Nous avons vu que le législateur avait voulu, à côté du Châtiment, susciter l’amendement et le relèvement du condamné.
Malheureusement, il n’en a pas été ainsi.
Une répression brutale, des excès de toutes sortes, une méconnaissance absolue de la psychologie humaine, ont enlisé plus profondément encore dans le bourbier ces hommes que la Société avait frappés.
Pourtant, un administrateur haut placé, animé de sentiments profondément humains, essaya de rénover cette mentalité rétrograde, de mettre un terme à ces errements. Ce fut le Directeur général de l’Administration pénitentiaire au Ministère des Colonies, M. Schmidt.
Il rédigea des Instructions à l’usage des fonctionnaires et agents des services pénitentiaires[1] [1], qui sont un modèle du genre.
En voici les passages essentiels :
« Les agents et fonctionnaires des services pénitentiaires de la Guyane ont la charge de l’élément pénal placé sous leurs ordres.
Ils ne doivent pas oublier qu’ils doivent avant tout ne pas perdre de vue qu’ils ont affaire à des hommes dont la plupart ont été constamment aux prises avec l’adversité. Loin de les accabler du poids de leur autorité, ils seront conscients de leur rôle moralisateur.
Ils s’attacheront à cultiver en eux les sentiments qui ne s’éteignent jamais dans une âme, et qui survivent même chez les plus déchues, notamment l’amour de la famille et de la patrie.
Dans les petits manquements qui ne peuvent compromettre la discipline, ils devront à propos ne rien voir et ne rien entendre.
Et lorsque dans des circonstances critiques ils se trouveront en présence de débordements, le plus souvent occasionnés par les misères d’une longue captivité, ils opposeront à la parole grossière et au geste insultant, le calme de leur inaltérable sang-froid. »
Ces humaines paroles d’un homme de cœur, ne trouvèrent aucun écho. Une note annexe prescrivait que ces Instructions resteraient constamment affichées, mais cette recommandations ne fut pas mieux observée.
La Guyane est loin de Paris !
Nous avons vu aussi que les forçats ne sont pas de petits saints, mais ainsi que le Docteur Rousseau avait coutume de le dire : « si les forçats n’ont pas une brillante mentalité, celle des gardes-chiourmes est en tous points déplorable ! »[2] [2]
Albert Londres et ses continuateurs – Roubaud, Lefebvre, Larrique – ont suffisamment dénoncé leurs agissements, de leur plume autorisée, pour que j’insiste davantage à cet égard.
La réforme du Bagne a été un grand pas de fait dans la voie de l’humanisation.
La suppression du doublage et de la résidence perpétuelle a été plutôt un geste platonique, qu’effectif.
Du moment que le rapatriement des libérés demeure à leur charge, cette mesure reste inopérante. D’ailleurs, sa non-rétroactivité ne se comprend guère.
La suppression du Bagne répond à des préoccupations d’ordre sentimental et moral.
Elle sous-entend plus de justice et plus d’humanité.
Il faut bien convenir, cependant, que la claustration des condamnés dans des Maisons de force et de réclusion, ne répond pas à ces préoccupations.
Le fait d’être enfermé entre quatre murs, d’être astreint au silence, d’être soumis à la privation de tabac et à bien d’autres privations encore, ne constitue pas précisément une amélioration du sort du condamné. C’est bien plutôt une régression, une aggravation de la situation pénale de l’intéressé – par rapport au régime en vigueur à la Guyane.
Il y a donc là une impasse dont il s’agirait de sortir.
Les États-Unis d’Amérique, la Suisse, la Belgique, ont des systèmes de répression qui concilient le Châtiment et l’Humanité[3] [3].
On ferait bien de s’en inspirer.
Sisteron, juin 1941. Paul Roussenq
[1] [4] Si nous n’avons pu retrouver la trace des Instructions citées par Roussenq, il nous a été aussi particulièrement ardu d’identifier G. Schmidt, sous-directeur chargé des questions pénitentiaires au ministère des colonies en 1905 et sous-directeur, adjoint au directeur des affaires politiques et administratives, en 1911. Nous savons encore qu’il est directeur de l’administration centrale à ce ministère en 1913 mais il est possible qu’il occupe ce poste avant cette date. Toujours est-il qu’il est mis à la retraite par le décret du 30 octobre 1917 avant d’être nommé par celui du 1er novembre commissaire du gouvernement auprès de la banque de l’Afrique occidentale française (La Dépêche Coloniale Illustrée, 15 janvier 1911 ; La tribune des colonies et des protectorats, 1917)
[2] [5] Phrase apocryphe mais qui correspond parfaitement au chapitre IX « L’esprit pénitentiaire » des Hommes punis – Un médecin au bagne de Louis Rousseau (réédition Nada, p.281-294)
[3] [6] Cette ultime phrase montre que Roussenq est parfaitement au courant des systèmes pénitentiaires dans le monde (système auburnien en Pennsylvanie, régime cellulaire dit de Ducpétiaux en Belgique, etc…).