Le Visage du Bagne : chapitre 6 Les mœurs homosexuelles


L’homosexualité s’est exercée depuis les temps les plus reculés, jusqu’à nos jours.

Elle n’a pas toujours eu ce caractère d’opprobre qu’elle a connu par la suite.

Si nous jetons un coup d’œil sur la proche antiquité, nous voyons que dans la Grèce ces mœurs jouissaient d’une grande vogue. Les adolescents formaient des unions amoureuses qui subsistaient jusque vers l’âge de trente ans – époque ordinaire du mariage. Les plus illustres parmi les anciens, à commencer par Socrate et Platon, étaient sectateurs de ces pratiques.

À Sparte, après un combat, le plus beau était la récompense du plus brave.

Sous la Rome de la décadence, ces mœurs connurent une recrudescence inouïe. Les empereurs, eux-mêmes, avaient des adonis comme favoris.

La vieille monarchie française s’adonnait couramment au culte de l’inversion ; il suffit de se rappeler Henri III et ses mignons, pour se faire une idée de sa généralisation.

Les temps contemporains ont suivi la voie tracée, en s’abritant sous le voile de l’hypocrisie.

On peut classer l’inversion sexuelle en deux catégories. La première, concerne un état de fait provoqué par le besoin et la privation ; la seconde, se rapporte à un état morbide spécial.

L’homosexualité ne peut manquer de se développer, au sein de toute communauté dont un sexe est exclu ; ainsi en est-il pour les internats scolaires, les écoles pratiques, les prisons et autres centres d’ordre communautaire que je ne désignerai pas – pour ne pas froisser certaines susceptibilités confessionnelles.

L’inversion sexuelle est courante, aussi bien dans la marine de commerce, que dans la marine de guerre.

Si nous examinons la pédérastie morbide, nous voyons que dans toutes les classes sociales elle a acquis droit de cité.

La privation sexuelle, le besoin impératif de satisfaire les désirs de concupiscence, ne rentrent pas en ligne de compte dans cette éclosion lubrique dont la perversité est seule en cause.

Nous pouvons constater – et ce n’est un secret pour personne – que dans les milieux artistiques et littéraires, dans le monde du théâtre et du cinéma, ces mœurs se donnent libre cours.

Souvent, elles s’acquièrent par une certaine satiété qui provoque le dégoût de la femme – un désir de nouveauté. Mais ordinairement elles résultent d’une prédestination innée, d’un penchant natif qui ne saurait être extirpé.

L’aperçu qui précède était nécessaire pour pouvoir parler en toute objectivité, de la pédérastie au Bagne.

Dans un tel milieu, si favorable à de telles mœurs, où la crainte de l’opinion ne saurait se manifester, où toute morale est périmée du fait d’une mise hors la loi qui peut autoriser tous les débordements, on pourrait s’étonner à bon droit que l’inversion sexuelle ne s’y épanouisse. C’est de l’ordre logique des choses.

Et lorsque des journalistes ou des publicistes montent en épingle les mœurs du Bagne –comme si ces mœurs spéciales lui appartenaient exclusivement – on me permettra d’en sourire.

Comment ! partout, autour de soi, on peut constater l’universalité de ces pratiques et l’on voudrait en faire l’apanage des bagnards ?

Ceux-ci, du moins, ont l’excuse de la privation, d’une nécessité impérieuse – alors que tant d’autres, dans la vie civile, ne peuvent invoquer ces circonstances atténuantes.

Si tous ceux-là portaient des clochettes, il y aurait un beau tintamarre !

Et lorsque l’on prétend que ce vice – ou cette passion – s’étale impudemment et cyniquement au sein du Bagne, rien n’est plus faux !

Au contraire. Les bagnards qui s’y livrent le font avec une discrétion poussée à son maximum, en s’entourant de toutes les précautions possibles et imaginables.

Durant plus de vingt ans passés dans ce milieu, pas une seule fois je n’ai surpris les manifestations positives de ces pratiques.

Tous ceux qui sont tant soit peu au courant des choses du Bagne, en conviendront facilement.

Il est bon de mettre ordre à des exagérations qui n’ont eu d’autre but que de jeter en pâture au public de malsaines élucubrations.

Ceci dit, reprenons notre sujet.

Lorsqu’un convoi de forçats abordait à la Guyane, on pouvait constater en le dénombrant, que la moitié au moins des nouveaux venus ne dépassait pas l’âge de vingt-cinq ans. À cette époque, la responsabilité légale commençait à seize ans révolus.

J’ai connu des adolescents arrivés au Bagne à seize ans et demi.

C’est dire qu’il ne manquait pas de sujets susceptibles de satisfaire aux désir de concupiscence.

Beaucoup d’entre ces jeunes gens, n’étaient d’ailleurs pas des novices en la matière. Ils en avaient déjà goûté les prémisses dans la vie civile, en prison ou à bord du bateau qui les emmenait en ces lieux.

Quant aux autres, que la contagion n’avait pas gagnés, le Bagne se chargeait de faire leur éducation. Cette éducation procédait selon une tactique progressive et enveloppante, qui manquait rarement d’arriver à ses fins. Les nouveaux, une fois mélangés dans les cases avec les anciens, étaient vite accaparés par ces derniers. C’était à qui offrait une place à côté de lui à l’un d’eux. La plupart de ces jeunes étaient sans argent, ils n’avaient pas de tabac et ressentaient la faim – la ration du camp étant bien mesquine.

Qu’à cela ne tienne ! l’ancien, lui, avait tout ce qu’il fallait. Il commandait du ragoût, des fruits, du café, du tabac – rien de manquait.

Pendant quelques jours cela se continuait sur le pied de la plus parfaite camaraderie. Puis un soir, avant de s’endormir, le sujet brûlant était effleuré à mots couverts et selon que la place assiégée marquait plus ou moins de résistance, il était poussé à fond ou remis à un moment plus propice. Lorsque le morceau était enlevé, il y avait « mariage » .

Ces couples vivaient généralement en bonne harmonie, quoique la jalousie éleva de temps à autre des nuages dans le ciel matrimonial.

La nuit, les deux couvertures, une dessous et une dessus, ne formaient qu’une seule couche.

Beaucoup de ces jeunes malheureux trouvaient dans ces unions une sécurité et une tranquillité auxquelles ne pouvaient prétendre les « coureurs », ainsi qu’on les appelait : ceux qui allaient de l’un à l’autre et qui étaient sollicités à tous moments pour satisfaire les caprices de chacun – moyennant une quelconque rétribution. Certains d’entre eux, que l’on désignait sous le vocable de « gousses » se satisfaisaient mutuellement. Ces derniers n’étaient guère estimés, on les traitait de « planches à guillotine » parce qu’ils faisaient arriver des histoires.

Les « mômes » (tel était le qualificatif donné à la généralité des invertis passifs) étaient traités sous un angle d’infériorité – mais toutefois sans brutalité, sauf exception. Ils étaient différenciés des « hommes » qui jouissaient de tous les prestiges.

Les bagnards se divisaient eux-mêmes en trois classes bien distinctes : les « hommes », les « mômes » et les « bourricots » ou « charognards », ces derniers étant les délateurs.

Il faut dire qu’il y avait une importante fraction de bagnards qui ne rentrait dans aucune de ces catégories : il se contentaient d’être eux-mêmes, de tenir leur rang de forçats dans toute la dignité compatible avec leur état.

Pédérastes actifs et passifs, c’est une distinction qui pourrait donner matière à discussion.

Au vrai, dans tout pédéraste actif il y a l’étoffe d’un pédéraste passif. À la longue, et par une sorte de contagion auto-suggestive, l’activité de l’un rejoint la passivité de l’autre. J’ai reçu à cet égard des confidences concluantes.

De même, l’inverti passif, dont le rôle se ressent primitivement d’une certaine contrainte doublée de motifs intéressés, finit souvent par prendre goût à ce qu’il considérait de prime abord comme une corvée et comme une déchéance. Il devient alors un inverti passionnel.

L’Administration n’ignore rien de tout cela ; elle encourage même ces unions spéciales, qui détournent les hommes de l’évasion et qui lui assurent une relative tranquillité. Ce faisant, elle fait montre de sagesse et, pour une fois, d’un peu de cette psychologie qui lui manque totalement, sous d’autres rapports.

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