- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Salut Josette

Église de Châtillon Saint Jean, Drôme, lundi 21 janvier 2019. Il est 16 heures. René se lève, caresse tendrement le cercueil. Il s’avance vers l’autel et s’approche du micro que lui tend le curé de la paroisse. Le sanctuaire catholique est plein à craquer. Les yeux gonflés de son amour brisé, René parle et c’est juste beau. Il a préparé son texte, il lit lentement, sa voix se casse par endroit. Il s’arrête, souffle un peu, puis reprend. Ce n’est pas un panégyrique, ce n’est pas une oraison funèbre. C’est un dernier salut, un si beau salut. Il dit ce jour, cette soirée dansante magique où il a rencontré Josette, sa Josette, sa belle Josette qui lui avait malicieusement laissé son numéro de téléphone écrit à la va-vite sur une serviette en papier. Onze ans se sont écoulés. Onze années d’un bonheur parfait bouffées, laminées par ce méchant crabe qui ne lui a laissé que si peu d’alternative. Josette Duc est morte et son René, son bon  René, son beau René, « son prince charmant en or massif » l’a accompagnée jusqu’au bout de la vie.

Il a suivi ses prescriptions à la lettre car Josette avait tout programmé depuis ce maudit jour où elle avait appris la mauvaise nouvelle. Même un texte à lire « pour les amis ». Ce devait être « une fête ». Tous au bistro après la dépose du cercueil dans le caveau familial. Elle n’allait pas laisser à la faucheuse le soin de la prendre au dépourvu. Elle ne voulait pas de la souffrance de ses amis qui la pleureraient. Pour elle, la vie avait un début et une fin et elle s’approchait du bout. Elle avait eu une « vie d’heurs et de malheurs » bien remplie alors faire la nique à la mort, c’était déjà grandiose. Josette n’avait pas été que la dernière compagne d’Alexandre Jacob et, si elle n’était pas même anarchiste, elle n’en appliquait pas moins tous les principes. Ouverture, amitié, fraternité, porte ouverte. Elle donnait sans compter. Ce n’est pas un panégyrique, ce n’est pas une oraison funèbre, c’était une réalité si bien que l’homme d’Eglise qui chapeaute la cérémonie nous dit sa surprise de découvrir la vie d’une si grande femme qu’il ne connaissait pas. Josette était certainement plus que cela du haut de son mètre cinquante-cinq.

Josette est morte le 14 janvier 2019 dans sa 92e année, le jour de la Sainte Nina. Un de ses surnoms. Nous, on l’appelle Jo ou seulement Josette et, depuis ce jour de 2001 où nous avions fait connaissance, elle a très vite – elle a immédiatement à vrai dire – dépassé le cadre de notre étude sur l’honnête cambrioleur Jacob. Elle est entrée dans notre vie et nous n’oublierons pas l’amitié qu’elle a pu nous donner. Nous n’oublierons pas ses yeux pétillant de vie et de malice, ce bel esprit mystique et raisonné – si c’est possible, cette infatigable soif de connaissances et de rapport humain qui l’a poussée à 70 ans à prendre le Transsibérien pour aller voir si le soleil se levait à Vladivostok.  Josette a globe-trotté le monde. Un jour dans un ashram en Inde, un autre en pleine forêt dominicaine, quand ce n’était pas la contemplation des vastes espaces sahariens ou dans les innombrables chantiers du Service Civique International.  L’ancienne instit de Romans a bourlingué. Elle a aussi poussé la chansonnette grégorienne avec Iégor Reznikoff ; elle a jacté avec Marcel Body, Jeanne Humbert et tant d’autres. Alexandre Jacob lui a accordé un an de sa vie avant de mettre fin à ses jours le 28 août 1954.

C’est par son mari Robert que Josette, à 25 ans, rencontre le vieux marchand forain deux ans plus tôt. Robert, amateur de cyclotourisme, poète anarchisant et jeune enseignant drômois, avait décidé d’aller voir à Reuilly ce singulier personnage dont Alain Sergent avait écrit la biographie en 1950 : Un anarchiste de la Belle Epoque. Un voleur au verbe haut, un bagnard aussi à la volonté de fer. Une indéfectible amitié en était née. Et un amour tout aussi indéfectible pour le couple de jeunes enseignants revenant de Oujda au Maroc. Robert s’est effacé pour laisser Josette et Marius. Les éditions L’Insomniaque ont publié dans la réédition des Ecrits de l’illégaliste en 2004 quelques extraits des lettres de Marius à Josette. Quelques extraits seulement mais cela suffisait pour entrevoir un amour passionné au-delà de l’intérêt historique de la relation épistolaire. Quelques extraits seulement car le reste n’appartenait, n’appartient qu’à eux seuls. C’est un pan d’histoire qui s’est clos. Josette est morte. La réédition en janvier-février 2019 de notre biographie, Alexandre Jacob l’honnête cambrioleur, à l’Atelier de Création Libertaire et celle du Voleur et anarchiste de Nada lui sont dédiées :

À Josette sans qui ce livre n’aurait pu être ce qu’il est ; à Josette pour l’amour qu’elle lui a donné, pour l’amour qu’elle nous a tous donné.

Salut Josette. On t’aime très fort.

 

Texte de Josette pour les amis. A lire à l’église par une amie.

La main d’un homme est une fête. Retrouver quelqu’un est une fête. Même un enterrement est une fête. On est tous là, pas pour un ennemi.

Bruno Gröning a dit :

« Je vous prie à l’avenir et pour le reste de votre vie, de ne dire d’aucun de vos parents qu’il est mort, quand le corps est mort. »

Je ne suis pas le corps.

Je suis une forme qu’a empruntée la vie pour une certaine période, c’est tout.

Je ne m’en vais pas !

Où irai-je ?

Je suis ici.

Vous tous mes amis, je vais vous entourer par un lien plus profond que de mon vivant. L’esprit de mon amour vous insufflera la force vitale qui vous aidera à vivre.

Merci à René « ce prince charmant en or massif » comme dit ma cousine suisse Claude. Merci à Isabelle si aimante. Merci à tous les amis pour leur générosité, leur présence, leur aide.

Je vous souhaite Amour, Lumière et Paix Infinie.

Josette