- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

Via Angers et Segré …

Aussi bien huilée que soit la mécanique d’une tournée, les cambriolages se suivent mais ne se ressemblent pas forcément. Certains rapportent gros ; d’autres avortent parfois piteusement ; d’autres encore parviennent à passer inaperçus. Ainsi en est-il de l’expédition menée à la fin de l’année 1901 et au début du mois de janvier suivant par Baudy, Henry et Ferrand. Gabrielle Damiens, l’amante de ce dernier, signale à la police les détails de l’excursion lors du démantèlement de la bande en 1903. Des articles de presse retrouvés récemment nous permettent d’apporter quelques précisions sur une expédition qui mène nos illégalistes de Paris à Laroche sur Yon en passant surtout par Angers et peut-être Segré.

« Une paire de boutons de manchettes en or, une chaînette de cou en or, une bague de femme avec brillant, une loupe à deux verres, une loupe à verre unique, une paire de ciseaux, un médaillon en argent, quatre boutons de chemise en or, et une paire de chaussettes en  coton avaient été dérobés »[1] à Chartres entre le 23 décembre et le 2 janvier 1902. Les malfaiteurs ont opéré rapidement et ont fouillé la maison de M. Rouard de fond en comble. Ils peuvent se consoler de ce maigre butin avec l’étape suivante. Dans la nuit du 3 au 4 janvier, le trio pratique sur Le Mans une juteuse « opération de déplacement de capitaux ». Le sieur Tonnet, résidant sur le boulevard Lamartine, se voit ainsi délesté de plus de 2000 francs de bijoux et d’argenterie. La police constate aussi l’éventrement du coffre-fort de la victime. Cinq jours plus tard, des cambriolages sont signalés sur Angers chez les bien nantis Louis de Contades et Hippolythe Godard. Les deux rapines ne sont pas à la hauteur de la moisson espérée mais il est fort probable que, la veille ou l’avant-veille, les trois voleurs aient fait une bienheureuse halte non loin d’Angers, à Segré[2].

Un gros cambriolage fait du bruit dans le landernau et la presse locale – Le Petit Courrier – ne manque pas de relater ce fait divers[3]. Peut-on le mettre à l’actif de Ferrand, Baudy et Henry ? Le mode opératoire semble légèrement différer car nos travailleurs de la nuit ont ici opéré de jour, entre 11h et 3h de l’après-midi, profitant de la foire des Rois qui se tient au village, place du marché, pour soustraire quelques 5000 francs à Léon Pelletier, adjudicataire des droits de péage. Toujours est-il que cette rapine, qui n’apparaît pas lors du procès d’Amiens du 8 au 22 mars 1905, peut très bien s’inscrire dans la tournée du trio d’anarchistes qui se dirige ensuite sur Nantes pour se terminer à La Roche sur Yon. Le 11 ou le 12 janvier, deux des trois hommes ont pris une chambre à l’hôtel du Coq Hardi, à quelques enjambées de la gare de cette ville. La nuit suivante, après une dernière tournée d’inspection des scellés posés[4] et après avoir été rejoint par le dernier des Travailleurs, le groupe s’introduit dans la belle demeure de Mme Richoux et doit fuir à toute vitesse en entendant les cris d’alerte lancés par Louis Marceron qui gardait la propriété. Ils ont abandonné sur place de nombreux outils et la  police parvient même à mettre la main sur leurs sacoches laissées en consigne à la gare. Les voleurs eux sont déjà loin de la douceur vendéenne et angevine mais ils ont failli y croiser l’apocalypse justicière.

 

Le Petit Courrier

9 janvier 1902

Un vol très important à Segré

Maison cambriolée. — 3.000 fr. de numéraire et 2.000 fr. de bijoux volés

La foire des Rois qui s’est tenue mercredi à Segré, et qui chaque année attire en cette ville une foule considérable, a été marquée par un événement important.

M. Léon Le Pelletier, directeur des droits de places et en même temps marchand, était à son banc de vente sur la place du Marché, pendant que sa femme et plusieurs de ses employés s’occupaient de faire payer les droits à tous les étalagistes.

Vers 3 heures 1|2, Mme Le Pelletier, son travail fini, rentra à son domicile. Une surprise des plus désagréables l’attendait. Toutes les portes étaient fracturées et les meubles bouleversés ; d’audacieux malfaiteurs avaient profité de ce que l’immeuble était dépourvu de son locataire pour y pénétrer et tout fouiller.

Mme Le Pelletier, sans se rendre compte de ce qui lui avait été volé, courut prévenir son mari

Celui-ci constata alors avec effroi la disparition d’une somme de 3.000 fr. et de 2.000 fr. de bijoux qui étaient dans un des tiroirs du secrétaire (meuble qui fut comme tous les autres fracturé).

M. Le Pelletier n’eut d’autres ressources que d’aller immédiatement prévenir la gendarmerie.

Sur les voleurs on n’a aucun indice.

Des constatations il résulte qu’ils ont dû commettre leur méfait entre 11 heures et 3 heures de l’après-midi et qu’ils ont pénétré dans la maison en brisant une vitre d’une fenêtre et en escaladant ladite fenêtre.

Nous en reparlerons.

 

Le Petit Courrier

11 janvier 1902

Un cambriolage rue de Bel Air

Vendredi matin, entre 2 et 3 heures, des malfaiteurs ont pénétré dans l’immeuble 20, rue de Bel-Air, appartenant à M. Godard, docteur-médecin au château de Bouillon, à Tigné.

Les voleurs n’ont pas été heureux. M. Godard qui ne se servait de cette maison que comme pied à terre, n’y laissait rien de très précieux ou pour mieux dire rien qui, tentant la cupidité des malfaiteurs, soit facile à emporter.

En effet, dès la découverte du vol, une dépêche avait été lancée à M. Godard qui, arrivé vendredi après-midi à Angers, a passé l’inspection de son pied à terre.

Les meubles avaient tous été fracturés et fouillés, mais las cambrioleurs n’ont sans doute rien trouvé à leur goût, car M. Godard n’a pu constater de disparition d’objets.

Seul, un restant de cognac qui se trouvait dans une bouteille sur le bureau du docteur, a été bu par les visiteurs nocturnes.

Ceux-ci avaient essayé de pénétrer d’abord par la porte de la cave où on a relevé 17 pesées. La porte ayant résistée, ils se sont attaqué à la porte d’entrée de l’immeuble dont à l’aide de 5 pesées, ils ont fait sauter la serrure et fracturé un montant.

Après avoir été dans la cave et dans le jardin et avoir parcouru tout l’immeuble, les visiteurs nocturnes qui ont d’ailleurs été vus et entendus, sont partis sans rien emporter Un capitaine au 135e les a vu vers 6 heures du soir faisant le guet, une voisine les a entendu dans la maison mais a cru que c’était M. Godard qui était rentré dans son appartement.

Le commissaire de police du quartier a ouvert une enquête.

 

Le Petit Courrier

11 janvier 1902

Vol avec effraction à Segré

Voici les renseignements complets que nous avons pu nous procurer sur ce vol.

Vers 8 heures du matin, M. et Mme Lepeltier, adjudicataires du droit de péage à Segré, envoyaient tout leur personnel à la surveillance des entrées en ville. Eux-mêmes allaient vaquer à leurs affaires et fermaient à clé les portes de leur domicile situé rue du Château-Gontier.

Vers 11 heures, Mme Lepeltier renvoya à la maison sa petite servante, âgée de 18 ans, puis elle-même rentra à la maison vers 2 heures de l’après-midi.

Découverte du vol

A son arrivée, Mme Lepeltier remarqua qu’un carreau de la porte de la salle à manger était brisé ; elle en fit la remarque à la bonne qui déclara qu’elle avait elle aussi constaté cet accident, mais qu’elle n’y avait pas porté plus d’attention croyant qu’il était survenu le matin avant le départ des maîtres.

De suite, Mme Lepeltier soupçonna qu’il s’était passé pendant l’absence de tout le monde quelque chose d’anormal. Elle monta aussitôt au premier étage et constata la triste vérité.

Le vol

Une armoire et un secrétaire placés dans une chambre du premier étage avaient été fracturés puis fouillés par les malfaiteurs. C’est alors que Mme Lepeltier constata la disparition des objets suivants ;

Le voleur avait pris dans l’armoire :

1° 300 fr. environ en argent consistant en pièces courantes, 5 fr., 2 fr. et 0 fr. 50 ;

2° 200 fr. en or ;

3° Une broche en argent d’une valeur de 5 fr. ;

4° Une bague en or chevalière homme, ornée d’une petite pierre bleue, d’une valeur de 35 fr. ;

5° Une bague en or chevalière femme, d’une valeur de 45 fr. ;

6° Un collier or pour femme, d’une valeur de 100 fr. ;

7° Une montre en or avec chaîne en doublé, 140 fr. ;

8° Un petit livre de messe, 3 fr. ;

9° Un grand porte-monnaie contenant environ 10 fr. de menue monnaie.

 

Le Petit Courrier

12 janvier 1902

Encore un cambriolage

L’immeuble appartenant à M. Louis de Contades, 4 avenue de Contades, a reçu vendredi matin la visite de cambrioleurs qui se sont introduits dans les sous-sols en fracturant les portes d’entrée donnant sur la rue. Les serrures ouvertes à l’aide de fausses clefs, les malfaiteurs, des sous-sols, se sont introduits dans l’immeuble qu’ils ont visité du haut en bas, bouleversant tout.

Dans le bureau, ils ont fracturé le tiroir qui ne devait contenir que quelques rares pièces de monnaie.

M. de Contades, propriétaire au château de Launay, près Louresse, a déclaré que pour lui il ne lui avait rien été soustrait.

La police recherche les autours de ce cambriolage. On les soupçonne être les mêmes que ceux qui ont opéré rue de Bel Air, les traces de pesées étant identiques.

 

Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89, dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits »

Audience du 10 mars 1905

Vols à Angers

Dans la nuit du 9 au 10 janvier [1902], des malfaiteurs s’introduisaient chez M. de Contades, à Angers ; mais ils ne trouvaient rien à emporter.

Dans la même nuit, la maison de M. Godard Hippolyte était cambriolée. Un écrin sans valeur avait seul disparu.

Ces deux vols font partie de la tournée faite par Ferrand, accompagné, d’après Gabrielle Damiens, par Baudy et Henry.

M. de Contades croit qu’on n’enleva rien chez lui.

Ferrand – Je n’ai rien pris.

Le président – Mais vous reconnaissez le fait ?

Ferrand – Oui, monsieur.

Baudy – Moi, je nie !

Le président – Vous niez ?

Baudy – Je le crois que je nie !

[1] Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89, dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits », 3e audience du procès d’Amiens, 10 mars 1905.
[2] Soit environ un quarantaine de kilomèrres.
[3] Un grand merci à Xavier de la librairie Les Nuits Bleues d’Angers, d’avoir retrouvé pour nous ces trois articles du Petit Courrier.
[4] « Au pied de la porte du jardin se trouvaient deux petits carrés de papier qui avaient été placés entre cette porte et le montant afin de s’assurer si la maison était habitée. Un semblable carré de papier se trouvait dans la porte d’entrée de la maison. » Archives de la Préfecture de Police de Paris, EA/89, dossier de presse « La bande sinistre et ses exploits », audience du 10 mars 1905.