- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Alexandre Jacob est-t-il le vrai Omar Sy ?

Pour le besoin de la cause publicitaire, ou parce qu’il est intellectuellement plus facile d’intégrer un fait divers extraordinaire qu’une démarche politisée, une grande majorité persiste à croire à l’image du formidable aventurier, héros mythique des temps modernes doté d’un sens aigu de l’humour, volant le riche pour donner au pauvre et sans verser aucune gougoutte de sang. Alexandre Jacob est-il le vrai Omar Sy qui n’est pas vraiment Arsène Lupin mais juste un répliquant génial et vengeur dans la série initié par Netflix en ce début d’année 2021 ? Les deux portent fièrement le chapeau melon à quelques 116 ans de distance. Cela n’a pas manqué. Lupinose à tous les étages à la suite d’un succès télévisé mondial. La pandémie est même plus forte qu’une simple « grippette ». Avis de tempête force 12 de la France au Brésil, en passant par l’Angleterre, l’Inde, la Turquie, le Suède et plein d’autres encore. On en finirait presque par croire qu’Alexandre Jacob EST Arsène Lupin !

Blablabla que tout cela mais intéressante et saisissante dialectique. Involontairement drôle et caustique aussi, ce qui ne gâche en rien l’intérêt de démonter les mécanismes de la perception déformée du réel et de la recomposition étroite de l’image d’un personnage historique. Telle est cette maladie virale, particulièrement aiguë chez ceux et celles qui s’essaient à discourir sur l’honnête cambrioleur Jacob, et que l’on peut donc nommer lupinose.

Les symptômes ? Aisément repérables, ils s’enchaînent de manière progressive jusqu’à l’attaque finale de la dite affliction. Point de troubles, de nausées, de diarrhées ou encore de sentiments morbides et inavouables. Plutôt une impression d’assurance persuasive aboutissant à la conviction profonde de la véracité du mythe lupinien. Des victimes en nombre qui n’en démordent pas : journalistes, historiens, Berrichons, Marseillais… des militants politique souvent, des anarchistes parfois. Chez Nantes révoltée, par exemple, on en est sûr et certain le 20 janvier 2020 : « derrière le mythe d’Arsène Lupin » se cache « un véritable anarchiste cambrioleur ! ». Nous avons vainement tenté de les convaincre du contraire. Les bougres tiennent à leur roman anarchiste comme d’autres versent dans le roman national.

Cela commence la plupart du temps par l’évocation de quelques-uns des exploits, en particulier les plus cocasses et les plus irrésistibles, d’Alexandre Jacob. L’ingéniosité technique de certains cambriolages, des billets laissés çà et là… Le doute serait-il permis ? Peut-on vraiment rapprocher Attila (la signature de Jacob dans quelques cambriolages) de Raoul d’Andrési ou encore Don Luis Perena ? Petit à petit, on glisse sur le procès d’Amiens, où l’œil et l’oreille avertis (qui, selon l’adage, en valent huit donc) apprécieront la présence d’un chroniqueur judiciaire, œuvrant pour le compte du journal Gil Blas et notant scrupuleusement les moindres détails de l’affaire dite d’Abbeville où s’illustre le dénommé Jacob Alexandre que l’on aura par précaution prénommé Marius, parce que le prénom fait nettement plus exotique, nettement plus méridional.

Maurice Leblanc peut ainsi entrer en scène alors qu’aucune source ne vient attester de l’absence parisienne de l’écrivain normand en mal de reconnaissance littéraire dans les salons huppés de la capitale. Le rapprochement est d’autant plus aisé que les réparties cinglantes du voleur anarchiste pourraient très bien se retrouver dans la geste lupinienne. Et pour couronner le tout, la naissance de Lupin (ce voleur qui volait aux riches pour ne donner qu’à lui seul) dans les colonnes du magazine Je sais tout correspond à quelques mois près à la condamnation aux travaux forcés de cet anarchiste illégaliste dont on retiendra qu’il fut foncièrement probe et droit.

Une fois infecté, le malade n’en démord pas, oubliant de facto une « Belle Époque » soumise au sentiment d’insécurité véhiculé par la presse à sensation et un littérateur dandy ayant, au départ, produit à la demande de Pierre Laffitte une œuvre de commande dont il n’envisageait pas de suite. Le sujet atteint ignore la plupart du temps que l’auteur a commis en 1903 une nouvelle au titre fort intéressant : Un gentleman. Le prince Metcherski, sportif de haut niveau et héros du court texte, est aussi un escroc-voleur, esquisse fort ressemblante de Lupin et plus proche du Raffles d’Hornung (lui-même beau-frère de Conan Doyle).

Rappelons qu’en 1903 Alexandre Jacob est arrêté à Airaisnes dans la Somme après le « drame de Pont Rémy » qui voit la mort de l’agent Pruvost qui, avec son collègue Anquier, était venu interpeler les trois cambrioleurs de la Veuve Tilloloy à Abbeville. Soit Jacob, Bour et Pélissard. La presse locale et nationale titre alors sur « la bande sinistre » ou encore sur « les bandits d’Abbeville » mais pas sur « Jacob », alimentant de facto par ce fait divers sanglant le climat d’insécurité hexagonal.

Mais le cacochyme individu niera alors cette évidence : Alexandre Jacob (honnête cambrioleur anarchiste) n’est pas Arsène Lupin (redresseur de torts bourgeois). Chassez le naturel, il revient au galop avec une série tv au succès mondial. Même Netflix a cru bon produire un mini dessin animé pour expliquer l’origine de Lupin ! Rares sont alors ceux qui passent entre les gouttes infectées de la lupinose. Rendons ainsi grâce à Fanny Leroy de France Inter, à Hugo Tortel de La Marseillaise de Montpellier ou encore Matthieu Delaunay de Médiapart d’avoir essayé de rétablir un semblant de vérité historique dans un fatras comique et désolant de déformation de la réalité. Nous avons ainsi recensé 44 articles versant dans la lupinose sur le seul mois de janvier 2021. D’autres nous ont forcément échappé. Alexandre Jacob n’est pas Arsène Lupin. Alexandre Jacob n’est pas Omar Sy. Le syllogisme en découle.

 

Recensement fait le 8 février 2021 sur Google pour le mois de janvier 2021. Ils ont pécho la lupinose :

 

Ils ne l’ont pas attrapée :

 

Netflix : qui est Arsène Lupin ?