvent assis sur un banc devant sa maisonnée. Emmanuel Bédu de la Nouvelle République connait son métier et, lorsque l’acteur Georges Descrières – celui qui, dans les années 1970, contribua à populariser à la télévicon le gentleman de Maurice Leblanc – meurt le 19 octobre 2013, il ne lui en fallait pas tant pour pondre un papier de légende. De légende ? Un véritable morceau d’anthologie de la lupinose d’expression française plutôt. Car si la célébrité trépassée « a laissé une trace cinématographique », le héros du cru demeure quant à lui un mythe que l’auteur affirme vrai. Le problème avec les mythes, c’est qu’ils font des trous dans la réalité. Génération Lupin ? Le temps ne fait rien à l’affaire.

Indre patrimoine

Marius-Alexandre Jacob : génération Lupin

Nouvelle République

01/11/2013

Les gentlemen cambrioleurs, vrais et faux, s’éclipsent. Georges Descrières mort le 19 octobre, a laissé une trace cinématographique. Jacob, un mythe.

« A l’époque où le feuilleton passait à la télévision, je recevais des lettres de gens me demandant d’intervenir pour que leur pension leur soit payée. Comme si j’étais réellement le justicier Lupin », racontait Georges Descrières, dans les années 80. Heureux comédien, décédé le 19 octobre, qui avait commencé sa carrière en 1954, l’année même où Marius-Alexandre Jacob avait décidé d’en finir avec la vie. Le gentleman cambrioleur disparaissait. Son double naissait et fera vivre une partie de sa mémoire sur le petit écran, dans les années 70.

Les deux hommes ne se sont donc jamais rencontrés. Maurice Leblanc est l’artisan de leur virtuelle rencontre. Le journaliste, qu’il était alors, suivit le procès de l’anarchiste-libertaire, Marius Jacob, qui signait ses méfaits du nom d’Attila. Auteur de plus de 150 cambriolages avec sa bande, nommée La Brigade des « Travailleurs de la nuit », il comparut au tribunal d’Amiens. L’affaire fit grand bruit et toute la presse était au rendez-vous. Marius Jacob n’était pas un cambrioleur comme les autres. Il volait aux riches pour redonner aux pauvres et à la cause anarchiste qu’il défendra toute sa vie. « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend ! », écrivait-il. Une légende était née.
Une légende qui avait tué, au passage, un policier et qui n’eut pas la tête tranchée, par on ne sait quel miracle judiciaire. Direction le bagne de Cayenne. Celui dont on ne revient jamais. L’an 1905 lui était fatal, croyait-on. La même année, Maurice Leblanc inventait Arsène Lupin, un monte-en-l’air, habillé comme un quidam, qui n’avait en rien l’allure d’un homme de la haute avec ses frac, monocle, canne, huit-reflets… L’homme était d’apparence d’ordinaire. Comme Jacob. « Il était petit, corpulent et musclé et, surtout, il avait des yeux très noirs. Ils étaient perçants. Magnifiques ! », se souvient sa dernière compagne, Josette, qui a partagé sa dernière année. Josette avait 27 ans et Marius, 74 ans. Un amour fou naissait après vingt années de bagne, sous le matricule 34477, et quelques lustres passés à arpenter les marchés avec son étal de bonneterie. C’est à Reuilly qu’il avait décidé de s’installer, « le pays où il ne passe jamais rien ».

«  On s’est beaucoup aimé  »

C’est là, dans l’Indre, qu’il avait mis ses idées aux repos, celles-là même qu’il lançait avec force et aisance devant ses juges : « Si je me suis livré au vol, ça n’a pas été une question de gains, de livres, mais une question de principe, de droit. J’ai préféré conserver ma liberté, mon indépendance, ma dignité d’homme, que me faire l’artisan de la fortune d’un maître. » Une idéologie qui ne cessa de l’habiter, lui qui se dira, plus tard, déçu des anarchistes.
Josette et son mari, tous deux enseignants, étaient à ses yeux, avec quelques amis, dont Robert Treno, directeur du Canard enchaîné, les seuls survivants de cette cause. Libertaires, ils trouvaient en la personne de Marius un maître. « C’était un homme surhumain, confie Josette, du haut de ses 86 ans. J’ai été conquise par son intelligence et son humour. Oui, on s’est beaucoup aimé. Nous considérions que l’amour ne devait pas rester enfermé dans le cercle de deux bras. »
Lors de son procès, constitué de 25.000 pièces au dossier, il fut établi qu’il avait dérobé l’équivalent de cinq millions de francs (à titre de comparaison, un menuisier gagnait 300 francs par mois). Il n’en restait rien. Tout avait été redistribué. « Il aimait raconter aussi ses histoires comme le jour où il se rendit compte qu’il était en train de cambrioler l’écrivain Pierre Loti. Il remit tout avec un petit mot : je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. PS : ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé. » Signé : Attila. Lupin était né.

Emmanuel Bédu

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2 commentaires pour “Le temps de fait rien à l’affaire …”

  1. Clement Duval dit :

    La lupinose encore et toujours ! Le ridicule n’a pas de limite ……

  2. JMD dit :

    A la NR, la chose est récurrente et c’est bien dommage. A croire que leur source reuilloise est déficiente. 🙂

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