- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Mes tombeaux 25

Les Allobroges

7ème année, n° 1298,

jeudi 26 février 1948, p. 2.

Mes tombeaux

souvenirs du bagne

par Paul Roussenq, L’Inco d’Albert Londres

XXIV

Non loin de Cayenne, le bagne avait aussi, bien avant la guerre, son camp de la mort lente

La poubelle de Bagne

A une vingtaine de kilomètres de la capitale administrative, le Nouveau-Camp se dressait sur une hauteur, dans un isolement complet.

Le Nouveau-Camp, malgré son nom, étaie archaïque et croulant. Les cases, couvertes de bardeaux, menaçaient ruines. Sur le sol battu de ces repaires, les crachats de plusieurs générations de condamnés s’étaient amoncelés.

Là, s’étalait avec un cynisme effrayant, toute la gamme des infirmités humaines.

Tuberculeux, culs-de-jatte, paralytiques, syphilitiques, aveugles, impotents de toutes sortes se trouvaient réunis en ce lieu apocalyptique, côte à côte avec des convalescents et des libérés nécessiteux.

Tous ces êtres disgraciés, véritables déchets humains, vivaient végétaient plutôt, dans une promiscuité horrible, se contaminant le uns les autres.

Les deux surveillants chargés de ce cloaque, ne pénétraient jamais dans les cases et ne se montraient que pour les appels du matin et du soir. L’ordinaire réglementaire demeurait le lot exclusif de ces amoindris. Pas de commerçants dans les cases. A peine pouvait-on acheter du tabac. Chaque jour, un ou deux décès se produisaient.

La plupart des occupants ne quittaient guère le hamac qui leur servait de couche. On pouvait être tranquille qu’ils ne chercheraient pas à s’évader. Où auraient-ils pu aller ? Quand il y avait un libéré parmi eux, il n’avait qu’à ramasser ses affaires pour rejoindre la case des nécessiteux ; sa situation demeurait exactement la même.

Une odeur sui generis prenait à la gorge, lorsque l’on pénétrait dans l’enceinte de ce musée des horreurs Le seul moyen d’approprier ces cases pathologiques aurait été d’y mettre le feu. On s’en gardait bien. Le Nouveau-Camp avait son utilité administrative, il importait peu que tout n’y tournât pas rond, puisque tous ceux qui s’y trouvaient étaient sacrifiés d’avance.

Forçats Notoires

Pleigneur dit Manda, était l’amant de Casque d’Or aux alentours de 1900.

Deux bandes adverses en vinrent aux couteaux pour ses beaux yeux. L’affaire tourna au tragique et Manda fut condamné à perpétuité.

Longtemps employé comme infirmier à l’hôpital, il obtint des grâces successives.

Une fois libéré. il traina a savate et se trouva heureux de trouver un emploi de manœuvre. pour servir les maçons.

Ullmo, pour l’amour de la belle Lison, s’aboucha avec des agents allemands pour leur livrer des secrets militaires. Il lui fallait de l’argent pour entretenir sa maitresse. Il reçut une convocation pour un rendez-vous dans les gorges d’Ollioules, près de Toulon. C’était un traquenard dans lequel Il tomba tête baissée. On l’arrêta.

Condamné à la déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée, il vint à l’île du Diable prendre la place de Dreyfus. Là, il s’abîma dans l’étude des problèmes humains. Israélite, il passa au catholicisme avec armes et bagages. L’évêque protonotaire de Cayenne devint son ami.

Cet ami ne l’oublia pas, il avait le bras long : commutation de la peine perpétuelle en celle de vingt ans, réductions successives de peine, grâce du reste : Ullmo était libre au bout de quinze ans accomplis.

Il entre dans une maison de commerce de Cayenne, gravit maints échelons de la hiérarchie et finalement devient directeur. Quelques années plus tard il rentre en France pour règles des affaires de famille, puis retourne à la Guyane.

S’il n’est pas mort, Il y est toujours.

Duez, liquida les biens des Congrégations pour le bien de l’Etat. Il pensa que cette liquidation pouvait aussi bien s’opérer pour son propre compte. Il avait des amis puissants et haut placés qui lui facilitèrent la chose, moyennant une petite commission. Malheureusement, quelqu’un mit le nez là-dedans, un expert incorruptible. Le pot-aux-roses fut découvert, c’est à dire le trou de douze millions, et Duez alla faire un tour à la santé. Ses bons amis lui firent dire qu’il s’en tirerait à bon compte, qu’on ne l’oublierait pas, et Duez tint se langue : prenant tout sur son dos. Il fut néanmoins condamné à douze ans de travaux forcés (un an par million).

Aux Iles du Salut, il fut forçat modèle et un comptable scrupuleux. On lui offrit un petit chalet, pour lui éviter une fâcheuse ambiance. L’argent ne lui manquait pas. Une fois libéré, il acheta un lot, près de Cayenne, en engagea des libérés pour y faire de l’élevage. Ses affaires prospérèrent d’année en année, Sa femme vint l’y rejoindre, peu de temps avant sa mort.

Soleilland

Soleillant avait abusé de la petite Marthe, douze ans. Il l’avait attirée dans sa chambre. La pauvre petite se débattit, cria… Alors Soleillant la tua, la dépeça, mit les morceaux dans une malle et alla porter cette dernière à la consigne de la gare Montparnasse Mais il fut démasqué.

Condamné mort, le Président Fallières, ennemi de la peine capitale le gracia. Cela fit du bruit. Au Bagne, Soleillant eut tous les forçats contre lui, à raison de son acte criminel. Il dut se faire mettre à l’isolement. A la suite d’une affaire de mœurs, il reçut plusieurs coups de couteau, dont il devait mourir un an plus tard. Soleillant avait un œil noir et l’autre vert, signe certain d’une morbide hérédité.

Dieudonné avait été inculpé et condamné à mort dans l’affaire Bonnot. Ses protestations d’innocence lui valurent une commutation de peine.

Habile ébéniste, il passa son temps de Bagne à fabriquer des meubles pour les fonctionnaires et les hautes autorités de la Guyane.

L’Etat se chargeant des fournitures, ces derniers pouvaient se meubler à bon compte. Il suffisait de donner la pièce à l’ouvrier qualifié.

Ainsi Dieudonné améliorait son existence. Après deux tentatives avortées, il réussit à gagner le Brésil, d’où Londres le ramena en France. Il est mort en 1946.

Seznec partit avec son ami Quémeneur ; il revint sans lui et on ne le retrouva jamais. On ne put faire la preuve de la culpabilité de Seznec ; seules des présomptions graves furent relevées. D’où une condamnation mitigée aux travaux forcés à perpétuité.

Le condamné ne cessa jamais de se déclarer innocent. Sa femme le seconda avec un dévouement remarquable et mourut à la peine. Seznec devait obtenir des mesures de grâce. Déjà libéré du Bagne depuis quelque temps, Il est rentré en France récemment..

(A suivre)