- Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur - http://www.atelierdecreationlibertaire.com/alexandre-jacob -

PJ de l’été

[1]P pour projet ; J pour Jacob. Le PJ ? Une entreprise de démolition électronique. Une musique de sauvage urbain imaginé par l’ami Rank Xe Rom. Depuis presque deux ans, il mixe, il sample, il tord les sons. Depuis presque deux ans il met en scène l’exemplaire vie d’un honnête cambrioleur pour nos honnêtes esgourdes. Ce sont les quatorze morceaux du PJ que vous allez ouïr honnêtes gens. C’est un hommage musical magistral que l’on aimerait bien voir dans les meilleurs bacs des meilleurs disquaires indépendants et que l’on peut retrouver sur Soundcloud ou sur la page Facebook du PJ. C’est un hommage musical réparti sur les deux mois de cet été que l’on aimerait moins résigné que les précédentes transhumances balnéaires et consuméristes. C’est un hommage musical à tous ceux et celles qui, un jour se sont levés au nom du droit de vivre qui ne se mendie pas. Vous allez alors suivre les pas d’un illégaliste, des tournées des Travailleurs de la nuit jusqu’aux chemins torturés de Guyane, de la pince monseigneur bien calée dans sa contrebasse jusqu’au plat d’une purée trop liquide, jusqu’à ce sombre soir du 28 août 1954 où Alexandre Jacob, dit Marius pour les indigènes reuillois, réussit sa dernière évasion. A très bientôt. On sera honnêtement prêt pour la prochaine rentrée. Bonne écoute, vive le PJ et vive les enfants de Cayenne.

Programmation du PJ :

1)      Matricule 34777 : SAMEDI 11 JUILLET 2015 Honnête ? « Qui est conforme ou qui se conforme aux règles de la morale, de la probité, de la loyauté » nous dit le Petit Larousse. Mais de quelle morale peut-il s’agir dans une société régie par le capitalisme triomphant et soutenue par le principe de la lutte des classes ? « Qui ne vole pas, ne fait ni escroquerie, ni détournement » ajoute le Petit Robert. Hypocrite et légale ambiguïté qui transforme l’honnête homme en mouton social, en bon citoyen. Ce à quoi le non citoyen Jacob Alexandre Marius (1879-1954), ex matricule 34777, peut répondre en 1932 : « Il y a une erreur, disons le mot, un mensonge capital. Celui-ci : la délinquance est l’exception, l’honnêteté la règle. » Loin, très loin des clichés de l’extraordinaire aventurier, l’histoire de l’honnête Travailleur de la nuit, du « cas témoin de l’illégalisme » (selon l’expression de l’historien Jean Maitron) s’inscrit de toute évidence dans le cadre d’une guerre sociale pensée et menée au nom de l’idéal anarchiste à la fin du xixe siècle, une époque que d’aucuns à fortiori ont osé qualifier de Belle. L’histoire de Jacob finit par éclairer celle de tout un mouvement
Et l’irrévérencieux cambrioleur, qui porte haut le verbe libertaire, est appelé à payer très cher ses atteintes à la divine et bourgeoise propriété. Mais le bagne et ses iniquités ne peuvent briser un être probe, loyal et moral… un honnête homme.

2)      Locomotion : MERCREDI 15 JUILLET 2015 « Le sifflet strident de la locomotive mit fin à notre conversation. Le train stoppa. Nous étions attendus. Sur le quai extérieur de la gare, à la sortie des voyageurs, Bour, sacoche en bandoulière nous attendait. » Les cambriolages étaient minutieusement préparés, laissant peu de place au hasard. La France était divisée en trois zones, selon les trajets ferroviaires : tout reposait sur la rapidité des déplacements …

3)      Contrebasse : SAMEDI 18 JUILLET 2015 On reconnaît le bon ouvrier a ses outils. L’axiome se vérifie pour n’importe quel artisan, pour n’importe quel travailleur… Gil Blas, 9 mars 1905 : « La table des pièces à conviction est des plus curieuses à observer ; elle contient tout l’attirail des cambrioleurs : les pinces monseigneur, placées par rang de taille, ne se comptent pas plus que les vilebrequins, les forets, les scies à métaux, les diamants de vitrier. A coté de lampes Edison, réunies entre elles par 5 m de fil, se trouvent une burette à huile, une boite à savon etc. etc. La trousse de Jacob, appelée par lui sa « contrebasse », en cuir noir de 70cm de long sur 35 cm de haut, est une merveille du genre. Elle contient une série de six pinces monseigneur, six rallonge à pas de vis interchangeable, une batterie de quatre piles sèche, une bobine, trois lampes Edison, des rondelles en caoutchouc destinées à amortir les chocs, trois tournevis, trois passe-partout, un vilebrequin, un foret, une scie à métaux, un diamant de vitrier, une burette à huile, une boite à savon à deux compartiments, d’un coté poudre à savon, de l’autre savon mou ; enfin des lames de rechange. Une échelle de corde complète cette rare collection d’instruments très très perfectionnés ».

4)      Serrage : MERCREDI 22 JUILET 2015 Alexandre Jacob ne peut pas faire grand-chose. Il sait ce qui va désormais lui arriver. Il est conduit à la gare de Pont Rémy, puis à celle d’Abbeville et finit par se retrouver dans la prison de cette ville. C’est à Orléans, dans l’attente de son second procès, qu’il écrit les Souvenirs d’un révolté dans lequel il fait la narration plus que précise de son arrestation. La recherche des espaces traversée dans sa fuite met en lumière un fatal détour que nous avons pu cartographier. Alexandre Jacob a perdu du temps. Du temps … et sa liberté.

5)      Cellule : SAMEDI 25 JUILLET 2015 De quel cerveau féroce, affolé par la rage,
De quel esprit sadique, affreux, dénaturé
Naquit l’intention terrible de la cage
Où l’homme enferme l’homme et le tient emmuré ?

6)      Tribune : MERCREDI 29 JUILLET 2015 Anarchiste révolutionnaire j’ai fait ma révolution.Vienne l’Anarchie.

Alexandre Marius JACOB

[2]7)      La Loire : SAMEDI 7 AOUT 2015 En 1902, la Loire remplace le Calédonie. C’est le premier navire à être conçu pour devenir un bateau-cages. Il réalise aussi des transports de troupes. D’une centaine de mètres de long et d’une capacité de 1438 tonneaux, le navire peut emporter environ 600 bagnards, répartis dans les six cages, situées dans les faux-ponts aménagés à cet effet. Arme au poing, les surveillants circulent dans l’allée centrale du faux-pont, prêts à faire feu à la moindre tentative de rébellion. L’hypothèse d’un jet de vapeur brûlante s’échappant de la tuyauterie qui parcourt les cages calme en fait toute velléité de mutinerie. Une seule s’est produite sur l’Orne en 1888. Alexandre Jacob, embarqué le 22 décembre 1905 ; il est mis à l’écart avec trois autres condamnés considérés comme particulièrement dangereux. Il n’aurait donc pas à subir les relations tendues qui se mettent en place dans les cages, les bagarres, les punitions, les viols, les jeux de clans et la loi des « forts à bras ». Mais il endure comme les autres la chaleur et la puanteur régnantes, accrues par la concentration humaine et les effets du mal de mer. C’est une impression générale d’abattement lorsque retentit la sirène du départ en rade de Saint Martin de Ré. Le voyage dure une quinzaine de jours, un peu plus si le navire fait escale à Alger pour y prendre une cargaison de Maghrébins ou bien d’Européens provenant des bagnes militaires de Biribi ou de Tataouine. Sous les tropiques la chaleur devient insupportable. Les condamnés n’ont droit qu’à une heure de promenade quotidienne sur le pont. Groupés en rang, ils attendent immobiles et dans le silence que leur cage soit nettoyées à l’eau de mer. Ils rejoignent alors leur bagne où la monotonie reprend ses droits. Seuls les repas et, de temps à autres, un arrêt du navire pour jeter à la mer un bagnard décédé, viennent la rompre. Le 13 janvier 1906, Alexandre Jacob, forçat m°34777, est débarqué aux îles du salut. « Voyage, voyage plus loin que la nuit et le jour ; voyage dans l’espace inouï de l’amour »  (Jean-Michel Rivat – Dominique Dubois, Voyage voyage, 1987) ;  « On n’est plus qu’un bateau de chiens qu’on mène crever dans île. » (Albert Londres, La Belle, chanson de 1929)

8 )      Les trois Roses : MERCREDI 5 AOUT 2015 Il n’est pas homme à baisser les bras, à laisser tomber un combat qui pour lui a changé de forme. Aux iles, sont envoyés les anarchistes, les vedettes des cours d’assises, les « durs » du bagne. Les Trois Roses comme Jacob appelle les iles du Salut sont bel et bien un panoptique à ciel ouvert d’où on ne s’évade pas. « J’ai cessé cette lutte du fait de mon arrestation mais je l’ai reprise au bagne sous une autre forme et par d’autres moyens » Alexandre Jacob à Jean Maitron 1948

9)      La Belle d’Auguste : SAMEDI 8 AOUT 2015 Jacob va ( … ), à l’aide de lettres codées, jusqu’à garder le contact avec ses amis de France. Ils doivent l’aider à préparer son évasion. Il a un plan qui comprend plusieurs étapes. Il s’agit d’abord de devenir prisonnier de « 1ère classe ». Ce statut est attribué à tout détenu ayant échappé à toute sanction disciplinaire pendant au moins 18 mois. Ce qui signifie: rester calme et passer inaperçu. Le point suivant incombe à son ami Malato à Paris. À lui de trouver une femme prête à se marier avec Jacob. Car un bagnard marié de « 1ère classe » a droit à l’attribution d’un bout de forêt vierge à cultiver. Ainsi il aurait une marge de manœuvre suffisante pour se construire secrètement un radeau et atteindre les côtes de l’Amérique latine (ex-matelot qu’il est, ses connaissances nautiques devraient suffire). Malheureusement, les gardiens trouvent son comportement réservé plutôt suspect. Au cours d’une fouille dans les cellules, ils trouvent un message codé. Finis les rêves d’évasion rapide. Les deux tentatives d’évasion suivantes, en septembre et novembre 1908, sont éventées. À chaque fois, et pour plusieurs semaines, Jacob se retrouve au « trou ». Ce n’est pas une cellule mais plutôt, d’après la fonction et les dimensions, un cercueil. Un cachot complètement noir, juste assez grand pour le corps. Un trou minuscule à hauteur du sol pour respirer. Deux sorties de 5 minutes par jour pour pisser. Nourriture: pain sec et eau, 2 jours sur 3. Auguste est un des noms codés désignant Jacob lui-même. Il apparaît tout au long de la correspondance. Il semble se servir de ce nom surtout pour annoncer ses tentatives d’évasion.

10)  Liberté : MERCREDI 12 AOUT 2015 ; 31 décembre 1927 les portes de la centrale de Fresnes s’ouvrent. Alexandre Jacob, ex-prisonnier de guerre sociale, est un homme libre.

11)  Espagne 36 : SAMEDI 15 AOUT 2015 Le calme apparent de la vie d’Alexandre Jacob ne doit pas masquer le maintien des principes et des idéaux qui, en 1905, l’envoient purger une peine de travaux forcés à perpétuité en Guyane. L’image de l’homme reclus, écrasé par le poids des souffrances subies, ne tient pas non plus au regard de son activité professionnelle et de son intégration berrichonne. Elle se brise encore plus volontiers lorsqu’en 1936 le « vieux » Marius disparaît des marchés et des foires du Val de Loire qu’il arpente en temps ordinaire. Marius est en Espagne.

[3]12)  Années Noires : MERCREDI 19 AOUT 2015 la 2nde guerre mondiale, comme pour beaucoup de ses contemporains, sera pour Jacob une période éprouvante … mort de Marie Jacob, ruine commerciale, emprisonnement à la libération pour trafic de tissus.

13)  La Purée était liquide : SAMEDI 22 AOUT 2015 ; 27 août 1954, Nicolas Zajac se souvient du « petit mangement », repas offert avant de fermer le robinet, avant de s’évader d’une « vie faite d’heurs et de malheurs ».

14)  Rideau : VENDREDI 28 AOUT 2015 « C’était sa mission, il était conditionné pour ça » Josette Duc-Passas … le lendemain, le 28 août 1954, Alexandre Marius Jacob se suicide par injection. Disparait ce jour un dernier des représentants et théoricien de la reprise individuelle par le vol.