Sylvain le rebelle a chopé la lupinose


Réaliser une anthologie n’est pas chose aisée. L’opération nécessite forcément de faire des choix. En 2012, la Société Editrice du Monde publiait une série de dix-huit volumes consacrés aux Rebelles. Vaste programme dont on a pu voir deux ans après, aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois, journées inaugurées par le très réactionnaire Marcel Gauchet, combien le mot, aussi polysémique soit-il, peut donner lieu à un nombre incroyable de manipulations et de récupérations plus ou moins politiques, plus ou moins commerciales. Le rebelle fait vendre et la collection du Monde fut dirigée par Jean-Noël Jeanneney. Victo Hugo devenait … un rebelle. Jean Jaurès, Georges Clémenceau itou. Léon Blum aussi et les jansésistes, ceux-là même dont les boyaux du dernier pouvait servir à étrangler le dernier des jésuites, figuraient encore dans la listes consacrée à ceux qui ont un jour rompu avec les accommodements, les mensonges ou les préjugés de leur temps pour faire de leur vie un combat. Tout est, bien évidemment question de définition du terme rebelle mais le premier lecteur venu peut aisément comprendre que les anarchistes figurassent en bonne position dans cette collection. Le volume 4 leur est consacrés. Sylvain Boulouque, auteur en 2003 des Anarchistes français face aux guerres coloniales à l’Atelier de Création Libertaire, s’est attaché à la périlleuse entreprise. Chaque texte, de Proudhon aux Bérurier Noir en passant par Bakounine, Kropotkine, Louise Michel, Jean Grave, Émile Pouget, Sébastien Faure, Georges Brassens ou Léo Ferré, est accompagnée d’une succincte présentation de son auteur et c’est bien souvent là où le bât blesse. Qui a-t-on choisi pour illustrer l’illégalisme ? Devinez ! Devinez ! Qui est ce personnage, bien connu de nos jacoblogueurs et jacoblogueuses, à l’état-civil inversé et dont la première partie de la vie (…) a inspiré … ? Devinez ! Devinez ! Sylvain, historien – ici approximatif – mais aussi collaborateur au très libéral think tank Fondapol, a chopé la lupinose.

Les anarchistes

Ni dieu ni maître

Société éditrice du Monde, collection Les rebelles

Paris, 2012, p.113-117

Marius Alexandre Jacob (1879-1954)

Le vol comme restitution

La première partie de la vie de Marius Alexandre Jacob a inspiré à Maurice Leblanc son héros Arsène Lupin. Jacob s’engage dans la marine comme mousse et, revenu d’un voyage en Australie, découvre l’anarchisme, qui entre alors dans la période de la propagande par le fait. Il participe  un groupe libertaire fabriquant des explosifs. Il se lance dans la « reprise individuelle », une nouvelle forme d’illégalisme prônant la récupération de la richesse chez les antis à des fins de redistribution aux plus besogneux. Condamné à la prison, il parvient à s’évader, simulant la folie. Il commet des centaines de cambriolages, déployant des trésors d’imagination qui défrayent la chronique. De nouveau arrêté en 1903, il est condamné au bagne et envoyé  Cayenne, d’où il tente plusieurs fois de s’évader. Albert Londres, dans son enquête sur les bagnes, y décrit sa condition de détenu. Libéré, Jacob rejoint la métropole et participe aux activités de groupes anarchistes jusqu’à sa mort volontaire, refusant que la maladie et la vieillesse l’emportent.

Sa déclaration lors de son procès s’inscrit dans la pure tradition anarchiste. Revendiquant devant ses juges son mépris de la loi, Jacob décrit une justice arbitraire, au service de l’ordre bourgeois, et revendique le vol comme « reprise de possession » des plus démunis. Germinal, l’hebdomadaire libertaire d’Amiens, titre à cette occasion : « Marius Jacob devant nos ennemis ».

Messieurs,

Vous savez maintenant qui je suis : un révolté vivant du produit des cambriolages. De plus, j’ai incendié plusieurs hôtels et défendu ma liberté contre l’agression des agents du pouvoir. J’ai mis à nu toute mon existence de lutte, je la soumets comme un problème à vos intelligences. Ne reconnaissant à personne le droit de me juger, je n’implore ni pardon ni indulgence. Je ne sollicite pas ceux que je méprise et que je hais. Vous êtes les plus forts ! Disposez de moi comme vous l’entendez ; envoyez-moi au bagne, à l’échafaud, peu m’importe ! Mais avant de nous séparer laissez-moi vous dire un dernier mot.

Puisque vous me reprochez surtout d’être un voleur, il est utile de définir ce qu’est le vol.

A mon avis, le vol est un besoin de prendre que ressent tout homme pour satisfaire ses appétits. Or ce besoin se manifeste en toute chose depuis les astres qui naissent et qui meurent pareils à des êtres jusqu’à l’insecte qui évolue dans l’espace, si petit, si infime que nos yeux ont de la peine à le distinguer. La vie n’est que vols et massacres. Les plantes, les bêtes s’entre-dévorent pour subsister. L’un ne naît que pour servir de pâture à l’autre ; malgré le degrés de civilisation, de perfectibilité pour mieux dire, où il est arrivé, l’homme ne faillit pas à cette loi ; il ne peut s’y sous traire sous peine de mort. Il tue et les plantes et les bêtes pour s’en nourrir. Roi des animaux, il est insatiable. Outre les objets alimentaires qui lui assurent la vie, l’homme se nourrit aussi d’air, d’eau et de lumière.

Or, a-t-on jamais vu deux hommes se quereller, s’égorger pour la partage de ces aliments ? Pas que je sache. Cependant, ce sont les plus précieux, sans lesquels un homme ne peut vivre. On peut demeurer plusieurs jours sans absorber de substances pour lesquelles nous nous faisons esclaves. Peut-on en faire autant de l’air ? Pas même un quart d’heure ! L’eau compte pour trois quarts du poids de notre organisme et est indispensable pour entretenir l’élasticité de nos tissus ; sans la chaleur, sans le soleil, la vie serait tout à fait impossible.

Or tout homme prend, vole ces aliments. Lui en fait-on un crime, un délit ? Non, certes ! Pourquoi réserve-t-on le reste ? Parce que ce reste exige une dépense d’effort, une somme de travail. Mais le travail est le propre d’une société, c’est à dire l’association de tous les individus pour conquérir, avec peu d’efforts, beaucoup de bien être. Est-ce bien là l’image de ce qui existe ? Vos institutions sont-elles basées sur un tel mode d’organisation ? La vérité démontre le contraire. Plus un homme travaille, moins il gagne ; moins il produit, plus il bénéficie. Le mérite n’est donc pas considéré. Les audacieux seuls s’emparent du pouvoir et s’empressent de légaliser leurs rapines. Du haut en bas de l’échelle sociale, tout n’est que friponnerie d’une part et idiotie de l’autre. Comment voulez-vous que, pénétré de ces vérités, j’aie respecté un tel état de choses ?

Un marchand d’alcool, un patron de bordel s’enrichit alors qu’un homme de génie va crever de misère sur un grabat d’hôpital. Le boulanger qui pétrit le pain en manque ; le cordonnier qui confectionne des milliers de chaussures montre ses orteils ; le tisserand qui fabrique des stocks de vêtements n’en a pas pour se couvrir ; le maçon qui construit des châteaux et des palais manque d’air dans un infect taudis. Ceux qui produisent tout n’ont rien et ceux qui ne produisent rien ont tout. Un tel état des choses ne peut que produire l’antagonisme entre les classes laborieuses et les classes possédantes c’est à dire fainéantes. La lutte surgit et la haine porte ses coups.

Vous appelez un homme « voleur » et « bandit », vous appliquez contre lui les rigueurs de la loi sans vous demander s’il pouvait être autre chose. A-t-on jamais vu un rentier se faire cambrioleur ? J’avoue ne pas en connaître. Moi qui ne suis ni rentier ni propriétaire, qui ne suis qu’un homme ne possédant que ses bras et son cerveau pour assurer sa conservation, il m’a fallu tenir une autre conduite. La société ne m’accordait que trois moyens d’existence : le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plaît. L’homme ne peut même pas se passer de travailler ; ses muscles, son cerveau possèdent une somme d’énergie à dépenser. Ce qui m’a répugné, c’est de suer sang et eau pour l’aumône d’un salaire, c’est de créer des richesses dont j’aurais été frustré. En un mot, il m’a répugné de me livrer à la prostitution du travail. La mendicité, c’est l’avilissement, la négation de toute dignité. Tout homme a droit au banquet de la vie.

Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend.

Le vol, c’est la restitution, la reprise de possession. Plutôt que d’être cloîtré dans une usine, comme dans un bagne, plutôt que de mendier ce à quoi j’avais droit, j’ai préféré m’insurger et combattre pieds à pieds mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens. Certes, je conçois que vous auriez préféré que je me soumisse à vos lois ; qu’ouvrier docile avachi j’eusse créé des richesses en échange d’un salaire dérisoire et, lorsque le corps usé et le cerveau abêti, je m’en fusse crever au coin d’une rue. Alors vous ne m’appelleriez pas « bandit cynique » mais « honnête ouvrier ». Usant de la flatterie, vous m’auriez accordé la médaille du travail. Les prêtres promettent un paradis à leurs dupes ; vous, vous êtes abstraits, vous leurs offrez un chiffon de papier.

Je vous remercie beaucoup de tant de bonté, de tant de gratitude Messieurs. Je préfère être un cynique conscient de mes droits qu’un automate, qu’une cariatide.

Dès que j’eus possession de ma conscience, je me livrai au vol sans aucun scrupule. Je ne coupe pas dans votre prétendue morale, qui prône le respect de la propriété comme une vertu, alors qu’en réalité il n’y a de pires voleurs que les propriétaires.

Estimez-vous heureux, Messieurs, que ce préjugé ait pris racine dans le peuple car c’est là votre meilleur gendarme. Connaissant l’impuissance de la loi, de la force pour mieux dire, vous en avez fait le plus solide de vos protecteurs. Mais prenez garde, tout n’a qu’un temps. Tout ce qui est construit, édifié par la ruse et par la force, la ruse et la force peuvent le démolir.

Le peuple évolue tous les jours. Voyez-vous qu’instruits de ces vérités, conscients de leurs droits, tous les meurt-de-faim, tous les gueux, en un mot toutes vos victimes, s’armant d’une pince monseigneur aillent livrer l’assaut à vos demeures pour reprendre leurs richesses, qu’ils ont créées et que vous avez volées ? Croyez-vous qu’ils en seraient plus malheureux ? J’ai l’idée du contraire. S’ils y réfléchissaient bien, ils préféreraient courir tous les risques plutôt que de vous engraisser en gémissant dans la misère. La prison … Le bagne … L’échafaud ! dira-t-on. Mais que sont ces perspectives en comparaison d’une vie d’abruti, faite de toutes les souffrances ? Le mineur qui dispute son pain aux entrailles de la terre, ne voyant jamais luire le soleil, peut périr d’un instant à l’autre, victime d’une explosion ; le couvreur qui pérégrine sur les toitures peut faire une chute et se réduire en miettes ; le marin connaît tous les jours son départ mais il ignore s’il reviendra au port. Bon nombre d’autres ouvriers contractent des maladies fatales dans l’exercice de leur métier, s’épuisent, s’empoisonnent, se tuent à créer pour vous ; il n’est pas jusqu’aux gendarmes, aux policiers, vos valets qui, pour un os que vous leur donnez à manger, trouvent parfois la mort dans la lutte qu’ils entreprennent contre vos ennemis.

Entêtés dans vos égoïsmes étroits, vous demeurez sceptique à l’égard de cette vision, n’est-ce pas ? Le peuple a peur, semblez-vous dire. Nous le gouvernons par la crainte de la répression ; s’il crie, nous le jetterons en prison ; s’il bronche, nous le déporterons au bagne ; s’il agit, nous le guillotinerons ! Mauvais calcul, messieurs, croyez-m’en ! Les peines que vous infligerez ne sont pas un remède contre les actes de révolte. La répression, bien loin d’être un remède, voire même un palliatif, n’est qu’une aggravation du mal.

Les mesures coercitives ne peuvent que semer la haine et la vengeance. C’est un cycle fatal. Du reste, depuis que vous tranchez des têtes, depuis que vous peuplez les prisons et les bagnes, avez-vous empêché la haine de se manifester ? Dites ! Répondez ! Les faits démontrent votre impuissance. Pour ma part, je savais pertinemment que ma conduite ne pouvait avoir d’autre issue que la bagne ou l’échafaud. Vous devez voir que ce n’est pas ce qui m’a empêché d’agir. Si je me suis livré au vol, ça n’a pas été une question de gains, de livres mais une question de principe, de droit. J’ai préféré conserver ma liberté, mon indépendance, ma dignité d’homme que de me faire l’artisan de la fortune d’un maître. En termes plus crus, sans euphémisme, j’ai préféré être voleur que volé.

Certes, moi aussi je réprouve le fait par lequel un homme s’empare violemment du fruit et du labeur d’autrui. Mais c’est précisément pour cela que je fais la guerre aux riches, voleurs du bien des pauvres. Moi aussi, je voudrais vivre dans une société où le vol serait banni. Je n’approuve et n’ai usé du vol que comme moyen de révolte propre à combattre le plus inique de tous les vols : la propriété individuelle.

Pour détruire un effet, il faut au préalable en détruire la cause. S’il y a vol, ce n’est que parce qu’il y abondance d’une part et disette de l’autre, que parce que tout n’appartient qu’à quelques-uns. La lutte ne disparaîtra que lorsque les hommes mettront en commun leurs joies et leurs peines, leurs travaux et leurs richesses ; que lorsque tout appartiendra à tous.

Anarchiste révolutionnaire, j’ai fais ma Révolution, vienne l’Anarchie.

Alexandre Jacob

Marius Alexandre Jacob, Ecrits, vol.I, Ed. L’Insomniaque, 1995.

Droits réservés

4e de couverture :

LES ANARCHISTES ni dieu ni maître !

Ni Dieu ni maître ! La propriété, c’est le vol ! À bas toutes les armées ! Police partout, justice nulle part ! De Proudhon aux Bérurier Noir en passant par Bakounine, Kropotkine, Louise Michel, Jean Grave, Émile Pouget, Sébastien Faure, Georges Brassens ou Léo Ferré, le drapeau noir de l’anarchie claque comme un refus de la société bourgeoise, de l’État, de l’Eglise, des juges et de la police, des banquiers et des militaires, des patrons et des technocrates. Tiraillée entre l’apologie de la violence et la recherche d’une société pacifique, la pensée libertaire eut pour hérauts des générations de rebelles qui payèrent cher leur insoumission quotidienne. Voici réunis les textes, inconnus ou emblématiques, de leurs combats menés au nom des libertés individuelles et collectives.

LES REBELLES
Hommes d’action, écrivains, penseurs ou artistes, ils ont un jour rompu avec les accommodements, les mensonges ou les préjugés de leur temps pour faire de leur vie un combat. S’ils se sont également battus avec la plume, c’est qu’ils étaient convaincus du formidable pouvoir des mots pour éveiller les consciences, résister à l’oppression et transformer le monde. Leurs écrits n’ont rien perdu de leur force ni de leur justesse, et restent des manuels d’insoumission pour les temps présents.

Responsable éditorial Grégoire Kauffmann

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3 commentaires pour “Sylvain le rebelle a chopé la lupinose”

  1. MAROCHON dit :

    Salut les Aminches,

    De nos jours, on appelle  » rebelles  » non pas des individus révoltés par l’injustice faite aux plus démunis et aux exploités , mais une bande de loquedus qui sont exaspérés de ne pouvoir s’enrichir sur le dos des prolos . Que veulent-ils ces  » rebelles  » c’est que l’état les laissent exploiter les miséreux en toute liberté . Rien à voir avec l’Anarchie !

  2. Duval Clement dit :

    Encore de la Lupinose par un dit historien libertaire…. Sans commentaire…

  3. JMD dit :

    libertaire … libertaire … il participe quand même à un think tank libéral !

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