- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Mes tombeaux 32

Les Allobroges

7ème année, n° 1305,

vendredi 5 mars 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXXI

L’expérience de l’U.R.S.S. : Plus de gardes chiourme mais des éducateurs

A la fin du mois de décembre 1932, à bord du « Pellerin-de-La-touche », je faisais le voyage de retour.

Avec le Secours Rouge International, je fis un peu partout une série de conférences. Ma pauvre mère était morte au début de 1930. Cela m’avait beaucoup affecté, car je me retrouvais seul dans la vie. Ma jeunesse perdue était une chose que rien ne pouvait compenser.

Au mois d’août 1933, je fis partie d’une délégation ayant pour objectif un voyage d’études en Russie Soviétique. En ce qui me concerne, ce voyage dura trois mois. Quinze ans se sont écoulés depuis. Je pense qu’une relation compète de mes impressions, dans le cadre spécialisé de ces pages, ne saurait être opportune. Je tiens, cependant, à signaler les belles réalisations opérées là-bas dans l’ordre pénitenciaire.

J’ai visité dans tous ses détails la grande prison de Moscou. Et quand je dis prison, je me sers d’un terme impropre ; il faut dire maison de rééducation sociale. Et ce n’est pas une enseigne de façade. Mais, pour être plus clair et donner plus de force à une description comparative, il est bon de s’en tenir aux termes qui nous sont familiers. Il est dommage que cet établissement, où un millier de condamnés se trouvaient réunis, n’ait pas été édifié en vue de sa destination, car alors nul doute que le champ des observations aurait été plus vaste et davantage concluant.

De fait, la grande prison de Moscou avait été aménagée dans un édifice déjà ancien et il était visible que les installations, un peu à l’étroit, n’étaient pas adéquates. Les détenus purgeaient des peines de un an à cinq ans. Pas de livrée pénale, chacun revêtait ses propres effets d’habillement. Pas de règle de silence, pas de prohibition de tabac. Pas de garde-chiourme, non plus, mais des éducateurs.

Le travail était rétribué au tarif syndical : nulle retenue arbitraire – alors que chez nous on retient au moins 50 pour cent sur le gain des condamnés, et que des entrepreneurs exploitent la main-d’œuvre pénale, avec la complicité des pouvoirs publics.

Les détenus ont le droit de correspondre librement, sans restriction, et sous enveloppe fermée,

non seulement avec leur famille, mais avec quiconque. De même, ils reçoivent non ouvertes les lettres qui leur sont adressées.

N’importe qui et à n’importe quel moment peut venir les visiter, et non pas dans des parloirs grillagés où vingt personnes crient à tue-tête sans se comprendre – système français.

Tout condamné dont la conduite ne laisse pas à désirer, est susceptible d’obtenir des réductions de peine. Des permissions annuelles peuvent être accordées et bien rares sont les bénéficiaires qui ne rejoignent pas, à l’expiration du délai.

Ce fait symptomatique démontre bien l’efficacité d’un régime basé non sur une coercition qui ne peut qu’endurcir les délinquants, mais sur des méthodes humaines susceptibles d’amender et de relever les coupables. Voilà le véritable progrès.

Le système anthropométrique, – cette honte et cette flétrissure – n’a pas cours, de même que le casier judiciaire. La peine accomplie, rien ne subsiste.

Fréquemment, des commissions de contrôle viennent inspecter les lieux, s’entretenir avec les détenus et recevoir leurs éventuelles doléances.

Deux ou trois fois par semaine, des conférences éducatives sont données. Une école fonctionne en dehors des heures de travail. Un cinéma, des haut-parleurs, un terrain de sports, une bibliothèque constituent des distractions saines et utiles. Les journaux sont admis.

Ainsi, le prisonnier n’est pas isolé du monde.

Il y a aussi une cantine, des salons de coiffure, une installation de bains-douches ( dans nos prisons, trois ou quatre détenus doivent se serrer sous la même pomme d’arrosage).

La nourriture est la même que celle de n’importe lequel des restaurants d’usine. Le prix des repas est prélevé sur le salaire.

Dans les dortoirs, très propres, j’ai remarqué que les lits étaient trop serrés. J’ai d’ailleurs consigné cette observation sur le cahier spécialisé à cet effet, en vue de recevoir les impressions des visiteurs. Mais les fournitures de literie ne laissaient pas à désirer.

Les cuisines, parfaitement organisées, ne pouvaient laisser place à la moindre critique. J’ai interrogé plusieurs détenus, par le truchement de l’interprète. Aucune plainte ne me fut formulée, mais on réclamait des cigarettes. Tous les membres de la délégation vidèrent leurs poches.

Nous quittâmes l’établissement en songeant à l’incurie, à toutes les déficiences et à toutes les carences de nos ignobles prisons. Il me fut donné, non loin de Karkhow, de visiter aussi un établissement de rééducation de l’enfance délinquante. Là, l’installation était parfaitement conforme à la destination. Dans une fertile campagne, les bâtiments s’alignaient, flambant neufs. Trois cents enfants, de douze à dix-sept ans, étaient groupés en ce lieu idyllique. Les ateliers, vastes et bien aérée, où les adolescents travaillaient avec application, donnaient l’impression d’appartenir à une usine modèle. Des barreaux, nulle part.

Toute la délégation était émerveillée de voir ces enfants si gais, si propres dans leurs vêtements de travail. La mine fraiche de santé épanouie, ils nous souriaient. Nous avions eu le soin de nous approvisionner de toutes sortes de bonbons et de friandises que nous leurs distribuâmes au réfectoire. Ils en furent ravis. Les tables étaient fleuries de frais bouquets.

(A suivre)