Ma Croix-Rousse libertaire

Publié dans Divers le 21 novembre 2008

Il y a une dizaine d’années de cela, Jean Antonini me demandait d’écrire un texte devant raconter « ma » Croix-Rousse pour accompagner un projet ayant comme objectif de participer à un atelier d’écriture collective intitulé « Les territoires de la mémoire »… Je vous le livre tel quel.

J’ai illustré ce texte de quelques-une des publications que j’ai accompagnées depuis mon arrivée sur les Pentes…

À propos, nous faisons appel à vous toutes et vous tous qui avez des photos, images, textes… pouvant illustrer la « glorieuse histoire de notre quartier ».  Le blog ouvrirait ainsi un espace collectif comme les nuages qui jouent aujourd’hui à cache-cache avec le soleil. À suivre…

Ma Croix-Rousse libertaire

Mon village natal est très loin de cette colline où j’ai atterri en octobre 1975. J’avais alors 21 ans et j’étais convaincu qu’il n’y avait qu’une seule patrie pour l’humanité tout entière. Cette année-là je venais de quitter les frontières italiennes puisque les services administratifs de l’armée de ce pays m’avaient appelé pour accomplir ce devoir patriotique au nom duquel des êtres humains se sont entretués par millions sur ces boucheries à ciel ouvert qu’on appelle champ de bataille. N’étions-nous pas tous frères et sœurs comme m’avaient appris d’abord les bonnes sœurs et puis l’idéal anarchiste ?

Au collège, puis au lycée, j’avais appris un peu d’anglais, mais pas un seul mot de français… à part « je t’aime » ! Puis, je me suis inscrit à l’université de Rome, en 1973, et pendant un an j’ai fréquenté la rédaction d’Umanitá nova. C’est ici que j’ai eu pour la première fois entre les mains un journal en français, le Monde libertaire, qui nous arrivait de Paris. J’ai commencé donc à « lire » ce périodique régulièrement, une « lecture » qui consistait à regarder les mots imprimés et essayer d’en comprendre le sens.

Je m’intéressais déjà à la politique et je suivais la culture en général (très jeune j’ai lu, entre autres, Sartre en italien). En ce qui concernait la France elle-même, j’avais l’impression que tout se passait dans la capitale, comme le pense toujours beaucoup de monde. Ainsi, lorsque j’ai choisi de m’insoumettre au service militaire et de continuer mes activités dans un autre pays, j’ai pensé dans un premier temps à me rendre à Paris. Puis un copain de Bologne, qui avait fait ce même choix un an plus tôt, m’a fait savoir qu’en réalité des choses « intéressantes » se passaient ici, à Lyon. Lyon ? J’ai cherché sur une carte de France pour localiser cette ville et, en définitive, je lui ai répondu : « Pourquoi pas ! » En réalité Bruno Mondo Igor, c’était son nom, m’avait parlé d’une imprimerie (IPN, Impression presse nouvelle), d’un journal (IRL, Informations et réflexions libertaires) et d’autres « gens » qui avaient envie de faire un tas de choses dans le quartier où il vivait.

J’ai suivi son conseil et, finalement, j’ai débarqué à Perrache, cet automne 1975, avec quelques cahiers et peut-être un pantalon et une chemise de rechange.

À mon arrivée, je fus accueilli, dans un premier temps, à Charbonnière-les-Bains par un prof universitaire et sa compagne qui participaient tous deux au mouvement libertaire. Mais, deux jours plus tard, j’allais déjà à une réunion au 13 de la rue Pierre Blanc, dans ce local ouvert sur les Pentes de la Croix-Rousse par des anarchistes, ce même automne.

Depuis je n’ai plus quitté les Pentes. En effet, j’ai commencé quinze jours plus tard à travailler dans un restaurant autogéré, Au goût de Canon, rue Burdeau. J’ai même trouvé un logement, dans cette même rue, où j’ai habité une douzaine d’années avec ma première compagne qui m’avait rejoint à son tour d’Italie. J’ai commencé assez vite aussi à participer à de nombreuses activités « alternatives » qui se sont développées dans ce quartier depuis le milieu des années soixante dix. Un parcours et des activités dont j’ai rendu compte dans le Rêve au quotidien[1], un livre qui en retrace l’histoire et essaye d’expliquer pourquoi la Croix-Rousse a été, et reste toujours, le berceau d’innombrables initiatives qui ont créé, au fil du temps, un village imaginaire où la transformation sociale est à l’ordre du jour.

Ma Croix-Rousse libertaire, outre ce local situé au 13, rue Pierre Blanc, s’est enracinée dans d’autres lieux comme le restaurant autogéré Aux tables rabatues, la Maison de l’écologie (rue Bodin); l’imprimerie coopérative AIPN, MAB, le Collectif utilitaire lyonnais, Wolnitza (rue Burdeau), le Comité populaire de la Croix-Rousse (rue des-Pierres Plantées), les divers squats sociaux comme le Rap-Thou, le Prolote, la Mauvaise Pente, le plus récent restaurant végétarien à prix libre, le Crève lune (montée de la Grande Côte), ainsi que la librairie anarchiste la Plume Noire (rue Pierre Blanc).

La riche histoire de ma Croix-Rousse libertaire ne peut naturellement pas se résumer en ces quelques lignes, d’autant plus que cette richesse est surtout liée aux relations humaines que ceux qu’on a appelé, au début des années soixante-dix, « les nouveaux Croix-roussiens » ont réussi à établir dans ce quartier. Un réseau de vie, culturel, politique et social qui est assez original et toujours assez vivant en 1998. Il suffit pour s’en rendre compte d’arpenter les ruelles, les escaliers des Pentes, et s’arrêter devant les petites et grandes affichettes qui nous informent, quotidiennement, des activités et des mouvements sociaux qui intéressent le quartier, mais aussi l’agglomération lyonnaise.

En fait, depuis plus de vingt ans, lorsque je monte ou descend ces Pentes je respire cet air certes pollué (entre autres par les voitures), mais aussi cet air de ce nouveau village imaginaire qui est le mien. Un village avec son curé, lui aussi original, avec ces gens qui parlent des langues différentes, avec ses odeurs qui mélangent soie et kebabs, ces gones multiraciaux qui « rouillent » ou qui jouent au foot, qui taguent, qui donnent de la couleur et de la vie à ce vieux quartier des Canuts. Un village où je rencontre très souvent « Popof » le clochard des Pentes qui m’interpelle avec des grandes gestes lorsqu’il n’a pas trop bu ; les « mémés » que j’ai connu à l’époque où j’ai travaillé pour le Service social ménager, des aides à domicile qui continuent à leur apporter « un rayon de soleil », ainsi que ces alternatifs lyonnais « au look croix-roussien » selon la définition d’un journaliste du Monde.

C’est aussi sur les Pentes que j’ai rencontré ma nouvelle compagne d’origine polonaise.

Aux Pentes, j’aimerais dédier un long poème aux couleurs bariolées et aux accents multiples. Une culture en fait qui donne à ce quartier cette grâce et cette aura, et qui, j’espère, restera un symbole vivant de cette vie alternative qui essaye, loin du monde du fric et de la puissance, de chercher et de créer, ici et maintenant, des espaces imaginaires où chacun puisse librement exprimer ses désirs, satisfaire ses besoins dans une sorte de village global qui représente un peu le monde, tout le monde. Un village du XXIe siècle où la convivialité, l’entraide et la liberté soient les matrices par lesquelles tisser de nouvelles utopies.

Mimmo Pucciarelli

mars 1998


[1]. Le Rêve au quotidien. D’une ruche ouvrière à une ruche alternative, les activités collectives et autogérées à la Croix-Rousse de 1975 à 1995, Atelier de création libertaire, Lyon, 1996.

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    Mimmo Pucciarelli, en plus d'être l'un des fondateurs de l'Atelier de création libertaire, se balade avec un appareil photo numérique pour humer l'air de la Croix-Rousse. Il nous invite à nous joindre à lui pour explorer cet archipel particulier.

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