Vols à Beauvais


Avec 20300 habitants au début du XXe siècle, Beauvais est une cité au faste passé et déclinant. La préfecture de l’Oise vit sur sa tradition textile et semble avoir raté le saut de la révolution industrielle. Pour autant, la cité picarde où prospère une bourgeoisie locale semble être une cible intéressante. Depuis 1876, une ligne directe de chemin de fer la relie à la capitale … et donc aux Travailleurs de la Nuit. Par quatre fois en 1901, 1902 et 1903, certainement plus si l’on tient compte des cambriolages non avoués, les cambrioleurs anarchistes y ont œuvré. Un avocat, un bourgeois, une rentière et une église … nous retrouvons ici un panel classique de victimes politiquement et socialement choisies. Si Ferrand ne rapporte rien de son expédition menée seul semble-t-il au domicile de la veuve Théron, le butin parait nettement plus conséquent dans l’église Saint Etienne. Peut-être est-ce pour cela que Jacob, accompagné de Ferré, Bour et Ader, y laisse un billet certainement signé « Attila », le fléau de Dieu. Mais les voleurs savaient-ils que l’édifice du XIIe siècle combinant éléments romans et gothiques supporte sur l’un des deux portails de son transept une sculpture nommée … « Roue de la fortune » ?

Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89, dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits »

2e audience, 9 mars 1905

Vol à Beauvais

Le 7 septembre 1901, MmeTrubert, demeurant à Beauvais, rue de Clermont, 10, rentrant

de voyage, constatait qu’elle avait été victime d’un vol. Les tiroirs de ses meubles avaient été ouverts à l’aide de fausses clefs. Un coffre-fort pesant 800 kilos avait été éventré. Le vol consiste en deux montres en or, de nombreux bijoux, des mouchoirs, un revolver, des épingles de cravate. Des salières en doublé avaient été brisées et laissées en place. Les mouchoirs ont été retrouvés au domicile de Ferrand. Jacob a passé des aveux concernant ce vol. Mme Trubert dépose sur ce vol. Elle reconnaît comme siens les mouchoirs saisis chez Ferrand.

3e audience, 10 mars 19005

Vol à Beauvais

Dans la nuit du 17 mai 1902, la maison inhabitée de Mme Aubin, veuve Théron, à Beauvais, rue d’Amiens, fut cambriolée. Un coffre-fort fut éventré, mais les voleurs ne purent rien trouver. Ferrand s’est reconnu l’auteur de ce cambriolage. Mme Théron, une vieille dame, d’une voix faible, donne quelques explications sur ce vol. Elle était absente lorsqu’il fut commis. On ne lui a rien pris. Son coffre-fort ne contenait rien.

– Ferrand, vous reconnaissez le fait ?

– Oui, monsieur.

– Faites connaître les circonstances de ce vol.

Ferrand fixe la situation de la maison de Mme Théron dans la ville de Beauvais. Il décrit les appartements et raconte les détails de cette tentative de vol qui ne lui a rien rapporté.

4e audience, 11 mars 1905

Vol à Beauvais

Le 27 novembre 1902, le gardien de l’église Saint-Étienne à Beauvais, qui avait, la veille au soir fermé à clef les portes de l’église, s’apercevait, vers 6 heures du matin, que la porte ouest voisine du grand portail avait été fracturée. Cette porte très solide, en bois de chêne, ayant résisté aux nombreuses et violentes pesées exercées contre elle, les pierres qui entouraient la gâche avaient été arrachées sur un espace d’un mètre, ce qui avait permis de la faire sauter. Une fois dans la place, les malfaiteurs avaient opéré à leur aise et avaient fracturé différents troncs. La double porte du tabernacle de l’hôtel de la Vierge avait été ouverte à l’aide d’effraction. Ce tabernacle contenait un ciboire en argent vermeil. Sur un carton doublé de soie blanche les voleurs avaient écrit : «Dieu tout-puissant, recherche ton calice. » Pour se rendre compte si une croix placée sur le tabernacle était en métal précieux, ils en avaient cassé un bras. Bour a reconnu que ce vol, qui se place peu de temps après celui de Brumetz, avait été commis par lui en compagnie de Jacob, Ferré et Ader. Les témoins sont entendus, mais n’apportent aucune déclaration intéressante. Bour demande la parole. Il veut donner des détails sur ce vol. Il lit une déclaration dans laquelle il est dit que le vol fut commis par lui, Jacob et Mercier, qui n’est pas Ferré comme il l’a déclaré à l’instruction. Mercier existe et est une autre personne que Ferré.

5e audience, 13 mars 1905

Vol à Beauvais

M. Kirchoffer, valet de chambre au service de Mme Sebastiani, se rendant, le 28 février 1903, au domicile de M. Horace Sebastiani, avocat à Beauvais, ne put ouvrir la porte d’entrée qui était verrouillée de l’intérieur. La maison avait été cambriolée par des individus qui avaient escaladé une terrasse et forcé la porte d’entrée. Le vol consistait surtout en objets de toilette et en lingerie et vêtements qui furent, en partie, retrouvés rue Leibnitz, en la possession de Lazarine Roux et de Léontine Tissandier. Jacob a reconnu avoir assisté à ce vol mais n’y avoir pas pris part, étant occupé, a-t-il dit,à examiner une collection de cachets, pendant que ses camarades fouillaient la maison. M. Sebastiani dépose. Il reconnaît différents objets parmi les pièces à conviction. Lazarine Roux ne se rappelle pas si elle eut sa part du vol.

Jacob – Si j’ai donné à Lazarine Roux et à Léontine Tissandier des objets provenant de ce vol, elles en ignoraient la provenance.

10e audience 18 mars 1905

La défense d’Ader

Me Lafont succède à la barre à Me Silvy. Il présente la défense d’Ader, modeste ouvrier charpentier, dit-il, figure qui n’est ni troublante ni énigmatique comme celle de Jacob. Ader est poursuivi pour trois vols ; deux vols à Brumetz et un vol à Beauvais. Qui l’accuse ? Bour dont les confidences à M.Hamard furent le point de départ de l’instruction. Mais Bour ne connaissait pas particulièrement Ader ; il n’était pas sûr de son nom ; il fournit de lui un signalement peu exact et sur lui des renseignements erronés. Bour n’a pas reconnu Ader sur ses photographies. Quand il fut confronté avec lui il ne le reconnut pas, et cela dès la première confrontation. Rose Roux aurait tenu, à la prison d’Abbeville, un propos compromettant pour Ader : « Arrêter ce pauvre homme qui, à peine, est allé trois fois avec eux et qui se sauvait toujours avant de commencer ! » En admettant que Rose Roux ait tenu ce propos et qu’elle ait dit vrai, cela prouverait qu’il restait chez Ader assez d’honnêteté pour se retirer à temps des mauvaises entreprises. Et s’il s’est toujours enfui avant de commencer un vol, il n’a commis aucun crime, pas même une tentative.

Archives départementales de la Somme : 99M13/2 : suspects anarchistes (affaire Jacob)

Abbeville, 1er novembre 1903

Juge d’instruction d’Abbeville à procureur général à Amiens

Le nommé Ader, qui a été désigné par Bour au commencement de l’instruction comme l’un des auteurs de trois cambriolages commis en novembre 1902 à Beauvais et au château et à l’église de Brumetz (arrondissement de Château-Thierry). Cet homme nie les faits qui lui sont reprochés et Bour, dont l’attitude s’est complètement modifiée au cours de l’information, sous l’influence de billets que Jacob a pu lui faire parvenir à la prison et où il lui recommandait de ne reconnaître personne, Bour a déclaré que ce n’était pas là l’individu qu’il avait désigné. Mais, outre que le signalement physique et moral qu’il avait donné s’applique absolument à celui-ci, une déclaration de la fille Roux à la maison d’arrêt montre en effet qu’il a travaillé deux ou trois fois avec Jacob. Cependant, c’est de tous les complices de ce dernier celui dont le rôle est le plus effacé.

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