Alexandre le rebelle


On pourra très certainement objecter que l’article d’Yves Pages  ne peut, par définition, s’attarder sur tel ou tel fait, faire l’analyse d’une pensée particulière. Mais il est vrai qu’il est écrit que l’homme ne fut ni « vraiment théoricien, ni seulement malfaiteur ». L’exercice suppose la mise en avant de caractères particuliers, originaux, singuliers. Une description rapide, un portrait vite fait. Trop vite fait.

Jacob devient donc un rebelle et, comme son antonyme le héros qui lui se place dans le cadre de la légalité instituée, cet antihéros doit se vêtir des habits de l’aventurier. Et, si notre aventurier se bat pour une cause, qu’elle fût juste ou pas n’est pas vraiment le sujet du dico de la contestation au XXe siècle dans lequel se trouve cet article, cela ne peut être qu’encore plus savoureux.

Rebelle, nous dit la 4e de couverture de cet ouvrage, sorti chez Larousse en 1999 et au demeurant fort insipide malgré ses 500 alléchantes entrées. Mais, en ce qui concerne l’honnête cambrioleur, rien à voir avec la sauvagerie des actes de Ravachol ou de Bonnot ! Le mot désordre, « qui sert de fil conducteur à l’ouvrage », est même mis entre guillemet. Emprisonné par des guillemets. Le désordre mis au pas.

Il faut accrocher le lecteur et le lecteur retrouvera donc les poncifs habituels dans ce papier qui ne cherche pas à éviter la lupinose. « Notons » au passage « que parmi les reporters couvrant cette comédie judiciaire » que constitue le procès d’Amiens,  n’a jamais « figuré un certain Maurice Leblanc », critique littéraire et mondain et très peu journaliste habitué des salles d’audiences des tribunaux.

Ce n’est d’ailleurs pas vraiment une biographie qui nous est ici livrée. Cela tient plutôt du mythe, de l’épopée,  ou  plutôt du stéréotype facile et finalement assez drôlatique. Les multiples et lourdes erreurs adoucissent alors encore plus les aspects politiques de l’honnête homme que fut Alexandre Jacob, « chichement reclus » à la fin de sa vie dans sa maison de Bois Saint Denis. Des diamants volés au mont de piété de Marseille le 1er avril 1899 à « l’érotique compagnie » de Josette, dite Jo, en passant par le bagne, sa bassesse et ses joyeusetés, par le soutien aux républicains espagnols en lutte et par les petites provocations épistolaires durant la seconde guerre mondiale (provocations qui, en toute logique, auraient dû causer quelques tracasserie policières), ces erreurs finissent de faire ressortir cette vie si extraordinaire qu’on pourrait la croire sortie toute droite d’un roman d’Alexandre Dumas, de Michel Zévaco,  ou … de Bernard Thomas.

Du bon, du beau, du rebelle quoi !

Le siècle rebelle

Dictionnaire de la contestation au XXe siècle

Larousse, 1999

Alexandre Jacob et la bande des travailleurs de la nuit

Contrairement au dinamitero Ravachol et au desperado Bonnot, Alexandre Jacob, né à Marseille le 27 septembre 1879, mort en 1954, incarne l’éminence noire d’une révolte autant agie que réfléchie. Ni vraiment théoricien, ni seulement malfaiteur, il est à la fois le modèle secret et contre-exemple absolu des légendes issues de « l’action directe » libertaire.

Dès l’âge de onze ans, Jacob navigue comme mousse sur toutes les mers du globe, de Sydney à Zanzibar. De retour à Marseille, en 1896, il devient typographe et s’imprègne des brochures anarchistes de Kropotkine. Ses précoces lectures libertaires le pressent de passer à l’acte. Un dimanche d’élections, à La Ciotat, il fait sauter les urnes. Dénoncé par l’indic qui lui a fourni les explosifs, l’adolescent écope de six mois fermes. Remis en liberté, étroitement surveillé, il opte pour la « reprise individuelle », entendez le vol.

Ses premiers larcins datent du 1er avril 1899. Travesti en agent de police, Jacob confisque un lot de pierres précieuses aux prêteurs sur gage du mont-de-piété marseillais. Dans la foulée, il dévalise églises et hôtels particuliers, avant de simuler une crise d’épilepsie au casino de Monte Carlo tandis qu’un complice rafle la mise. Dénoncé et condamné à cinq ans de prison, Jacob fait si bien l’idiot qu’il obtient son transfert en asile d’où il s’évade grâce à la bienveillance d’un infirmier.

L’originalité de Jacob tient autant à ses affinités libertaires qu’aux méthodes rigoureuses et inventives qu’il va mettre en œuvre à partir de 1900. Fort d’un douzaine des comparses, il profite de l’essor des chemins de fer pour écumer les provinces françaises, vidant les riches demeures des prêtres, juges ou militaires, et épargnant celles des bourgeois aux « fonctions utiles » : médecins, architectes ou écrivains. Rétif aux armes à feu, il se déguise en ecclésiastique, capitaine de hussard et homme du monde. Usant du sobriquet « Attila », il signe ses coups d’un libellé vengeur. Chez un magistrat : « Aux juges de paix nous faisons la guerre ». Dans une cathédrale : « Dieu tout puissant, retrouve tes voleurs ». Jacob dispose en outre d’une fonderie d’or et de l’outillage dernier cri du perceur de coffre-fort. Quant au butin de ses 156 vols qualifiés en trois ans, un dixième au moins servit à financer la presse anarchiste d’alors.

Mais le 21 avril 1903, Jacob tombe dans une souricière à Abbeville. Un de ses acolytes tue un agent au cours de l’arrestation. La bande dite des « Travailleurs de la nuit » est entièrement démantelée.

Le 8 mars 1905, Jacob et ses vingt-trois complices comparaissent devant la cour d’assises d’Amiens. La présence conjuguée de renforts de police et de journalistes parisiens présage d’un procès retentissant. Mais c’est le sens de la répartie du principal accusé qui va faire l’évènement. Refusant de se lever, d’ôter son chapeau ou de prêter serment, Jacob ridiculise les cent-cinquante-six témoins à charge, détaillant à leurs dépens le contenu de ses rapines. D’abord conspué par la foule, il retourne le public en sa faveur et se lance, avant d’être expulsé par le président, dans une apologie du vol comme juste « restitution » des richesses. Notons que parmi les reporters couvrant cette comédie judiciaire, figure un certain Maurice Leblanc, qui fera bientôt paraître les aventures du « gentleman cambrioleur » Arsène Lupin. Ce vase communiquant entre le fait divers et le feuilleton populaire est fréquent durant la Belle Epoque : privilégiant le versant anarchisant de la criminalité – l’illégalisme -, il contribue à créer la figure récurrente du bandit d’honneur, des pieds nickelés à Fantômas, ou Chéri-Bibi.

Condamné au bagne à perpétuité, Jacob, cet antihéros de vingt-cinq ans, arrive en Guyane le 6 janvier 1906. Interné aux îles du Salut en compagnie des pires caïds, il découvre la bassesse des mouchards, la corruption sadique des gardiens, bref, l’enfer quotidien. En pur autodidacte, il choisit de s’évader par la lecture, dévore les classiques – Spinoza, Nietzsche ou Diderot – et s’improvise expert en droit pénal. Non sans essayer de se faire la belle : dix-sept tentative d’évasion à son actif ; neuf ans de cachot en retour.

Dès 1925, une pétition lancée par Albert Londres met en cause le bagne de Guyane. Sa propre guérilla procédurière aidant, Jacob bénéficie d’une réduction de peine. Libéré le 30 décembre 1928, il a donc passé un quart de siècle, c’est-à-dire l‘exacte moitié de son existence, dans l’univers concentrationnaire français. Le voilà vendeur itinérant de « lingerie, bonneterie, confection en tout genre ». En 1932, il fréquente une secrétaire du docteur Destouche, alias alias L.F. Céline. En déchiffrant son manuscrit, Jacob devient par mégarde le premier lecteur du Voyage au bout de la nuit.

Aidant au passage à l’armement des milices espagnoles en 1937, notre marchand forain se plait, durant l’Occupation à signer son courrier officiel d’un « cambrioleur en retraite », sinon d’un « ex-professeur de droit criminel à la faculté des îles du Salut ».  Chichement reclus dans sa bicoque de Bois saint Denis, il sait en 1952 qu’on va lui consacrer une première biographie. Qu’espérer encore à cet âge avancé ? Rien, sauf l’amour fou. Jo a vingt-six ans ; elle est mariée et de cinquante sa cadette. N’importe ! Jacob passe l’été 1954 en son érotique compagnie. Le 25 août, il solde ses comptes avant déchéance et s’empoisonne par piqûre intraveineuse. Cette mort volontaire – minutieusement préparée, comme tous ses coups d’éclats – fait confluer le mythe et la réalité d’un individualisme libertaire qui, recyclé ultérieurement par les situationnistes et les Enragés de 68, n’a pas fini de hanter ce siècle.

Yves Pagès.

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